La ressourcerie de Felletin, Court-circuit, fête ses 10 ans en emménageant dans de nouveaux locaux entièrement adaptés à son activité. L’occasion de proposer à deux de ses promoteurs de faire un bilan de cette aventure collective, sans s’interdire de penser à demain !
L’association Court-circuit naît en 2010 d’un essaimage de la ressourcerie d’Eymoutiers. Notre but est d’implanter à Felletin les fonctions d’une ressourcerie (collecter, valoriser, vendre et sensibiliser) pour œuvrer à la réduction des déchets et lutter contre le gaspillage, tout en expérimentant un mode d’organisation autogéré. C’est dans le terreau fertile de l’écosystème du Plateau que l’aventure de Court-circuit prend racine : la formation au métier de valoriste se fait au Monde allant vers... d’Eymoutiers (il n’existe alors que deux ressourceries en Limousin, pour une quinzaine aujourd’hui), le projet politique et ses valeurs sont questionnés et affinés au fil de l’accompagnement par l’association Pivoine, et le choix du statut associatif est éclairé par les conseils de la Scop La Navette. Enfin, en participant au compagnonnage du Réseau REPAS, nous nous inspirons d’autres expériences d’autogestion (notamment celles d’Ambiance bois, de Champs libres et du Monde allant vers pour ne citer que les locales) et nous apprenons à expérimenter chemin faisant.
Une fonction d’accueil qui émerge au fil de l’eau
L’accueil de compagnon.nes du réseau REPAS dès le démarrage de la ressourcerie initie la dynamique d’ouverture et d’inclusion de l’équipe des permanents1 : il s’agit d’apprendre à faire collectif avec qui est présent. Autant que faire se peut nous appliquons cette gymnastique aux bénévoles, aux stagiaires et aux porteurs de projet qui viennent découvrir le métier et se former.
Nous souhaitons que la ressourcerie soit aussi inclusive que possible, pour l’ancrage du projet dans le tissu local et aussi pour offrir un accueil égal (non discriminant) au public le plus large possible, cela comprend bien évidemment les clients et les usagers, d’où le soin apporté à la présentation des objets en vente et la bonne tenue de la boutique du centre ville depuis son ouverture – c’est également dans ce sens que sera pensée la réfection de la boutique en 2018 en partenariat avec la SCIC l’Arban.
Dès les premiers temps, la ressourcerie attire spontanément quelques personnes qui ne sont a priori sensibles ni au projet environnemental, ni au projet politique de l’autogestion, et qui viennent chercher du lien social, de l’occupation, ou – nous le comprenons après coup – des plans récup’, du travail ou des présences féminines… Nous nous félicitons de cette mixité spontanée jusqu’à vivre des situations très compliquées qu’aggrave l’absence de cadre clair (le cadre est alors en construction, au rythme lent des questionnements de l’autogestion). Nous découvrons nos limites en termes d’insertion et prenons conscience de notre incompétence en la matière. Nous continuons néanmoins à accueillir un groupe de jeunes de l’Institut médico-éducatif (IME) de Felletin chaque mercredi, des jeunes en séjour de rupture à la demande, des stagiaires de collège et plus récemment des exilés. Nous sommes également sollicités par l’administration judiciaire pour recevoir des jeunes dans le cadre de Travaux d’intérêt général. Après un temps d’arrêt, nous renouons avec l’accueil de personnes en situation d’isolement social, mais avec plus de précaution et dans un cadre clair consolidé par l’expérience.
En 2016, nous obtenons l’agrément Espace de vie sociale de la CAF qui est intéressée par notre travail sur l’accueil et l’inclusion, et tout particulièrement par la mixité des publics qui fréquentent la ressourcerie. Ce partenariat nous permet de dégager du temps salarié afin de poursuivre dans de meilleures conditions ce que nous avions entrepris de façon bénévole, d’animer réellement la vie associative et le bon accueil des bénévoles, et de développer pleinement le programme d’ateliers partagés : réparation de vélos, cafés couture, repair cafés…
Une équipe autogérée qui se donne les moyens d’une régulation
Côté autogestion, nous avons pris soin de consolider les fondamentaux dès le début : constitution du collectif en parallèle de la construction du projet, maîtrise autant que possible de la vitesse de démarrage de l’activité afin de ne pas subordonner le temps de la démocratie à l’urgence économique, mise en place d’espaces pour s’exprimer et émergence d’une culture de l’écoute. Une attention particulière est portée à l’intégration des nouvelles et nouveaux salariés.es : on essaie de leur « laisser la place » et on investit du temps et de l’énergie dans les transmissions.
Malgré tout, en 2015, l’équipe connaît des tensions internes en même temps qu’un important turn-over : l’équipe passe de 7 à 9 salarié.es, avec 3 départs (dont un définitif) et 5 arrivées. La régulation interne était jusqu’alors assurée de façon informelle, cela ne suffit plus. S’ensuit une médiation fructueuse animée par une personne extérieure. Puis de nouvelles tensions se font jour et une question émerge : comment faire équipe avec un groupe plus hétérogène, notamment en termes de rythmes et de portage du projet ?
Avec un mandat de l’ensemble de l’équipe, un binôme de salariées commence à mettre en place des outils d’animation et des temps de parole individuels. Les deux collègues sont bientôt débordées par leur mission à la fois vague et vaste, et une commission de quatre personnes est finalement créée, avec une fiche de poste pour en fixer le cadre : globalement, il s’agit de prendre soin du collectif (même si c’est théoriquement l’affaire de toutes et tous) et de s’assurer que chaque personne est à la place la plus juste pour elle et pour le groupe. La commission est en veille sur l’ambiance du groupe et les tensions interpersonnelles, essaie d’accueillir et de travailler les conflits pour pouvoir les transformer, propose des entretiens annuels pour faire le point, prépare les procédures d’embauche et l’accueil des nouveelles et nouveaux salarié.es. Elle travaille également le regard collectif sur les compétences, la planification et l’organisation du travail, mais ne se substitue pas à la responsabilité collective, ni à la décision collective et n’est pas censée compenser un défaut de partage de l’animation. Cette commission n’a pas non plus vocation à devenir une direction des ressources humaines déguisée et ses membres tournent d’année en année. Elle rend compte de son travail au collectif et son travail n’a de sens que dans la mesure où elle a la confiance de l’équipe.
Nouveaux locaux, nouvelle dynamique ?
Les 10 ans de Court-circuit coïncident avec l’installation dans de nouveaux locaux. C’est l’aboutissement d’un projet de 7 ans ! L’association dispose désormais d’un outil de travail ergonomique et adapté pour pérenniser les emplois. Au-delà de l’activité économique, nous espérons que ce nouveau lieu permettra d’amplifier la dynamique d’accueil, d’ouverture des ateliers, d’échange de savoir-faire et de valorisation d’objets et de matières. Car si l’on regarde le verre à moitié vide, le réemploi est un pansement sur la jambe de bois de la société de gaspillage. La ressourcerie est impuissante face aux objets irréparables ou de mauvaise qualité et les effets de mode nous dépassent. C’est pour cela qu’il nous tient à cœur de favoriser l’autonomie à travers l’auto-réparation et la transmission de savoir-faire. Les nouveaux locaux font la part belle aux ateliers qui nous faisaient défaut jusqu’ici, et nous souhaitons étoffer le programme trimestriel des ateliers partagés et ouvrir d’une façon ou d’une autre nos ateliers au public… L’atelier vélo est déjà opérationnel et actif grâce à l’énergie de super bénévoles !
Nous sommes convaincus qu’on pourrait aller encore plus loin dans le partage de l’outillage et du « gisement » de déchets et de matières. Le lien avec un Fab’lab, la recherche et développement en low tech (ou basse technologie), ou toute autre activité liée au réemploi d’objets ou au recyclage de matériaux paraît évident et désirable, et nous souhaitons que Court-circuit puisse être un soutien voire un incubateur pour des projets de ce type.
À suivre…
Constance Launay et Olivier Cagnon
1 La création des premiers postes salariés s’étale sur 3 ans, on parle alors de « permanents » pour ne pas induire de différence de statut entre les salariés et les bénévoles permanents.