Jim Stevenson est américain : une caricature d'américain avec son accent, son ton assuré et sa casquette vissée sur la tête. De passage dans notre région à l’automne dernier, ce professeur d'étymologie à l'Université de Dallas vient de remettre en cause l'origine de notre bon vieux Plateau de Millevaches. En effet, celui qu’on pensait être le Plateau des Milles Sources ne serait, selon lui, que le fruit d’une histoire incroyable, une aventure dont il a été le témoin. Pour en savoir plus nous avons rencontré Jim à la terrasse d'un café du Plateau, pour un témoignage surprenant qui a duré six heures. Voici en quelques lignes, ce que nous a retranscrit Jim Stevenson, dans un français impeccable.
IPNS - Selon vous, toute l'histoire provient d'une femme, Eugénie Cloup. Qui était Eugénie Cloup ?
Jim Stevenson - Eugénie, c’est une grande bonne femme que j’ai rencontré complètement par hasard l'année dernière en cherchant des champignons du côté de St-Merd-les-Oussines. Apparemment, j’étais dans son bois...et ici on ne rigole pas avec ça . Elle était pas fine la vieille… Et puis on a discuté, c'était marrant elle m'a invité chez elle quand elle a vu que j'étais américain. Elle m’a d’abord remercié de l’avoir délivrée des allemands, moi j’y étais pour rien…et puis elle m’a tout dit. Je crois qu’elle s’est confiée parce que j’étais américain et puis c’était le lendemain du 11 septembre, elle pensait que c’était la fin du monde. Je pense que c’est pour ça qu’elle s’est livrée.
IPNS - Et qu’est ce qu’elle vous a dit ?
Jim Stevenson - Elle m’a longuement parlé d’un certain Jean qui habitait à côté de chez elle et avec qui elle aimait jouer quand elle était petite.
IPNS - Et qui était ce Jean ?
Jim Stevenson - Jean était apparemment le fils d’un maçon creusois, qui avait fait fortune à Lyon et qui, de retour au pays, avait fait construire une grosse propriété entre St Merd les Oussines et Bugeat. Il portait un nom bien de chez vous, il s’appelait Vaches : Jean Vaches. (Jim rit de toutes ses grandes dents en prononçant ce nom de famille avec son accent d’américain sûr de lui).
Chez les Vaches, la richesse ne venait pas tant du patrimoine qu’avait bâti le père mais plutôt d’un service en étain qui se transmettait depuis la nuit des temps de générations en générations.
IPNS - Un service en étain ?
Jim Stevenson - Oui, d’après Eugénie, une sorte de plateau avec des verres et une carafe (Jim fait des signes pour être sûr de bien se faire comprendre). Seulement, depuis douze générations, le service se transmettait de père en fils. Et depuis ce temps là, du service il ne restait que le plateau. Lorsque le Jean Vaches décéda, le plateau qu’Eugénie avait toujours vu placé sur le buffet ne quitta pas sa place. Il revint à son fils Emile.
Emile avait 21 ans quand il hérita du précieux plateau. Il était enfant unique et sa mère avait pris la foudre le lendemain de sa naissance. Emile était donc le seul héritier d’une propriété imposante, mais c’était surtout le nouveau propriétaire du plateau. Pendant 25 ans, le plateau ne quitta pas sa place sur le buffet. Il n' y eut pas un jour où Emile n’eut pas un regard pour ce plateau qui à lui seul symbolisait toute l’histoire de la famille. D’après Eugénie, il en prenait soin, il y tenait plus que tout.
IPNS - Je ne vois pas très bien où vous voulez en venir ?
Jim Stevenson - D’après Eugénie ça s’est passé le jour des Rameaux
IPNS - C’est quand, le jour des Rameaux ?
Jim Stevenson - J’en sais rien je vous dis juste ce que m’a dit Eugénie. Emile était parti acheté du vin à Bugeat…
IPNS - Il buvait ?
Jim Stevenson - Non, apparemment pas plus que ça, mais c’était pour lui la rare occasion qu’il avait de sortir. La ferme lui fournissait tout ce dont il avait besoin, il avait tout sur place, sauf le vin. Et d’après Eugénie, il limitait les sorties afin de pouvoir garder toujours un œil sur son “trésor”. Naturellement ce qui devait arriver arriva.
Lorsqu’il rentra chez lui, le plateau avait disparu. De savoir qu’il ne restait désormais plus rien de ce que lui avait transmis son père, Emile s’est pendu.
IPNS - Et le plateau ...?
Jim Stevenson - En fait, on ne le lui avait pas volé. Lorsqu’il est rentré, Emile était saoul, il avait bu toutes ses bouteilles. Il était tellement rond que lorsqu’il est arrivé chez lui, est entré dans l’étable, n’y trouvant pas son plateau il s’est donné la mort croyant qu’on l’avait volé.
IPNS - Et le plateau, on l’a retrouvé ?
Jim Stevenson - Oui, c’est le fils d’Eugénie qui l’a récupéré.
IPNS - Eugénie a un fils ?
Jim Stevenson - Oui, il a aujourd’hui 54 ans, il s’appelle Emile comme son père.
IPNS - Comme son père, parce que ... ?
Jim Stevenson - Oui, tu as tout compris, Emile est le fils d’Emile. Eugénie avait eu de temps en temps quelques liaisons avec Emile. Elle était enceinte le jour du drame. Lorsqu’elle apprit la mort d’Emile Vaches, elle cacha le plateau pour qu’il revienne à son fils Emile. Tu comprends ?
Le petit Emile porta le nom de son père. Il était complètement légitime qu’il hérite de ce plateau, n’est ce pas ?
Apparemment, aujourd’hui, personne n’est au courant de ce récit et pourtant c’est la véritable histoire du plateau d’Emile Vache.
Une sonnerie de téléphone retentit brusquement
- Oui, salut c’est Michel, t’en es où de ton article sur l’origine étymologique du Plateau de Millevaches que tu devais préparer pour IPNS ?
- Oh, merde ça fait combien de temps que je dors moi...
Samuel Deleron