Au cours de l’hiver, le Limousin a été le théâtre de plusieurs attaques de troupeaux ovins attribuées officiellement au loup. Les réactions ont été à la mesure (et à la démesure) de l’émotion suscitée par cet événement.
Depuis plusieurs années le GMHL (groupement mammologique et herpétologique du Limousin) organise des conférences pour aider les différents acteurs du territoire à anticiper le retour du loup gris. Son animateur, Julien Jemin, a eu du mérite pour mener les débats de façon non polémique en respectant tous les présents et tous les points de vue. Aux agriculteurs qui lui jetaient « on ne veut pas de votre loup », il expliquait que le loup n’appartient à personne et ne demande aucune autorisation pour venir dans nos contrées. Plusieurs attaques ont eu lieu sur des troupeaux ovins en décembre et janvier à Pérols-sur-Vézère, Féniers, Gentioux. Chargé de les authentifier, l’OFB (Office français de la biodiversité qui réunit l’Agence française de la biodiversité et l’Office national de la chasse et de la faune sauvage) a prudemment affirmé que « la responsabilité du loup n’est pas écartée ». Des attaques qui confirment les déclarations de Marie Abel, chargée de la cellule loup au GMHL : « Le Limousin est un bon corridor pour les individus seuls, mais il n’y a pas de fixation pour l’instant. » Autrement dit : pas de meutes.
Le monde agricole en ébullition
Ces attaques ont suscité la colère des représentants agricoles. Des réunions ont eu lieu dans les 3 préfectures du Limousin dont ils n’ont pas été satisfaits car ils n’ont pas obtenu le classement des départements en « zone difficilement protégeable » (ZDP) qui leur aurait permis de pratiquer des tirs de défense et de prélèvement. Néanmoins, chaque préfecture a classé en « cercle 3 » (zones éligibles aux mesures de protection des élevages face au loup) la totalité de son département. Ce qui permet de subventionner des moyens de protection (clôtures et parcs électrifiés), l’achat de chiens et des accompagnements techniques. Les communes qui ont subi des attaques ont même été classées en « cercle 2 » (financement renforcé). Les 3 chambres d’agriculture réclament cependant le classement en ZDP et leurs présidents ont même écrit au Président de la République pour cela !
La Confédération paysanne du Limousin exprime une position plus nuancée. Si elle salue comme « une première avancée » le classement en cercles 3 et 2, elle rappelle que « ce sont les éleveurs qui sont menacés par la présence du loup et non l’inverse » : « Les éleveurs, obligés de modifier leurs pratiques et d’investir dans des moyens de protection n’ont pas à gérer les effectifs des espèces protégées ni à protéger les promeneurs, touristes ou animaux de compagnie face aux mesures de protection des troupeaux. La mise en place rapide du Plan national loup sur l’ensemble du Limousin est urgente et indispensable. C’est à l’État et aux collectivités territoriales de mettre en œuvre toutes les mesures de régulation, d’indemnisation et de protection nécessaires pour préserver l’élevage paysan. »
Quant à la Coordination rurale, elle se distingue par ses positions extrémistes : « En Haute-Vienne, nous avons du plomb et du poison et nous régulerons par nous-mêmes. » Son représentant creusois a été encore plus explicite : « On invite les agriculteurs à prendre leur fusil de chasse et à tirer le loup sans rien dire. Il faut faire cela discrètement pour faire disparaître les cadavres. La Coordination rurale remboursera le plomb et le sac de chaux. » Des propos qui ont déclenché un dépôt de plainte de trois associations de défense animale.
La coexistence est-elle possible ?
Le GMHL pense qu’il ne faut pas se laisser aveugler par ce genre de positions et que beaucoup d’éleveurs sont prêts, avec l’aide des pouvoirs publics, des associations et des scientifiques, à adopter des mesures de protection des troupeaux pour poursuivre leur activité en sécurité. Le GMHL défend la place du loup gris en Limousin mais aussi le maintien d’un élevage ovin extensif participant tant au maintien de la biodiversité qu’à la possibilité de vivre et travailler sur le territoire. Il reconnaît également le droit des éleveurs à défendre leurs troupeaux (tirs de défense par exemple). Il préconise l’utilisation du triptyque classique : gardiennage, chiens et regroupement nocturne et recommande d’en adapter les règles aux spécificités du Limousin. Si le GMHL est opposé à la création d’une ZDP et aux tirs de prélèvement, il mise sur un travail de médiation et d’accompagnement auprès des éleveurs pour trouver des solutions concrètes en collaboration avec des associations telles l’association pastorale de la Montagne limousine ou l’association corrézienne des utilisateurs de chiens. Certaines pratiques d’élevage devront forcément évoluer. Ainsi, un éleveur qui a l’habitude de ne visiter qu’une fois par semaine un troupeau éloigné de 30 km de son domicile, devra, avec la présence du loup, abandonner cette pratique. Cela pose aussi des questions plus larges concernant le foncier, la structuration des exploitations et la course à l’agrandissement.
Jean-François Pressicaud
- Du nuisible à éradiquer à l’espèce vivante à protéger
Au milieu du XXe siècle le loup, pourchassé depuis des siècles, est finalement éliminé des campagnes françaises. En Limousin les derniers loups sont tués dans les années 1930. À l’époque chacun pensait que c’était un progrès notable et une victoire de la civilisation : les hommes s’étaient débarrassés d’un nuisible ! Moins d’un siècle plus tard, la prise de conscience des dégâts écologiques et des atteintes à la biodiversité conduit une part grandissante de la société à comprendre que le terme de nuisible accolé à une espèce vivante doit être rayé de notre vocabulaire et qu’il faut tendre vers un équilibre entre toutes les composantes de la vie sur terre. Pas facile certes, mais espérons que le bon sens, la bonne volonté et une meilleure connaissance conduiront à une approche apaisée des difficultés à affronter.