La méthanisation est un procédé qui vise à dégrader de la matière organique en absence d’oxygène afin d’obtenir du « biogaz » (du méthane) pouvant ensuite être utilisé comme énergie. La dégradation n’étant pas complète, le processus permet également de récupérer des résidus de matière organique (le digestat) qui peut ensuite être épandu sur des parcelles agricoles et servir d’engrais.
Les déchets organiques utilisés pour la méthanisation sont d’origine variée : effluents d’élevage (lisier, fumier), déchets issus de l’industrie agro-alimentaire, boues de stations d’épuration, résidus de culture ou déchets verts. Dans la limite de seuils définis par décret et sous certaines conditions, elles peuvent également être approvisionnées par des cultures alimentaires et des cultures intermédiaires à vocation énergétique (Cive). En effet, pour créer du méthane, le lisier ne se suffit pas à lui-même : il faut, pour cela, des substrats végétaux à potentiel méthanogène.
Le développement croissant de ces usines n’est pas sans susciter des critiques voire des résistances. Les odeurs, le trafic routier plus dense, l’impact visuel sur le paysage, les risques de pollution, les accidents industriels, la sécurité alimentaire, la santé, sont autant de problématiques qui sont actuellement portées dans le débat public et que nous résumons ci-dessous1.
Aucun organisme n’a fourni d’étude crédible – méthodologiquement irréprochable – concernant l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre de la filière biométhane. En émet-elle réellement moins que le gaz naturel ?
Nous n’en savons rien.
Ce que l’on sait, c’est que le principal gaz à effet de serre, le gaz carbonique (CO2), est émis lors de la combustion du méthane en vue de la production d’énergie. À ces émissions primaires, il faut encore ajouter les fuites de méthane survenant sur l’unité de méthanisation, ainsi que des émissions de CO2 indirectes survenant au cours du processus de production (travail des tracteurs dans les champs, traitements phytosanitaires, récolte, transport des intrants en amont et du digestat en aval). Dans les études réalisées pour GrDF, sous l’égide de l’ADEME, le « biométhane » apparaît vertueux, de cinq à dix fois moins émetteur que le gaz naturel. Certes, ces installations sont susceptibles d’éviter des émissions qui auraient été faites sans leur adoption. Il n’empêche que ces émissions contribuent aux émissions anthropiques de gaz à effet de serre, dont l’atmosphère ne sera débarrassée que dans des centaines, voire des milliers d’années. Lorsqu’on épand du fumier, on apporte du carbone au sol, lequel reste en terre de 50 à 60 ans, avant d’être transformé en gaz carbonique. C’est en ce sens que le sol constitue un « puits de carbone ». Le même carbone, si on ne le met pas dans le sol, mais plutôt dans le méthaniseur, va se transformer en gaz carbonique en moins d’un an.
Souvent vantés au titre de l’économie circulaire et des circuits courts, les méthaniseurs ne tiennent pas toujours leurs promesses. Ces installations, notamment celles de grande dimension, doivent être alimentées par un important volume de déchets et de cultures dites « à vocation énergétique » pour produire de l’énergie en continu. Cet appétit constant peut inciter à drainer des matières sur plusieurs départements, voire plusieurs régions. Les nombreux transports qu’induisent ces collectes réduisent donc les bénéfices pour le bilan carbone.
L’essor de la filière méthanisation s’accompagne d’une augmentation significative du nombre d’accidents et d’incidents, dont certains ont fait l’objet d’une ample couverture médiatique.
L’Ineris2 identifie deux grands types de risques industriels associés à la méthanisation : les risques de pollution des milieux d’une part, et les risques d’incendies et d’explosion d’autre part.
Le rejet de matières dangereuses ou polluantes est le phénomène principal rencontré dans l’accidentologie liée à la méthanisation. Les risques de pollution des milieux peuvent se traduire par des émissions gazeuses, des rejets de matières liquides ou semi-liquides ou encore des rejets d’eaux pluviales ayant été en contact avec les matières. En août 2020, dans le Finistère, le débordement d’une cuve a privé 180 000 personnes d’eau potable pendant une quinzaine de jours. En mars 2021, dans l’Orne, 2000 m³ de lisier destinés à être utilisés comme intrant se sont écoulés dans un ruisseau. Une catastrophe pour la biodiversité locale.
Des émissions de biogaz dans l’atmosphère peuvent survenir soit à l’occasion d’une fuite, notamment au niveau du système d’épuration ou des canalisations, soit en raison du dysfonctionnement de la torchère. Des émissions diffuses peuvent également intervenir lors du stockage ouvert de lisiers ou de digestats. Le rejet de biogaz dans l’atmosphère constitue un risque important de déséquilibre du bilan climatique global de la méthanisation : le biogaz qui en est issu est en effet majoritairement composé de méthane, dont le potentiel de réchauffement planétaire (contribution à l’effet de serre) est considérable : entre 28 et 34 fois plus élevé que celui du CO2 sur une durée de référence de 100 ans, mais entre 84 et 86 fois plus impactant si on raisonne sur la durée de vie d’une installation, soit 20 ans. Ainsi, seulement 2 % de fuite de biogaz (en supposant une teneur de 50 % en méthane) suffisent pour que la méthanisation ait un impact sur l’effet de serre plus fort que l’utilisation des carburants fossiles. Pour les riverains, des risques sanitaires sont liés à l’émission de gaz toxiques (ammoniac, sulfure d’hydrogène), au développement de micro-organismes potentiellement pathogènes, à la prolifération d’insectes. Des nuisances olfactives sont liées aux déchargements de fumier et de lisier, à l’ensilage des intrants, au stockage et au transport des digestats, et de façon plus générale à la mauvaise gestion des sites (exemple : fosses à ciel ouvert).
Le digestat (comme les boues d’épuration) est sorti officiellement de son statut de déchet en 2018, grâce à la loi Egalim, applicable depuis janvier 2020. Or, pour certains, ce digestat est loin d’être sans danger pour les sols. L’épandage de digestat peut présenter un risque de pollution des sols par des matières telles que les microplastiques, des résidus pharmaceutiques ou des contaminants microbiologiques. Si « l’hygiénisation » est insuffisante, ce mélange peut receler de nombreuses bactéries, potentiellement résistantes, qui vont ensuite s’infiltrer dans les sols, voire les nappes phréatiques. Par ailleurs, son intérêt pour les sols est très contesté : il est avéré qu’il peut entraîner une diminution de l’humus. Enfin, la fertilisation est rendue complexe par la nature ammoniacale de l’azote présent dans le digestat, car la valeur fertilisante du digestat rendu au sol varie en fonction du taux de volatilisation, qui peut être inconnu de l’agriculteur. L’analyse de la teneur en azote du digestat en sortie de cuve n’éclaire pas plus l’agriculteur puisque la volatilisation a lieu ensuite (pendant et après l’épandage).
La volatilisation du gaz ammoniac à l’épandage est responsable de gênes olfactives compte tenu du caractère irritant, hygroscopique et toxique de l’ammoniac. Elle est aussi responsable de la remontée en surface et de la mortalité des vers de terre.
L’attrait de cette nouvelle manne ne risque-t-il pas d’orienter et augmenter les productions au seul profit de la méthanisation ? « Aujourd’hui, cette activité est en passe de fournir aux exploitations agricoles un revenu plus important que l’élevage », alerte le Collectif national vigilance méthanisation, qui craint aussi que la concentration des projets n’entraîne une concurrence d’approvisionnement et une « guerre des intrants » sur certains territoires.
La dérive permettant les agrandissements rapides est constatée partout. Il existe de nombreux exemples de ce dévoiement permettant à de petites ou moyennes exploitations de rapidement doubler voire tripler leur cheptel et leur production. La pratique de certaines exploitations conduit à une intensification de l’élevage qui entraîne une surproduction des déchets destinés à nourrir le méthaniseur alors qu’il faudrait au contraire en produire moins. Le risque est que les agriculteurs deviennent producteurs de fumier et de lisier, ce qui oblige à enfermer les vaches en bâtiment, à faire du maïs pour les nourrir et à équilibrer avec du soja importé, bref consommer beaucoup d’énergie. Ceci s’oppose à l’enjeu de restauration du lien au sol en agriculture et à l’impératif de changement du modèle agricole et agro-alimentaire.
La méthanisation a notamment été vendue dans l’idée de transformer un effluent gênant, le lisier, en énergie. Or, le lisier est très peu méthanogène, et pour que le processus fonctionne de façon optimale, le méthaniseur aura besoin de plantes énergétiques. Autrement dit, des surfaces agricoles doivent être consacrées à la culture de celles-ci. Pour éviter que la ration des méthaniseurs n’entre trop en concurrence avec l’alimentation animale ou humaine, un décret prévoit, pour les cultures alimentaires ou énergétiques, cultivées à titre de culture principale, un plafond maximal de 15% en tonnage brut des intrants pour l’approvisionnement des installations de méthanisation. Or, ne sont pas prises en compte dans cette catégorie les cultures intermédiaires à vocation énergétique (Cive). Implantées entre deux cultures principales, les Cive (seigle, trèfle, avoine, vesce, mais aussi maïs…) servent pourtant également à nourrir le bétail. Sans compter que de nombreuses cultures sont déclarées comme Cive alors qu’il s’agit de cultures principales à vocation énergétique et non pas de cultures intermédiaires...
Les cultures à vocation énergétique peuvent dégrader le bilan carbone de la méthanisation par un changement d’affectation indirect des sols : le remplacement d’une culture alimentaire par une culture énergétique est de nature à entraîner, par rebond, une modification d’affectation du sol dans une autre zone géographique, où une prairie ou une forêt seraient par exemple remplacées par une culture alimentaire. D’autre part, le développement de cultures dédiées contribuerait à accaparer la surface agricole utile française aux dépens des cultures alimentaires, affaiblissant par conséquent notre souveraineté alimentaire.
« Trop de végétaux, qui ne sont pas des déchets, alimentent les méthaniseurs » note la Confédération paysanne. Les élevages, qui ont déjà de plus en plus de difficultés à s’approvisionner en fourrage du fait des sécheresses, entrent en concurrence avec les méthaniseurs. Cela va donc se traduire par des achats d’aliments de remplacement pour le bétail, sachant qu’une grande partie de ces aliments sera importée d’Amérique du Sud (soja) et contribuera à la déforestation et à la détérioration du bilan carbone de chaque exploitant. Des importations de l’autre bout du monde d’aliments pour animaux, justifiées par la transition écologique, un comble !
Le bilan global de la méthanisation concernant les apports en carbone organique constitue un sujet de recherche encore largement ouvert. Le carbone des intrants étant en partie dégradé dans le processus de méthanisation, se pose la question de la capacité du carbone résiduel à entretenir la matière organique du sol, lorsqu’il y est restitué sous forme de digestat. Pour certains scientifiques, la méthanisation et l’épandage des digestats vont ajouter leur contribution à l’ensemble des mécanismes qui concourent déjà depuis plusieurs décennies à la baisse du taux de matière organique des sols. La croissance des plantes peut donc, à terme, être négativement impactée par l’emploi de digestats. Le déséquilibre introduit ne peut que faire craindre l’obtention de sols déstructurés et infertiles sur le moyen-long terme. Toutefois certains experts sont d’un avis contraire : les Cive permettraient de stocker du carbone du fait de la présence des racines et des chaumes, laissés au sol. Davantage de travaux de recherche sont nécessaires pour mieux déterminer les pratiques culturales et agronomiques les plus vertueuses au regard de l’objectif d’accroissement du stockage du carbone dans les sols. Un comparatif entre la contribution sur le long terme, d’un fumier et celui d’un digestat, au stockage de carbone serait pertinent.
La méthanisation est doublement subventionnée. Elle bénéficie d’un tarif de rachat établi selon un arrêté national et de subventions à la construction. Vendu trois à quatre fois au-dessus du marché du gaz naturel, le « biométhane » bénéficie en effet d’une garantie de rachat par la puissance publique pendant 15 ans : c’est l’État qui compense la différence avec le prix du marché. Le rachat du gaz à un tarif très généreux coûte jusqu’à 10 milliards à l’Etat chaque année.
S’agissant des aides à la construction, alors que les subventions à l’agriculture dépassent rarement 50 000 euros, même pour une installation d’un jeune agriculteur, en méthanisation on voit passer des projets qui bénéficient d’un soutien de plusieurs centaines de milliers d’euros. Selon un agriculteur, également ancien conseiller en agriculture d’Emmanuel Macron, le coût public est colossal, avec un total de plus de 16,8 milliards d’euros, qui bénéficie à un petit nombre.
À titre de comparaison, le budget de la PAC pour la France pour la période 2021-2027 est d’environ 62 milliards d’euros, soit 3,5 fois plus important, alors qu’il concerne plus de 300 000 agriculteurs. L’objectif pour les pouvoirs publics est double : réduire les émissions de gaz à effet de serre, et assurer un revenu complémentaire aux agriculteurs. Dans les deux cas, la dépense est disproportionnée par rapport à l’objectif recherché : il existe des énergies renouvelables moins coûteuses et la stabilité des revenus dans le temps, due principalement à l’existence d’un tarif de rachat avantageux, est illusoire car, à terme, les aides publiques seront inévitablement revues à la baisse.
Le fol envol du business des méthaniseurs va étrangement à l’encontre de l’agro-écologie, du retour à la biodiversité, du frein à l’artificialisation des sols, prônés actuellement. Le foncier qui nous nourrit ne doit pas être pris en otage par l’agro-industrie… La FNSEA clame à juste titre que les agriculteurs sont là pour nous nourrir mais, en même temps, incite à la production de méthane et de bio-carburant, deux agro-industries gourmandes en surface agricole.
La seule méthanisation tolérable sera celle qui se fera dans des nos man’s lands, loin de tout point ou cours d’eau, avec des unités extrêmement confinées et protégées pour qu’il n’y ait ni fuites de gaz dans l’atmosphère, ni fuites de jus dans les nappes, des unités surveillées 24 h sur 24. Cette méthanisation tolérable sera celle qui n’utilisera que du déchet vrai. Donc, ni maïs, ni Cive, ni fumier. La notion de
« déchet vrai » c’est simplement ce dont on ne peut pas faire un meilleur usage. Le fumier est mieux sur le champ et le maïs est mieux pour l’alimentation.
Association Noporch 23