Les passages tumultueux de Lothar et Martin, invités imprévus de Noël 1999, n'ont pas fini de laisser des traces… Qu'en est-il trois ans après ?
Les dégâts
En Limousin, la tempête a touché 123 000 hectares de forêt (sur les 554 000 existants – soit 22%). Ces hectares n'ont pas tous été touchés de la même manière. Certains ont eu des dégâts faibles, d'autres moyens, d'autres forts : ainsi ces 62 000 hectares qui ont été détruits à plus de 50%. Tous les chiffres concernant la forêt étant départementaux, il est difficile d'en donner pour le seul plateau. Néanmoins, on sait que celui-ci a été des plus touchés, comme le montre la carte ci-contre, où l'on voit qu'il est entièrement dans la zone des "dégâts forts".
Régionalement la tempête à détruit 15 millions de m3, soit 15% du volume de bois sur pied. Les résineux ont davantage été touchés (9,3 millions de m3, dont la moitié d'épicéas) que les feuillus (5,7 millions). Logique vu la dominance des résineux sur la zone la plus frappée. Un tel volume de bois tombé à terre représentait environ 7 années de récolte, toutes essences confondues. Si on ne retient que les résineux, ce sont en fait dix années de récolte qui sont tombées en une seule nuit ! (la récolte annuelle dans les années qui ont précédé la tempête était de 900 000 m3 de résineux par an).
L'exploitation
Dans les deux premières années qui ont suivi la tempête, la priorité a été mise sur la récolte des bois les plus fragiles, ceux qui pouvaient être attaqués les premiers par les insectes et les champignons. Pour ce qui concerne le plateau, surtout l'épicéa. L'exploitation du douglas, au contraire, était volontairement repoussée à plus tard, son bois étant naturellement beaucoup plus résistant (ce sont les chablis qui seront récupérés cette année).
Mais la toute première intervention a été le rétablissement des accès à la forêt : en tout 2 300 km de pistes et routes forestières ont été déblayées.
Les propriétaires, les professionnels et les pouvoirs publics s'étaient fixé pour objectif de récupérer en trois ans (2000, 2001 et 2002) les deux tiers des bois abattus. Il a été tenu, puisque au 31 décembre 2002, 5,5 millions de m3 de résineux avaient été récoltés (60%) et 4,3 millions de m3 de feuillus (75%). Ceci fait un total, pour tout le Limousin de 9,8 millions de m3 de bois (65%) qui se répartissent ainsi :
2,6 M m3 de bois d'œuvre sciés dans les scieries limousines.
2 M m3 dans des scieries en dehors de la région.
0,8 M m3 conservés sur des aires de stockage en Limousin (comme sur celle d'Ussel, cf. photo).
0,2 M m3 stockés hors Limousin.
2,4 M m3 partis dans les usines de pâtes à papier ou de panneaux de la région.
On évalue enfin que 1,8 M m3 de feuillus sont partis en bois de feu pour le chauffage domestique.
Tout cela a été rendu possible par la mobilisation en trois ans de 56 millions d'euros d'aides publiques (un peu plus de 30 M de l'Etat, de 14 M de l'Europe, de 7 M des départements et de 5 M de la région).
Les accidents
Si, sur le coup, la tempête n'a pas fait de victimes sur le plateau, de nombreux accidents du travail ultérieurs sont liés à l'exploitation des chablis : fin 2001, on recensait déjà dans tout le Limousin 12 accidents avec des blessures graves et 6 accidents mortels.
Les replantations
Fin 2002, quelques 7 500 hectares balayés par la tempête sont en cours de reconstitution, majoritairement en douglas, dont 4 500 pour la seule année 2002. Les prévisions pour 2003 sont du même ordre. Le coût moyen du nettoyage et de la reconstitution est d'environ 3 400 euros à l'hectare (il ne s'agit là que des surfaces ayant fait l'objet d'une demande d'aide auprès des pouvoirs publics).
Les risques sanitaires
Il existe au Ministère de l'Agriculture un "département de la santé des forêts" qui surveille grâce à un réseau de correspondants départementaux l'état des forêts françaises. Celui-ci a été particulièrement attentif aux effets sanitaires de la tempête. En effet la masse de bois tombé et laissé à l'abandon représentait un véritable festin pour les insectes sous-corticoles (qui vivent sous les écorces) et xylophages (qui se nourrissent du bois). On l'a dit c'est l'épicéa qui était le plus exposé à ce genre de bestioles. Dès 2000 la colonisation des chablis par ces insectes était commencée sur cette essence. Mais, contrairement à la Bourgogne par exemple, le Limousin n'a subi que des attaques de faible intensité. Les scolytes se sont cependant assez développés sur le plateau par rapport au reste de la région. De gros foyers ont été repérés notamment autour du lac de Vassivière.
Actuellement la plupart des chablis qui n'ont pas été exploités ne sont plus colonisables par les scolytes : soit ils l'ont déjà été (il n'y a plus rien à manger !), soit ils sont desséchés (ce qui reste n'est pas bon !).
Les entreprises
La Banque de France a mené en 2002 une étude sur les conséquences financières de la tempête sur les entreprises de la filière bois. Il en ressort que l'événement a entraîné de fortes perturbations qui sont cependant très différentes selon l'endroit de la filière que l'on observe : plus on va vers l'amont et plus elles sont importantes. Le secteur le plus touché est celui de l'exploitation forestière qui a eu à faire face à un surcroît d'activité en 2000, qui ne s'est pas prolongé en 2001. La Banque de France constate une érosion de la rentabilité d'exploitation dans ce secteur, qui a cependant réussi à améliorer son résultat final, du fait des aides des pouvoirs publics. Les scieries de résineux accusent une légère dégradation de leur structure financière qui reste cependant satisfaisante, tandis que les fabricants de charpentes et de menuiseries ne semblent pas avoir été touchés par la tempête. Globalement "la situation des entreprises de la filière bois peut être jugée favorablement ; les conséquences de la tempête ont été bien moindres que ce qui était craint dans les premières semaines de 2000. Il n'en demeure pas moins que des interrogations subsistent pour l'avenir quant à l'écoulement des stocks importants constitués et à leur coût de négociation d'autant plus que les acheteurs étrangers semblent plus actifs actuellement".
Sources : DRAF INFO (janvier 2002), Lettre d'information de la Préfecture de la Région Limousin (avril 2003), Informations techniques du département Santé des Forêts - Massif Central (n° 49 et 52), Banque de France : "La filière bois en Limousin en 1999, 2000 et 2001"
- Replanter quoi ?
Les statistiques de la DRAF nous le confirment : les reboiseurs ne font guère preuve d'originalité en ne replantant quasiment que du douglas… Loin de nous l'idée de réveiller la vieille guéguerre des résineux et des feuillus, mais tout de même ! Pourquoi faudrait-il toujours succomber à la monoculture ? Biodiversité chérie où es-tu ? Réponse : sur une petite parcelle située au nord-ouest de l'île de Vassivière. Là, durant les derniers jours d'avril, sous la houlette d'un artiste (Ah, un artiste, tout s'explique !), Erik Samakh, plusieurs centaines de personnes, dont beaucoup d'habitants du plateau, sont venues planter d'exotiques essences forestières qui ont pour nom : alisiers, cerisiers, charmes, châtaigniers, chênes, cornouillers ou sorbiers… En tout une cinquantaine d'essences différentes choisies pour attirer le plus grand nombre possible d'oiseaux, d'insectes et de rongeurs. Aidée de la botaniste Isabelle Jacob (auteur de précieuses et passionnantes notices botaniques disponibles auprès du Centre d'Art de Vassivière), Erik Samakh a ainsi replanté de façon absolument unique un terrain dévasté par la tempête. "C'est en observant les différentes espèces de plantes qui réapparaissaient sur l'île que nous avons constaté à quel point la tempête avait pu avoir une action positive sur la régénération de cette parcelle qui, comme ses voisines, avait principalement été constituée de monoculture. En proposant une plantation mixte très diversifiée, nous avions à l'esprit de participer aussi, même modestement, à l'équilibre biologique de cet environnement". Faut-il donc que ce soient des artistes qui nous apprennent cela ? Réponse de Guy Tortosa, le directeur du centre d'art : "C'est là en effet l'humble (mais dans humble il y a humus) et dérisoire mission de l'art que d'agir indirectement en semant des graines dans les consciences, une mission plus que jamais nécessaire quand d'autres sèment ailleurs un peu partout des graines d'incompréhension".