D'un côté, une vingtaine d'entreprises, regroupées au sein d'un réseau national, le REPAS (Réseau d'échanges et de pratiques alternatives et solidaires). Depuis des années, elles prouvent que la coopération et la solidarité peuvent s'incarner sur les lieux de la production et que le profit n'est pas forcément le moteur de l'entreprise.
De l'autre, des jeunes qui refusent le modèle classique du travail salarié (temps contre argent, obéissance aux impératifs du marché…) et qui cherchent d'autres références. Pour les aider, le réseau REPAS a décidé de s'inspirer (très librement) de l'ancienne tradition des "Compagnons du Tour de France". Tous les ans, dans le cadre d'un "compagnonnage alternatif et solidaire", il propose aux jeunes un circuit dans des entreprises aux activités très variées, destiné non à apprendre un métier, mais à transmettre les valeurs qui sont au cœur du projet coopératif : solidarité, égalité, démocratie, liberté, fraternité…
Deux étapes de ce "Tour de France" passent sur le plateau : à Faux la Montagne dans la scierie raboterie Ambiance Bois ; à St Moreil et St Julien le Petit, dans le GAEC Champs Libres.
Les compagnons sont des femmes et des hommes de dix-huit à trente ans, venus d'horizons différents, riches d'expériences diverses. Chacun d’eux est plus ou moins en rupture avec la vie qu’il a menée jusqu’alors, dans une urgence à vivre une vie qui soit en accord avec lui-même. Certains se sont frottés aux petits boulots. D'autres ont effectué un vrai parcours professionnel qui ne leur ressemble pas ou plus. D'autres encore sortent d’études longues, ou ont subi des échecs scolaires importants… Ils font le compagnonnage parce que leur vie manque de sens à leurs yeux.
Durant trois mois, de lieu en lieu, ils ne découvrent pas seulement le travail, mais partagent aussi la vie des personnes qui participent à ces projets. Ils sont témoins d’une façon plus humaine d’appréhender le travail et la vie citoyenne en y participant momentanément. La pratique et l’expérience sont les maîtres mots de la pédagogie utilisée.
Un comité de pilotage, composé de permanents des entreprises, s’occupe du "tutorat" de ces compagnons. Il les accompagne sur ce chemin et répond à leurs questionnements en leur proposant une suite d’expériences pratiques aptes à leur fournir des réponses. Ne nous trompons pas, il n’y est pas question de théories utopistes mais il s’agit bien de se frotter à la réalité, ici et maintenant.
Une traversée de trois mois et demi, un printemps, de lieux de travail en lieux de vie, de rencontres fortes en remises en question intenses, de nouveaux possibles en choix de vie accessibles… C’est un voyage vers l’autre, vers de nouvelles libertés, un voyage qui donne sacrément envie de vivre, un voyage qui permet d’oser être soi-même, de rêver comme on l’entend et de réfléchir ensemble à la mise en pratique de ces rêves là.
J'ai participé aux sessions de compagnonnage 2001 et 2002 en tant qu’observatrice dans l’objectif de réaliser un film documentaire sur cette aventure peu commune. Parler du compagnonnage, c’est bien plus compliqué que de le vivre ! Au début, quand on me posait des questions à ce sujet, j’essayais de parler de tout ce que j’y avais connu, de tout ce que j’y avais vu, il y avait toujours quelque chose qui me paraissait essentiel qu’il me semblait avoir oublié de dire…
Ces trois mois et demi, c’est juste comme la vie, en plus intense, toutes ses facettes peuvent y être abordées, ressenties, vécues, expérimentées… avec le questionnement supplémentaire sur le sens de nos actes.
Christelle Ledortz
Pour en savoir plus on peut lire "Quand l'entreprise apprend à vivre. Une expérience inspirée du compagnonnage dans un réseau d'entreprises alternatives et solidaires", éditions C.L.Mayer, 2002.
Contact et renseignements : REPAS, 07 190 St Pierreville.