« Rebeyrolle (Paul), peintre français, né à Eymoutiers en 1926. Il est passé d'un réalisme aux attaches terriennes à une expression semi-abstraite très colorée » (petit Larousse, 1985). On peut être dans le dictionnaire depuis de nombreuses années et demeuré cependant le plus vivant des créateurs. La preuve dans cet entretien.
Marie Watine : Comment l’Espace Paul Rebeyrolle qui vous est consacré à Eymoutiers, a-t-il été reçu par les habitants de la région ?
Paul Rebeyrolle : Les gens d’ici sont moins intéressés que des gens qui viennent de très loin, des étrangers, des gens de la région parisienne et de toutes les régions de France. Sur le Limousin, ça n’a pas beaucoup d’impact… Nos catalogues se vendent dans le monde entier, ils sont très recherchés dans les milieux culturels, il y a beaucoup de visiteurs allemands, anglais, hollandais qui passent ici. Par rapport aux habitants du Limousin, c’est infiniment plus visité par des gens qui sont très loin du Limousin.
M W : Vous avez parfois des moments de découragement par rapport à ça ?
P R : Non, jamais ! Quand j’entreprends quelque chose, je ne me décourage pas. Ca vous coûte du temps et des efforts, mais ou je dis oui pour faire quelque chose et je le fais à fond, ou je dis non et on n’en parle plus. Donc il n’y a aucun découragement de ma part, et au contraire, j’entraîne des gens autour de moi, qui sont des gens de valeur et qui comprennent la valeur et l’utilité d’un endroit comme ici. Même si ce ne sont pas des gens du Limousin !
M W : Alors justement, vous êtes vous-mêmes du Limousin, est-ce que ces racines vous tiennent à cœur ?
P R : Quand on m’a proposé de créer un “Espace Rebeyrolle”, ça faisait trente ans que je n'étais pas revenu en Limousin, et j'ai commencé par refuser. Parce que moi, le fait que je sois né ici, l'attachement sentimental, tout ça, ça n'existe pas chez moi. Par contre, ce que j'ai beaucoup aimé quand j'étais jeune et que je continue d'aimer, c'est le caractère des gens. Des gens un peu frondeurs, suffisamment non conformistes pour me plaire. Il y a eu bien sûr la période de la Résistance que tout le monde connaît, mais il y en a eu d'autres avant : les premières grèves ouvrières se sont faites à Limoges ; c'est à Limoges qu'ont été créés les principaux mouvements syndicaux. Tout cela fait que, depuis l'époque des maçons qui allaient travailler dans toute l'Europe, le Limousin a connu une évolution des mentalités qui est très spéciale à ce coin-ci : Millevaches, Eymoutiers, etc… Alors je suis revenu pour me rendre compte si les gens avaient changé, s'ils étaient devenus le contraire de ce que j'avais aimé, c'est à dire des conformistes, des béni oui oui… Je me suis rendu compte que, bon leur anticonformisme était certes un peu moins violent qu'il y a une quarantaine d'années, mais qu'il existait toujours. Qu'il y avait ce que j'appelle une “élite”, des gens de toutes sortes, qui étaient encore suffisamment pétardiers pour que j'essaie de faire quelque chose ici. C'est pour cela que je suis là, c'est à cause du caractère, je dirais libertaire des gens de ce pays.
M W : Vous avez encore à faire pour achever votre œuvre ?
P R : Je ne porte pas beaucoup d'attention à ce que j'ai déjà fait. J'ai encore, malgré mon âge, l'espoir de faire d'autres choses. C'est l'avenir qui m'intéresse, c'est pas ce que j'ai fait. Je sais, si je réfléchis, que mathématiquement j'ai fait plus de choses que je n'en ferai, mais ce qui me reste à faire est plus passionnant pour moi que ce que j'ai déjà fait.
M W : Si vous n'aviez pas été peintre, vous auriez été poète, écrivain ?
P R : Eh… J'aurais peut-être été poseur de bombes ! Non, la seule chose qui m'aurait plu ça aurait été l'architecture. Mais je n'en avais sûrement pas les capacités. Je ne vois pas ce que j'aurais pu faire en dehors de ça…
M W : Poseur de bombes, pourquoi pas ? L'art c'est de la politique, non ?
P R : Oui, bien sûr. Même ceux qui n'en sont pas conscients, qui s'en défendent, qui disent qu'il ne faut surtout pas mélanger l'art et la politique, même les peintres les plus éloignés des problèmes, sont quand même pétris, parce qu'ils y vivent, d'une certaine période historique. Il y a aussi le fait d'être dans un pays riche, en Occident : ça détermine des choses. Je ne dis pas que ça les détermine en bien, je n'en sais rien. Probablement quelquefois oui, quelquefois non, mais la condition de vie et d'existence d'un artiste – de même que, mettons, celle d'un ouvrier ou d'un instituteur – est liée au fait que nous vivons dans un pays riche, relativement libre (je dis bien relativement). Donc qu'on le veuille ou non, on est le produit de son époque, de son temps et de son lieu de vie.
« je peins tous les jours et pourtant je me demande si je ne pense pas autant a la vie et aux conditions de vie des individus qu’a la peinture. je crois que les deux obsessions, obsession de la peinture et obsession de l’histoire contemporaine se chevauchent chez moi totalement »
M W : Quel serait votre plus grand coup de gueule ?
P R : Alors là, en ce moment il n'y a que l'embarras du choix ! Disons que le coup de gueule c'est le fait que tout est soumis au monétarisme. D'ailleurs, j'ai peint une grande série sur le monétarisme. A partir de là, nous sommes tous esclaves, et c'est une situation qui peut convenir, ou pas. Il y a des gens à qui ça convient, il y en a d'autres à qui ça ne convient pas du tout… C'est ça l'air de notre temps : le monétarisme. Mais je pense que c'est quelque chose qui passera. On est à mon avis dans une période de décadence comme tous les grands empires en ont connue. Il va venir des “barbares”, et c'est ainsi que les choses se développent. L'empire romain s'est écroulé et avant lui il y en eut dix autres, et maintenant ça va être le tour du nôtre. C'est le balancier de l'histoire. C'est normal.
M W : L'histoire comme un éternel recommencement ?
P R : Non, parce que ce ne sont pas les mêmes gens, ce ne sont pas les mêmes circonstances qui amènent les mêmes souffrances et les mêmes décadences. Ce sur quoi je suis inquiet, c'est sur le destin des gens en général. Nous et le reste du monde. Nous, nous sommes des privilégiés, mais nous souffrirons dans quelques temps, au même titre que souffrent les gens qui ne sont pas des privilégiés.
M W : Un artiste a-t-il une vision d'avant garde ?
P R : Non, pas forcément. Un artiste parle de beaucoup de choses, mais pas forcément de celles qui sont bien pensantes. C'est pas le politiquement correct un artiste. Donc, s'il n'a pas des dons de “voyance”, il n'est pas engagé dans le concert de la médiocrité. Or, le concert de la médiocrité, on l'entretient avec délectation, tous les gouvernements en profitent, tous les efforts sont faits pour désinformer les gens, pour empêcher qu'ils aient accès à la vérité. Les artistes, même si sur ce plan sont dans le même bateau, n'ont pas les mêmes ennuis… Il faut qu'ils trouvent des solutions qui ne leur sont pas proposées de l'extérieur. Aucune solution pour un poète, un musicien ou un peintre n'est proposée de l'extérieur. Il faut que ce soit le poète, le musicien ou le peintre qui la trouve. Elle peut être importante, ou moins importante, elle peut être médiocre, mais on ne peut pas tenir le coude ou la main de quelqu'un qui fait ce genre de travail.
Propos recueillis par Marie Watine
Photo : Gerard Rondeau
Courtesy Espace Paul Rebeyrolle