Certains se souviennent peut-être du film Un paese di Calabria qui raconte comment un village moribond de Calabre (Italie du Sud), Riace, revit grâce à l’arrivée et l’intégration de migrants. Cette belle histoire a été racontée dans IPNS par Serge Quadruppani1. Manifestement, tout le monde ne la trouve pas belle. Elle vient de connaître un épilogue (provisoire, espérons-le), avec la condamnation à 13 ans de prison de l’homme qui l’a rendue possible...
L’expérience de Riace a été saluée par le Haut-commissaire aux réfugiés de l’ONU, louée par la presse internationale et obtenu plusieurs prix. Elle a inspiré le réseau des Villes et Territoires Accueillants (ANVITA). Une personne a été à l’initiative de cette action depuis 1998 : Domenico, « Mimmo », Lucano qui a été le maire du village de Riace de 2004 à 2018, ce qui montre l’adhésion du village à l’action menée. L’école a été sauvée, des bâtiments vides ont été réhabilités, des artisans locaux ont été formés, la vie de village a repris, un peu plus colorée peut-être… L’accueil des personnes exilées à Riace allait au-delà d’un objectif purement humanitaire. En l’organisant, Domenico Lucano a voulu démontrer qu’il était tout à fait possible de construire un modèle de cohabitation viable dans un contexte socio-économique difficile, à l’opposé de la vision étatique qui ne conçoit cet accueil qu’au prisme de l’assistance et de l’exclusion, minimisant voire ignorant l’autonomie des personnes migrantes.
13 ans de prison et 500 000 € d’amende
Cela n’a pas plu à tout le monde : ni à la mafia très présente en Calabre, ni à l’extrême droite. Le 1er octobre 2018, sous le gouvernement de Matéo Salvini, Domenico Lucano est arrêté et inculpé d’ « association de malfaiteurs visant à aider et encourager l’immigration clandestine, escroquerie, détournement de fonds et abus de fonction », et d’irrégularités dans l’octroi des financements pour le ramassage des ordures de son village. Il est également accusé d’avoir organisé des mariages blancs entre des habitants de Riace et des migrants pour leur obtenir un titre de séjour. Le 30 septembre 2021, Domenico Lucano a été condamné à treize ans de prison et à 500 000 euros d’amende, une sentence qui est presque le double des réquisitions demandées par le parquet. Aucune des fautes qu’il a commises n’a pourtant été source d’enrichissement personnel. Elles relèvent exclusivement du droit administratif, comme le fait de ne pas avoir réalisé un appel d’offres public pour la gestion des déchets de la commune... Si le détail de la décision du tribunal n’a pas encore été rendue publique, on sait qu’aucune accusation liée à l’aide à l’immigration irrégulière n’a été retenue comme Mimmo Lucano.
Ennemi d’État
Derrière ce jugement, il faut lire la volonté de faire prévaloir une politique orientée vers la gestion d’urgence, négligeant le parcours d’intégration des personnes migrantes rendu possible avec le modèle alternatif et inclusif que proposait le maire de Riace. Il est possible que Lucano soit responsable de failles dans la gestion administrative du dispositif qu’il a mis en place, en essayant d’adapter les contraintes du système national d’accueil à une réalité locale spécifique dans une situation socio-économique particulière. Mais, lorsque le procureur le traite de « bandit idéaliste de western », allant jusqu’à faire référence à la mafia, non seulement il place ces irrégularités au même plan que de graves infractions criminelles mais, en plus, laisse entendre que le maire de Riace serait un ennemi de l’État, au seul motif qu’il contestait la politique de non-accueil mise en place par les gouvernements italiens successifs. Depuis sa condamnation, les manifestations de soutien en faveur de l’ ancien maire de Riace se multiplient en Italie et ailleurs. Alors que la politique d’accueil menée par « Mimmo » Lucano avait fait de Riace et de son maire les symboles d’un projet de société alternative, fondé sur l’entraide, sa condamnation est largement perçue comme une énième attaque contre la solidarité avec les personnes migrantes.
La condamnation de Mimmo Lucano est bel et bien un jugement politique. Parce qu’elle sanctionne, au-delà de ce qui est imaginable, une expérience alternative de société, de communauté, qui va à l’encontre de celle que voudrait imposer une droite xénophobe et souverainiste et d’une politique européenne qui repousse les migrants hors de ses frontières et criminalise la solidarité.
Face au signal alarmant envoyé par la justice italienne, qui voudrait faire croire qu’on ne peut penser la migration qu’en termes de contrôle et de sécurité, de nombreuses associations invitent à agir auprès des élu.e.s locaux pour poursuivre l’action de Mimmo Lucano afin de créer de véritables « villes accueillantes », remparts contre les politiques d’inhospitalité de l’Union européenne et de ses États membres.
Dominique Weber
1 « Les gens qui marchaient dans la mer », IPNS n°45. Comme tous nos articles, vous pouvez le retrouver sur notre site. Pour celui-ci : https://s.42l.fr/Riace