« Non aux coupes rases ! » Le slogan s’est affiché largement sur le Plateau ces derniers mois. Oui, mais... C’est Christian Beynel, ancien président du Groupement forestier du plateau de Millevaches, qui appelle à la nuance et prend la défense du douglas.
Il ne se passe pas une semaine sans que des tags fleurissent sur des piles de bois, voire sur des engins forestiers, dénonçant les coupes rases. Celles-ci sont certes spectaculaires. La puissance des abatteuses est telle que le paysage est modifié en quelques jours entraînant incompréhensions et surprises désagréables, notre quotidien visuel étant bouleversé. Et puis, vient assez rapidement une appropriation du nouveau paysage qui peut apporter de bonnes surprises : des vues renaissent nous permettant d’appréhender le relief, de découvrir des horizons oubliés ; des habitats se créent, les coupes rases constituant un refuge pour certains oiseaux nichant au sol ; très vite, la nature reprend ses droits et les buissons prolifèrent.
Des erreurs qui se répercutent sur une longue période
Loin de moi, le projet de faire l’apologie de ces coupes mais laissez-moi simplement apporter quelques précisions, sans esprit de polémique. Notre forêt résineuse est récente à l’échelle de la forêt même si elle peut paraître à notre échelle humaine bien vieille. Globalement, elle date des années 1960-1970, période où la société paysanne traditionnelle a fortement reculé libérant de vastes espaces. Nos parents, ont été fortement encouragé à planter par les pouvoirs publics sans posséder de véritable culture forestière. L’implantation des essences a été dictée par les agents de l’administration qui, eux aussi, débutaient. Il était presque interdit de planter des douglas au-dessus de 700 mètres, les altitudes supérieures étant alors réservées à l’épicéa. Nous n’avions aucun conseil concernant les sols, la réserve en eau, la roche mère, l’orientation des versants, etc. Aussi, bien des erreurs ont été commises.
«Il nous faut du temps pour changer nos pratiques. Espérons que le climat nous le donnera.»
Celles -ci se répercutent sur une longue période. Dans bien des stations, nous sommes obligés de changer d’essences, d’autant que le climat se modifie à une vitesse qui nous dépasse. Ce qui faisait la force du pays de l’arbre et de l’eau est en train de perdre ses avantages, notre climat océanique dégradé étant marqué de plus en plus par des périodes de sécheresse d’été fortes condamnant les essences gourmandes en eau comme la famille des épicéas à racines traçantes ou le sapin Grandis. Les problèmes sanitaires deviennent récurrents : les épicéas sont par endroit scolytés, les Grandis et les sitkas dépérissent vers 40 ou 50 ans.
Mélèzes et douglas, arbres écologiques
La coupe rase, tant décriée, est bien souvent la seule solution. La régénération naturelle ne peut être tentée que si les portes-graines sont de qualité et bien souvent si elle n’est pas conduite avec d’infinies précautions, elle produira des arbres branchus de faible qualité.
Il nous faut, dans bien des cas, repartir avec des essences nouvelles, chercher et multiplier les essais : cèdres, Nobilis, sapin de Bornmüller, thuya plicata (le red cédar américain si recherché outre atlantique), tsuga, etc. Tout en n’oubliant pas les contraintes du marché qui imposent toujours un minimum de volume pour valoriser ces bois qui seront travaillés et un jour coupés. Là, il nous faudra trier les différents produits et l’unité est le semi-remorque, c’est-à-dire au moins 50 stères du même produit.
En fait nous retombons toujours sur le douglas. Arbre magnifique, à racines pivotantes, capable de chercher l’eau en profondeur, se régénérant dans notre Limousin dont les caractéristiques climatiques et pédologiques ressemblent à celle de sa vaste aire d’origine. Certains craignent la monoculture de douglas. Rassurons-les : elle n’est pas inscrite dans la nature du Millevaches. Bien des stations lui sont interdites car il craint le gel de printemps et les sols hydromorphes. Un peu de variété ne fait pas de mal et nous pouvons conserver dans les stations de bas de pente, riches en eau, les essences traditionnelles. Surtout, nous disposons d’une deuxième essence prometteuse, les mélèzes dont les variétés nous permettent un complément à nos douglas. Mélèzes et douglas sont des arbres que je qualifierais d’arbres écologiques, car leur duramen – le fameux bois rouge – permet de les utiliser sans traitement, ce qui est un énorme avantage dans un monde où la construction bois est une chance pour la fameuse transition écologique. Le douglas peut peut-être, sans rêver de reconstituer la forêt primitive du nord-ouest américain, nous permettre d’arriver à une forêt gérée sans coupe rase comme dans la forêt de Follins (Morvan). Cela suppose des cours supérieurs à ceux pratiqués en Limousin (ceux-ci ont inférieurs à ceux de l’Est de la France ou de l’Allemagne). Là, avec des arbres de qualité et d’un volume de plusieurs m3, nous pourrions pratiquer cette sylviculture arbre par arbre en régénération naturelle. Mais pour cela il nous faut du temps pour changer nos pratiques. Espérons que le climat nous le donnera.
Christian Beynel
- À propos des coupes rases de feuillus
Bien que les feuillus n’aient jamais été aussi nombreux sur le territoire du parc naturel régional que depuis le XIIIe siècle, siècle des grands défrichements et de la multiplication des essarts, ils méritent une réflexion approfondie. Nous ne sommes pas dans la même problématique que pour les résineux. Les feuillus, contrairement aux affirmations de Francis Hallé, ne sont pas dans leur grande majorité des plantations. À l’exception de la châtaigneraie limousine, l’homme a peu participé à leur création, se contentant d’accompagner cette forêt.
La vitesse de croissance des feuillus n’est pas comparable à celle des résineux. Nous avons essayé avec d’autres de mesurer la durée pour arriver à la forêt climax, c’est-à-dire la hétraie à houx sur la Montagne limousine. Cette durée est fort variable, dépendant de la qualité du sol et de l’exposition. Elle varie, selon nos observations, d’un siècle à deux siècles, ce qui dans un monde comme le nôtre est bien long.
Plusieurs types de feuillus sont présents, variant selon l’altitude et la profondeur du sol. Les taillis de bouleaux, accompagnés de bourdaine et de quelques sylvestres, méritent d’être conservés, parfois pour des raisons paysagères ou écologiques (habitat d’espèces protégées), mais ils ont un faible intérêt dans la lutte contre le réchauffement climatique, ne fixant que deux ou trois tonnes de carbone par an, c’est-à-dire 7 ou 8 fois moins qu’une plantation de douglas qui aura l’immense avantage de produire du bois d’œuvre, indispensable pour la construction bois appelée à se développer pour des raisons écologiques. Aussi, leur suppression dans de nombreux cas est compréhensible.
Dans le cas des feuillus installés sur des sols assez riches, souvent en versant nord, dans des zones arrosées, surtout à des altitudes inférieures à 750 mètres, il est tout à fait possible et même souhaitable de les traiter différemment. Nous avons réalisé d’immenses progrès en la matière, nous progressons tous les jours, et voyons se multiplier les balivages, prélude à la régénération naturelle. Ces tentatives sont handicapées par les faibles cours du bois d’œuvre du hêtre, marché fluctuant, dépendant de la demande chinoise. Il faut savoir attendre et la patience sera peut- être récompensée. La hausse des cours du douglas est un bon exemple.
Et puis, il y a l’aspect paysager, sentimental, mycologique... Tout cela compte.
Mais hélas nous sommes dans un monde pressé. La dictature de l’immédiat nous tente. La forêt se joue sur le temps long, sur une ou deux générations au minimum pour les résineux, beaucoup plus pour les feuillus. Nous ne changerons pas de mode de gestion brutalement, nous sommes tributaires de l’existant, nous changerons par petites touches. Le grand problème est la vitesse du changement climatique : aurons-nous le temps de nous adapter ? Les feuillus résisteront-ils aux nouvelles conditions ?
Christian Beynel