(Revue Etudes Rurales n° 207, éditions de l’EHESS / CAIRN)
Le gigantisme de certaines installations d’élevage a fait naître des formules où l’on peut lire à la fois la marque d’une course au gigantisme et une certaine ironie. Ainsi la « ferme des 1000 vaches » à Drucat dans la Somme, créée en 2017 et heureusement fermée depuis le 1er janvier 2021. Sur le Plateau, nous avons eu aussi droit à notre « ferme des 1000 Veaux », à Saint Martial le Vieux (23), exemple limousin de ces regroupements de plusieurs exploitations en une seule et même entité. Le titre de l’article pré-cité, sous la plume de Thomas Le Roux, fait penser au nom de notre terroir : « Millevaches », dans lequel on le sait les vaches ne sont pour rien. Ce titre mérite d’être complété, nous avons un peu triché pour attirer votre curiosité : les 5000 vaches en question étaient laitières et parisiennes. Vous avez bien lu, voici l’histoire.
Avant la Révolution Française, quelques centaines de vaches laitières étaient présentes dans les faubourgs de Paris. Mais, elles se comptent par milliers en 1800, environ 5 000, et ont « envahi » le tissu urbain en une décennie. Elles sont regroupées dans des étables-laiteries dispersées, appelées communément « vacheries », comprenant au maximum dix têtes. Avec la progression de la consommation de lait à la fin du 18e siècle, la capitale est devenue soudainement le lieu d’un élevage urbain, autant inédit que singulier. « À partir de 1791, l’abolition des enquêtes préventives des nuisances autant que la liberté d’entreprendre concourent, avec l’irrésistible augmentation de la consommation de lait, à rendre durable cette présence » écrit l’auteur. Néanmoins, ces vacheries ne sont qu’une petite pièce attenante à l’étable, où les femmes et les enfants jouent un rôle central. Elles sont exploitées par des nourrisseurs très liés au monde agricole, au maraîchage, ou au transport des denrées. En quelque sorte les ancêtres des modernes capitalistes de l’agro-alimentaire. La distribution, elle, est réalisée sur place. Le Roux évoque ces « nébuleuses de vacheries » et présente la ville et ses consommations construites « avec un des symboles de la ruralité, tout en le dévoyant ». En comparaison avec le gigantisme des années 2000 on peut remarquer à Paris l’absence de concentration et la continuité des « circuits-courts » campagnards. Enfin, les stabulations étaient fixes, très loin des laitières normandes d’alors, mais pas très différentes de nos brunes limousines de Saint Martial le Vieux. Dès 1802, en raison des risques d’épizooties et du facteur d’insalubrité, les autorités s’attachent à dégager le centre-ville de ces étables. Tous ces facteurs sont très bien expliqués dans l’article, ainsi que les évolutions ultérieures.
Nous, ruraux d’aujourd’hui , que pouvons nous penser de cette histoire ? D’abord qu’elle n’est pas sans rappeler les conditions de production de nos campagnes, ou petits bourgs, il n’y a pas si longtemps, hormis la stabulation fixe. Les citadins de 2021 en seront encore plus surpris que nous sans doute. Tous, nous avons pris l’habitude de consommer du lait en pack - merci la grande distribution - sans savoir vraiment d’où provient le lait. Donc, un autre monde. Revenons sur la question du gigantisme. On aura bien compris que l’expression « ferme des 5000 vaches » n’a rien à voir avec nos modernes usines à lait, ou viande, tant décriées. Par contre, elles étaient une préfiguration évidente de cette course à la concentration, à l’élevage intensif, que bien des gens montrent du doigt aujourd’hui. Vous pourrez toujours lire l’article, 30 pages tout de même : https://www.cairn.info/revue-etudes-rurales-2021-1.htm