On l’a dit, les journaux en ont parlé, chacun a un ou deux exemples en tête pour le prouver : il semble que la crise sanitaire ait incité de nombreux citadins à se préparer un refuge pour de futures pandémies. Y a-t-il eu une ruée sur les maisons de campagne qu’on s’arracherait à prix d’or, au détriment des locaux qui voient les maisons partir sous leur nez à des enchères qu’ils ne peuvent pas suivre ?
Le Monde du 9 juillet 2020 titrait : « Trouver une maison de campagne à moins de 100 000 euros, c’est possible […] voire même 50 000 euros. » De quoi faire rêver ses lecteurs qui, après deux mois de confinement dans leur appartement parisien ou lyonnais, se disent qu’un petit pied-à-terre à la campagne ne serait pas, à ce prix-là, un grand luxe. Le quotidien poursuit : « Après avoir végété pendant plus de dix ans, le marché des résidences secondaires connaît un regain d’intérêt. Pour autant, les prix dans les campagnes restent, pour le moment, à des niveaux très raisonnables et permettent de devenir propriétaire à prix doux. » Et de lister une série de conseils aux futurs acheteurs : ne pas choisir une région très cotée, s’installer à plus de 20 km de la mer ou des stations de montagne, à plus d’une heure et demie d’une grande métropole et au-delà de la deuxième couronne d’une ville moyenne, accepter d’habiter moins de 100 m² dans une maison de bourg avec un petit jardin ou une bâtisse en pleine campagne avec du terrain, savoir que la maison devra être rafraîchie et, qu’à moins de 50 000 euros, une rénovation plus importante sera nécessaire. « Certains secteurs du Limousin, de la Nièvre ou de la Bresse cachent de bonnes affaires, tout comme le Morvan, le territoire entre Nancy et Épinal, l’Ardèche, l’Aubrac, la Bourgogne loin des vignobles, le cœur du Centre-Val-de-Loire et les grandes zones de pâturage et d’élevage (Lozère, Corrèze…) qui se dépeuplent. »
« Heureuse surprise » ?
De fait, on a vu récemment sur le Plateau des maisons partir plus rapidement que d’habitude. L’agence Marcon immobilier qui travaille surtout sur la Creuse s’en est réjoui sur sa page facebook : « Heureuse surprise après le déconfinement, l’agence a réalisé en juin et juillet 52 compromis. Bonne nouvelle pour le département de la Creuse. » Un post qui a aussitôt été commenté par une visiteuse : « En espérant que ce soit pour de l’habitation principale et pas de la résidence secondaire... Mais ça c’est pas l’agence qui décide, ce pourrait être à la rigueur les communes ou les pouvoirs publics qui décident d’un quota maximum de maisons de vacances, voire comme à Barcelone de réquisitionner les logements vides, ou à Saint-Ouen il y a quelques années qui avait légiféré pour réguler la spéculation immobilière et limiter la flambée des prix... » La crainte de voir des maisons partir pour de la résidence secondaire et se soustraire ainsi à des besoins locaux rejoint celle de voir flamber les prix du fait d’un pouvoir d’achat plus important des citadins en recherche d’un refuge à la campagne. On a ainsi vu un propriétaire vendre un bien plus cher à quelqu’un qui n’habitera pas ici au détriment d’une famille qui l’occupait et aurait voulu l’acquérir sans pouvoir pour autant renchérir. Dans une autre commune une personne locataire doit quitter le logement qu’elle occupait avec ses trois enfants après une vente. Le bien devait initialement être vendu à quelqu’un du village qui devait la garder comme locataire, mais une meilleure offre en a décidé autrement. Comme on peut le lire dans la brochure sur les biens vacants, éditée par le Syndicat de la Montagne limousine : « La régulation par l’offre et la demande se fera trop souvent au détriment des acteurs locaux qui perçoivent l’immobilier non comme un patrimoine qui pourrait les enrichir, mais comme un bien commun qui devrait être mis au service de meilleures conditions de vie pour chacun et chacune. »
L’explosion des demandes sera-t-elle durable ?
Les statistiques notariales ne permettent pas encore de vérifier si le phénomène est massif (les dernières données parues concernent le premier trimestre 2020 et, entre le moment de la décision d’un achat et la signature officielle, plusieurs mois peuvent s’écouler). Pourtant, sur le terrain, le phénomène est sensible si l’on en croit Pierre Coutaud, maire de Peyrelevade mais aussi agent immobilier depuis 5 ans sur le territoire : « Le volume d’activités en juin a été très fort, on a eu trois fois plus de demandes et on constate cette explosion des demandes un peu partout. Pour autant est-ce vraiment un effet Covid ou s’agit-il d’un phénomène de rattrapage après trois mois d’interruption totale de l’activité ? » En juin, il recevait de 10 à 15 mails par jour au lieu de 2 ou 3 en temps habituel. Le marché est donc actif. Sur quatre maisons mises en vente dans un village d’une commune du Plateau, les quatre sont parties cet été : « La première a été achetée par un couple qui en fait sa résidence principale, la deuxième par un retraité venu d’une ville d’un département voisin qui l’occupera régulièrement, la troisième par un couple parisien qui à terme s’y installera. Quant à la quatrième entre un couple de jeunes et une retraitée, le propriétaire a choisi de vendre à cette dernière. » Pour Pierre Coutaud, les ventes sont donc loin d’être dominées par les résidences secondaires. Pour les acheteurs qui passent par des agences (car il y a aussi un certain nombre de ventes qui se font de gré à gré), il repère en gros une répartition en trois tiers : « Un tiers, ce sont des jeunes du coin qui cherchent leur résidence principale ; un tiers, ce sont des retraités ou de futurs retraités qui veulent venir ou revenir au moment de la retraite ; le dernier tiers, c’est pour des résidences secondaires. Les contacts récents que j’ai pu avoir sont plutôt des actifs encore assez jeunes qui veulent changer de vie et quitter Paris ou des zones urbaines. Dans ces cas, le Covid n’a pas créé ce besoin, mais il a pu avoir un effet déclencheur en accélérant les choses. » Il note également le phénomène de la « résidence secondaire passerelle », citant l’exemple d’un couple, elle professeur d’université à Paris, lui graphiste, que leurs emplois autorisent à venir habiter souvent sur place, soit via le télétravail, soit via des aménagements d’emploi du temps convenables – après tout Paris n’est qu’à trois heures de train de Limoges...
Des prix qui ne baisseront plus
Si le rêve de la « petite maison dans la prairie » est encore très fort, notre agent immobilier constate que les ventes se font plutôt dans les villages. Quant au prix, il n’a pas constaté le boom craint par certains. « On était de toute façon arrivé à un seuil bas. Depuis 2008-2010 les prix étaient plutôt à la baisse. Ce qui est sûr c’est qu’ils n’iront pas plus bas. Le gros souci avec les maisons d’ici, c’est qu’elles demandent en général beaucoup de travaux, ce qui plafonne tout de même les prix. Les gens recherchent souvent avec des budgets maximum de 100 000 €. » Il ressent également une plus forte attractivité autour des communes creusoises comme Royère-de-Vassivière, Gentioux, Faux-la-Montagne où les demandes sont beaucoup plus nombreuses qu’en Corrèze. « Il y a une réelle attractivité de Vassivière mais aussi un intérêt pour les dynamiques locales qui existent sur ces communes. » À la mairie de Faux-la-Montagne, on confirme l’augmentation depuis plusieurs mois des appels de personnes ou de familles qui cherchent à venir s’installer sur le coin. Pierre Coutaud relève également que le dynamisme du marché n’est pas seulement provoqué par une demande accrue mais aussi par l’offre : « Je vois des vendeurs qui se décident parce qu’ils ont des incertitudes sur l’avenir. C’est la maison de famille qui leur coûte cher et où ils ne viennent qu’une semaine par an. Alors ils se décident à vendre. » Ce dynamisme est, aux yeux de Pierre Coutaud, encourageant : « Comme il y a de la demande, certains hésitent moins à acheter et à s’installer à demeure. Ils savent que si ça ne marche pas ou que venir vivre sur le Plateau ne leur convient pas, le départ sera plus facile parce qu’ils pourront revendre plus facilement. Cela lève des freins dans leur tête. »
Ces phénomènes post-covid autour de l’immobilier restent donc à observer de près et à confirmer dans quelques mois, d’autant que les visites effectuées durant l’été ne seront pas conclues réellement avant l’automne, voire l’hiver.
Michel Lulek