C’était avant la nouvelle grande fracture qui allait encore vider nos bourgs et nos villages ! Sans doute que les années 50 ont connu leur part de difficultés, mais les souvenirs que j’en ai gardés sont ceux d’une période très vivante, et gaie. Nostalgie de l’enfance penseront certains, et ils n’auraient pas tort si le filtre de la mémoire d’enfance ne laissait pas passer quelque chose de la réalité. Mes parents travaillaient dur dans la boulangerie familiale reprise à mon grand-père à la fin de la guerre, mais les souvenirs et les sentiments qu’ils m’ont transmis, comme les gens nombreux qui passaient à la maison, sont ceux de l’optimisme et de la joie de vivre.
Pourtant, comme beaucoup d’autres je suis parti, sans vraiment partir. Et tous ceux nombreux qui l’on fait aussi ont participé à cette nouvelle étape de l’exode qui sonnera pour les corréziens et les creusois de ma génération, comme le coup de grâce du pays. Combien sommes nous sur le plateau et ailleurs à porter en nous ce sentiment de culpabilité qu’a généré ce départ ? Je me demande souvent si ce profond attachement éprouvé vis à vis de toutes les terres d’exode par ceux qui les ont quittées trouve son origine dans ce sentiment qu’en partant ils ont contribué à enlever du sens à la vie des générations passées.
Et c’est sans doute pour cette raison que je rencontre souvent au pays tant de ces gens mettant toute leur énergie à disposition de cette terre en souffrance. Ils sont devenus des amis.
“j’ai acquis la certitude que l’avenir de notre pays est plus dans les représentations que nous en avons que dans les statistiques”
Il y a aussi ceux qui sont restés et qui ont évolué au rythme de l’ensemble de la société, et qui ont contribué à ouvrir le pays et à obtenir de la considération.
Et puis il y a ceux qui sont venus, et qui ont vu dans nos hautes terres limousines un lieu où ils pourraient bâtir une vie. La vie est plus mobile et la montagne limousine est entrée dans cette mobilité, à deux sens enfin, et c’est tant mieux !
Il faut certes du temps dans nos campagnes pour que les greffes prennent. C’est pourtant vital, et nous nous y habituons. Certes tous réunis, ça ne fait pas grand monde à l’échelle des mégalopoles actuelles. Une vision statistique nous place d’ailleurs “au dessous du seuil démographique”… ce qui nous condamne pour l’avenir.
Et c’est sûr, il y a danger !
Pourtant si j’ai voulu ici parler des hommes plus que des chiffres, des sentiments plus que des structures, c’est que j’ai acquis la certitude que l’avenir de notre pays est plus dans les représentations que nous en avons que dans les statistiques : l’optimisme ou le pessimisme, la confiance ou la défiance, notamment entre catégories professionnelles, la solidarité ou le corporatisme,…
Le développement est d’abord dans les têtes. Ce sont ces sentiments, ces conceptions partagées ou non du territoire et de son devenir qui sont à mon sens la source de tout le reste.
A condition de s’en donner les moyens, le reste, c’est à dire la vie des entreprises, les relations sociales, la vie culturelle, les animations, etc. peuvent suivre. A l’inverse sans cette confiance partagée dans le futur toutes les initiatives isolées ne peuvent pas “prendre ”.
Les moyens, c’est d’abord une structure territoriale pour le “Grand Plateau de Millevaches” pouvant jouer l’effet de levier en organisant et facilitant les initiatives économiques et culturelles ayant directement ou indirectement des retombées économiques. Une structure vivante pour faciliter la rencontre entre les nouveaux ruraux et la population plus ancienne, pour accueillir de nombreux visiteurs…
Les moyens, c’est aussi se servir intelligemment de la montée en puissance d’un courant d’opinion touchant une frange de plus en plus large de la société qui porte un regard positif sur la nature et le patrimoine. Ces préoccupations actuelles concernant l’environnement, le paysage, le patrimoine, peuvent être chez nous un socle pour le développement et dans toutes les branches, de l’agriculture au secteur tertiaire. C’est pourquoi j’attends avec espoir la création du Parc Naturel Régional de la Montagne Limousine. En effet c’est un « outil » qui pourra nous aider dans ce sens.
C’est peut-être une manière d’être fidèles aux générations passées et de transmettre un territoire vivant à celles qui suivront.
Alain Fauriaux
Association “Pays Sage” FLAYAT - Photo : Pays Sage - J.P. Estournet