C’est entre Sornac et Saint Setiers, aux environs de “La Pommerie”, qu’Olivier Masmonteil a trouvé les endroits propices à ses expériences, des endroits où la vue était souvent bouchée par l’abondance des arbres et des broussailles, où l’épaisseur des frondaisons retenait la lumière tout en la démultipliant, mais où s’ouvraient aussi de bien curieuses perspectives.
Je ne l’ai pas vu peindre – il est vrai que s’il a élu cette région sauvage pour travailler sur le vif c’est en raison de la tranquillité que l’on y trouve -, mais je l’ai accompagné sur les lieux où il avait prévu de le faire, lui donnant même un coup de main pour attacher ses châssis aux arbres ou à de vieux piquets de clôture car ses tableaux devaient demeurer sur place pendant toute la durée de son travail, exposés tour à tour au soleil et à la pluie, à la chaleur parfois caniculaire puis à la fraîcheur de la nuit. Avant le vernissage de son exposition je n’avais donc pu apercevoir, réparties sur une distance d’environ deux kilomètres, qu’une vingtaine de toiles vierges. Vierges ? Pas tout à fait, car quelques minutes à peine après leur installation toutes sortes d’insectes : scarabées, criquets, éphippigères, punaises, etc., probablement curieux de l’art contemporain ou attirés par ces vastes pistes d’atterrissage, vinrent s’y poser, s’y promener, y agiter leurs antennes, ajoutant ainsi des reliefs colorés, furtifs, cocasses, aux dessins mouvants tracés par les ombres des branches et des feuilles. Bref, comme s’il avait un sens inné de l’anticipation, l’environnement projetait de lui-même ses motifs sur les toiles avant même que le peintre eût commencé d’intervenir. C’était une préfiguration en quelque sorte, une mise en branle discrète, voulue telle sans doute par l’artiste, de ce qui se produirait ultérieurement à son initiative. Olivier Masmonteil table en effet sur la collaboration de la nature pour préparer son terrain puisqu’il a choisi avec une rigueur et une précision extrêmes l’endroit le plus favorable pour disposer chacun de ses réceptacles.
Son travail est donc tendu entre deux directions apparemment peu conciliables. D’une part, le peintre s’est donné un cadre, si j’ose dire, presque un carcan, en cela qu’il a déterminé une fois pour toutes, non seulement le nombre et le format de ses toiles mais leur emplacement ainsi que le rituel d’exécution, suivant un cahier des charges très strict. Mais, d’autre part, il accueille avec une sorte de jubilation tout événement imprévu : chute d’une feuille ou d’une brindille qui vient se coller sur la peinture fraîche, chiure d’un oiseau qui modifie soudain le rythme des couleurs, coup de vent brutal qui gonfle la toile et dévie le trajet du pinceau, coup de tonnerre qui ébranle l’organisme et fait trembler la main. Bref, il réagit sur le champ à ce qui se passe tout autour de lui.
Les troncs majestueux et les sous-bois pittoresques ne suffisent pas à expliquer le séjour d’Olivier Masmonteil sur le Plateau de Millevaches, il y aussi – le nom du lieu l’indique – les cours d’eau innombrables et poissonneux. A la tombée du jour, dès que les couleurs ont tendance à se confondre et à se diluer, il rangeait ses pots de peinture, ses pinceaux, et sortait son matériel de pêche. Il quittait la peinture à l’huile, sa viscosité, son épaisseur, pour quelque chose de plus fluide, de plus évanescent ; en troquant la courte hampe du pinceau pour celle, plus longue, plus flexible, plus discrète de la canne à mouche, il louchait peut-être en direction de l’aquarelle. C’était une autre forme d’immersion, une autre branche de son activité d’artiste. La surface de l’eau n’est pas si différente de la toile, sur elle aussi le peintre envoie ses leurres – des trompe-l’œil minuscules et chatoyants confectionnés par lui pendant la morte saison avec des hackles de coq et de la soie.
L’originalité du travail d’Olivier Masmonteil ne tient pas seulement à sa volonté d’être au plus près du milieu qu’il a choisi de peindre car, une fois terminés, ses tableaux demeurent quelques jours in situ. Certes, il voulait laisser aux peintures le temps de sécher et de perdre un peu de leur odeur, mais il souhaitait surtout qu’elles continuent de vivre toutes seules dans l’atmosphère qui les avait vues naître, de s’en imprégner, de la conserver aussi, peut-être, par d’autres voies que strictement picturales ; d’ailleurs, telle un souvenir concret de cette manifestation, l’une des toiles est restée en place – il est vrai que peu à peu elle s’effilochera, se décomposera, qu’elle se mêlera au paysage - dont elle renvoyait comme un écho à la fois proche et distancié - puis qu’elle disparaîtra en lui.
Gilbert Pons
- Olivier Masmonsteil est corrézien et vit à Brive. Ce jeune artiste est peintre de paysages. Il a effectué la “campagne picturale” racontée ici en août 1999, au hameau de “La Pommerie” sur la commune de Saint Setiers. Il y était invité par les associations Appelboom et Mouvance.
L’aboutissement de cette performance s’est avéré très positive pour la mémoire des gens du village. Chaque jour ils allaient surveiller l’évolution de son travail en empruntant des chemins délaissés ou oubliés. Pour clôturer cette manifestation, pendant une journée entière, tel un vernissage, les visiteurs ont arpenté l’itinéraire balisé par les œuvres en pique-niquant ça et là, comme une procession.
Pour en savoir plus on peut regarder le petit reportage que Télé Millevaches y a consacré dans le n°64 du Magazine du Plateau ou lire l’article de Gilbert Pons “Les peintures in situ d’Olivier Masmonteil”, paru dans la revue Turbulences vidéo, n°28, juillet 2000, BP 50, 63002 Clermont-Ferrand cedex 1, dont ce texte est extrait.
Cet artiste peint les arbres et accroche à leurs branches ses tableaux.