Ce jour-là, levé depuis 5h, il est dans les derniers préparatifs de la journée, porte d’entrée ouverte. Il doit travailler à 7h à Eymoutiers pour tondre des moutons – on est en pleine période de tonte. Il s’apprête à partir bientôt, lorsqu’à 6h20 il entend hurler :
- Ya quelqu’un ? Ya quelqu’un ?
Il pense à un accident, un appel au secours, tire la porte de la pièce qu’il occupe et voit dans le couloir des individus cagoulés et armés criant « Bouge pas, bouge pas ! ». Instinctivement, il repousse sa porte qui se ré-ouvre aussitôt pour laisser place à 5 paires d’yeux menaçants derrière des masques noirs, des canons d’arme à moins d’un mètre du visage pointés sur lui, accompagnés des cris « À terre , à terre, les mains sur la tête » (ce qu’il fait sans résistance) « Bouge pas, bouge pas ! Elle est où ta femme ? » « Sur le coup, je n’ai même pas vu ni entendu que c’était la police ! » raconte-il a posteriori. Il leur répond qu’il n’a pas de femme... Sur le même ton : « Ya quelqu’un dans la maison ? »
- Non, ya personne...
- La voiture là, elle est à qui ?
- À Marie-Claire...
- Elle est où ?
- Mais, c’est la maison d’à côté... Mon nom est sur la boîte aux lettres...
Accompagné fermement dehors, mis en joue comme pour une exécution, les flics ne s’excusent évidemment pas : « On ne sait pas sur qui on peut tomber » (!!!), et vont alpaguer la voisine sortie affolée par les cris et croyant elle aussi à un accident ou à un drame. Au bout de 3 ou 4 contrôles d’identité, on lui dit qu’il peut s’en aller et qu’il sera peut-être auditionné comme témoin (de quoi, à part de la violence des méthodes ?). Et on se veut rassurant : « Ne vous inquiétez pas, si on est là, c’est qu’il y a quelque-chose. » CQFD !
« J’ai mis 48 heures pour avoir le contre-coup de ce matin particulier... Les premiers rêves avec des hommes cagoulés et j’ai découvert ce que c’est que des crises d’angoisse, la sensation d’avoir une partie du cerveau grillée et la peur de ne plus la retrouver, une sorte de lobotomie traumatique après une expérience de mort imminente... Il m’a fallu une petite semaine pour m’en remettre mais ça ne s’oubliera jamais. » Petit dommage collatéral vite éludé : les pandores étaient déjà à rejouer leur scénario dans la maison d’à côté.
Pôvres policiers ! Le 15 juin, aussitôt connue la nouvelle de leur présence au Mont, une quarantaine d’ami.es, de voisin.es, de parents d’élèves et même de conseillers municipaux de Gentioux se sont aussitôt rendus sur les lieux pour manifester leur solidarité avec la directrice de leur école. Traduction par les autorités : « Une quarantaine de personnes du plateau de Tarnac (sic) ». Peu importe que beaucoup n’habitent pas la désormais fameuse commune, peu importe qui était là, il suffit de ne voir que ce qu’on y cherche. Comme l’a dit ce policier : « C’est qu’il y a quelque-chose ». Quelque-chose qui s’appelle dans leur jargon « l’ultra-gauche » et dont, si on suit ce qu’ils reprochent à Marie-Claire, réside en un certain nombre de choses que beaucoup de gens partagent dans le coin : des avis un peu critiques sur la gestion forestière ou les compteurs Linky (à Royère-de-Vassivière comme à Faux-la-Montagne, pour ne citer que ces deux communes, une centaine de foyers environ à chaque fois ont aussi refuser l’installation du « compteur intelligent »), la lecture d’une excellente revue (Z pour la nommer), le souci de la protection de l’environnement... Mais tout cela, pour les enquêteurs c’est bien autre chose : « des idéologies » dangereuses. Du reste Marie-Claire se tait durant sa garde à vue ? Attitude typique qu’on retrouve chez « les délinquants les plus chevronnés ». Elle n’a pas de télévision ? Tiens, tiens... C’est une femme ? Le communiqué de revendication de l’incendie des Cars est au féminin pluriel : c’est donc qu’elle l’a écrit (elle est institutrice, c’est normal) avec son amie également arrêtée le même jour. Malgré des écoutes téléphoniques sur plusieurs mois et un espionnage consciencieux, ce ne sont que des bouts de discussions et des « formulations allusives » qui servent d’indices à nos policiers. Tout au long de l’été la surveillance sur les personnes arrêtées s’est poursuivie, de manière plus ou moins indiscrète... La police cherche, cherche, ne trouve pas... Alors elle fait avec ces indices évanescents qui sont pour eux assez probants pour rendre « particulièrement vraisemblable sa participation » aux faits sur lesquels ils enquêtent. Attention ! Éviter de faire des blagues ou de vous défouler entre amis, ni de parler trop sérieusement des façons de mieux protéger la nature, tout cela risque peut-être un jour de se retourner contre vous !
Dans la foulée, l’Éducation nationale, en la personne de l’inspecteur d’Académie, prend la décision de « suspendre à titre conservatoire » l’enseignante dès sa sortie de garde à vue (d’une durée de 73 heures suivies de 8 heures dans les geôles au sous sol de la cité judiciaire en attendant que la juge décide de son sort). « Pour vous protéger et protéger l’administration » ose le fonctionnaire zélé. Le recours à la rectrice ne donne pas de résultat. Lorsque toutes les institutions vont dans le même sens, la présomption d’innocence n’est plus qu’une franche rigolade et sur le site de La Montagne, les bonnes âmes ne s’embarrassent pas de ce genre d’arguties : « Une enseignante, directrice en plus, qui participe à des dégradations ! Bel exemple pour ses élèves. Comment l’Éducation nationale peut-elle lutter contre la violence et les « incivilités » quand une directrice ne respecte pas la loi ? » Le fait est acquis ! L’instit sur laquelle on ne dispose d’aucune preuve est bien l’auteure des dégradations. Que les syndicats d’enseignants montent au créneau pour la défendre, que la municipalité de Gentioux et les parents d’élèves demandent qu’elle puisse terminer la dernière semaine scolaire de l’année (qui est aussi celle de sa carrière professionnelle puisqu’elle arrive à l’âge de la retraite – autre indice contre elle puisqu’un tag repéré après l’affaire des Cars indiquait : « Ni Linky, ni nucléaire, on veut une retraite dorée »!), rien n’y fait.
Finalement, que lui reproche-t-on de plus grave ? D’être l’amie proche d’une des autres personnes arrêtées et suspectées. Bref, la voilà « cas contact d’un cas suspect »... À quand la mise en place d’un passe de bonne conduite politique et citoyenne et de bonnes fréquentations ? Une idée à soumettre à Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur non suspendu, mais présumé innocent de viol, harcèlement sexuel et abus de confiance.
Michel Lulek
Face aux véritables dangers, que fait la police ? Nous avons reçu cette réaction à chaud, quelques jours après les arrestations de juin.
La terre chauffe, la violence contre les plus faibles s’accentue, les délires industriels grossissent mais devant l’évidence de plus en plus visible de la folie du capitalisme... on muselle, on écrase, on défait les liens, on criminalise à tout va.
Si tout l’argent et tout le pouvoir que l’on met à faire taire ceux et celles qui essaient de sauver la vie étaient utilisés pour le bien commun, l’espoir serait encore permis. Il est si tard... On est au contraire encore à accélérer dans la mauvaise direction et à remettre à grands coups de bottes les lucides dans le droit chemin qui nous mènera tous dans le précipice – et d’abord les plus fragiles !
La criminalisation des mouvements écologistes n’est pas nouvelle pas plus que les arrestations arbitraires pour pensées, orientations politiques, chants, écrits, lectures qui dérangent un pouvoir qui n’a sans doute pas tout à fait bonne conscience, mais les moyens utilisés sont de plus en plus redoutables, légitimés par des lois de plus en plus liberticides.
On ne veut voir qu’une tête, devant sa télé le soir... Dormez braves gens, fermez vos gueules, on s’occupe du reste !
Et quand tous les fonctionnaires aux ordres s’acharnent à fabriquer de la rumeur à partir d’autres rumeurs et à en rajouter une louche à chaque fois qu’ils le peuvent, on voit enfermer dans un carcan d’injustices, de pressions et de tentatives de destruction, des êtres humains dont les seules fautes sont finalement d’avoir une conscience sociale, écologique et de tout simplement se préoccuper de la vie en général.
À celles et ceux qui avaient encore quelques illusions sur la liberté d’expression et de pensée de notre « démocratie » ou « État de droit », l’État, aidé de toutes ses forces de répression, appuyé par une presse décomplexée vis-à-vis de la déontologie et des fonctionnaires zélés qui devancent la justice, cet État donc, vient de faire la démonstration encore une fois de la dérive totalitaire dans laquelle il entraîne ce pays.
(1) cf la lettre ouverte du syndicat France Police au président Macron de mai 2021