“Touche pas à ma porcherie” : c’était le slogan de ralliement des très nombreux agriculteurs et de leurs organisations venus en force à Domps le 9 juillet 2002. Quelle est donc cette porcherie qui leur est si “chère” ? C’est une création en 1995 par la SARL Madrangeas Vialle : une minoterie productrice de farines animales, au demeurant d’excellente réputation auprès des agriculteurs de la région. En installant ce premier atelier de post sevrage et d’engraissement de 4 200 porcs par an, l’entreprise voulait assurer le plein emploi des salariés de la minoterie après une étape de modernisation. Elle s’approvisionnera en porcelets auprès d’agriculteurs naisseurs avec qui elle passe des contrats de fourniture de farines. Les porcs engraissés seront abattus à l’abattoir de Limoges pour le compte de la Société MADRANGE productrice du “Jambon star”.
En 1997 la SARL Madrangeas-Vialle, souhaite s’agrandir et demande une autorisation administrative pour doubler sa production. Une enquête publique émet des réserves sur le projet. Mais, qu’à cela ne tienne, un arrêté préfectoral provisoire l’autorise à construire et démarrer le plus tôt possible sa production annuelle de 8 200 porcs. Surtout retenons bien les motivations du projet ; elles ont été déterminantes pour justifier l’autorisation préfectorale : “de permettre la poursuite de l ‘exploitation pour la sauvegarde des intérêts économiques et sociaux”.
“Les Ets Vialle fabriquent des aliments du bétail et organisent la production de porcs charcutiers pour approvisionner les Ets MADRANGE en porcs frais… Ils ont un rôle d’animation de plus en plus important dans la production régionale d’un porc de qualité, en organisant :
Enfin en 2002 la SARL Madrangeas-Vialle avec une extrême habileté et la tacite complicité des organismes consulaires de la profession agricole relance une nouvelle enquête publique pour sortir de cette légalité difforme d’un arrêté préfectoral provisoire. Pour conforter sa détermination et séduire ses contradicteurs, elle introduit la construction d’un bâtiment supplémentaire afin de transformer le lisier en compost. C’est, aux dires des experts, l’assurance d’une amélioration incontestable dans l’épandage des lisiers. Mais il représente un investissement très lourd, bien à l’échelle industrielle.
Voilà ce qu’est “ma porcherie”. C’est à dire un atelier de production industrielle de porcs, intégré dans la logique financière et capitalistique de la plus puissante des industries de la viande en Limousin : les établissements Madrange. Ce géant de l’agro-alimentaire est une société à capitaux familiaux. Il est devenu en quelques années le premier industriel européen du jambon cuit, après avoir absorbé la plupart de ses concurrents français, et tout récemment le groupe GEO.
Dans “ma porcherie” il y a aussi les 35 éleveurs qui apportent leur faire-valoir de producteurs de porcelets en plein air. Ils s’inscrivent tout à fait dans ce processus d’intégration dont les éleveurs bretons ont été les premières victimes. Au gré des crises porcines, une tous les trois ans, ils sont devenus les tâcherons, les façonniers des Guyomarch, Glon-Sanders, Duquesne-Purina et autres “barons” de la filière porcine bretonne. Et comme ceux-ci ne trouvent plus de paysans à croquer en Bretagne ils viennent chasser sur les terres limousines.
C’est dans une salle des fêtes chauffée à blanc et avec une étonnante mise en scène que le projet Madrangeas-Vialle a été présenté au public. Les acteurs étaient les commanditaires et agents commerciaux des entreprises d’amont de la filière bretonne, évoluant devant un aréopage d’éleveurs limousins chevronnés, et sous la houlette plus que bienveillante d’un représentant des pouvoirs publics. Alors il n’était plus surprenant d’entendre les porte parole des chambres d’agriculture soutenir et “cautionner la garantie de ce mode d’élevage comme un modèle d’une économie régionale de proximité et pourvoyeuse d’emplois”. Ils auraient été bien inspirés de s’attarder sur l’évolution du nombre des élevages qui disparaissent en Bretagne pour préserver les marges bénéficiaires de leurs entreprises intégratrices. Mais comme le Limousin n’est pas la Bretagne, on peut toujours être innovateur en circuit court d’intégration. Ainsi entre Chamberet, Domps et Feytiat-La Valoine, la saga familiale des Madrangeas, parfaitement enracinée dans son terroir, est en mesure de mobiliser toutes les énergies émotionnelles des solidarités familiales et corporatives d’une agriculture déraisonnable et peu durable.