À deux kilomètres du bourg de Tarnac, la route menant à Peyrelevade traverse une forêt spontanée de chênes et de hêtres, un ruisseau dévale ses pentes et rejoint la Vienne en contre-bas, une grande diversité d’êtres vivants la peuplent, des chauves-souris, oiseaux, salamandres, lichens et champignons. Un matin de décembre dernier, des habitant.es des alentours ont eu la triste surprise de découvrir une partie de la forêt tout simplement rasée. Un chantier avait démarré prévoyant une coupe rase de 6 hectares de feuillus. Le Comité de défense du Bois du Chat s’est alors spontanément constitué.
Il a commencé par alerter le Parc naturel régional de Millevaches qui a aussitôt engagé une discussion avec la propriétaire lui proposant la signature d’un contrat Natura 2000, contrat lui offrant la somme de 45 000 euros pour simplement laisser vivre la forêt pendant 30 ans. Ayant refusé la proposition, la propriétaire et l’exploitant (ici la société ARGIL basée à Égletons) ont tenté de reprendre le chantier en force mais se sont heurtés à la mobilisation de nombreux habitant.es du Plateau.
Une première fois, le 13 février 2023, l’exploitant a dû renoncer à démarrer le chantier devant la détermination des opposant.es simplement et pacifiquement réuni.es sur place. Une seconde fois, le 1er mars, l’exploitant était accompagné d’un lourd dispositif policier (peloton du PSIG, brigade cynophile et présence ostensible des services de renseignements), la préfecture de Corrèze ayant déjà signifié son soutien à l’opération en empêchant par arrêté le stationnement sur les routes et chemins menant au bois. Mais là encore, la simple présence dans les bois d’habitant.es a suffi à stopper les travaux.
Depuis décembre, le comité du Bois du Chat a organisé plusieurs visites avec différentes associations naturalistes comme Le champ des possibles, la Ligue de protection des oiseaux ou le Groupe mammalogique et herpétologique du Limousin. Sous 20 centimètres de neige et dans un froid mordant, 150 personnes se sont rassemblées le 21 janvier 2023, venues de l’ensemble de la Montagne limousine, pour signifier leur opposition à cette coupe rase. Une pétition a rapidement recueilli des centaines de signatures. Le conseil municipal et le maire de Tarnac ont été alertés mais ont jusqu’ici refusé de se saisir du dossier, se retranchant derrière la légalité du chantier. Une légalité pourtant contestable sur bien des aspects : le franchissement du ruisseau n’a pas été protégé, la rampe de débardage n’est pas conforme aux exigences et le plan de gestion comporte des irrégularités. Une mise en demeure a ainsi été adressée à l’exploitant.
À l’heure où les monocultures de résineux souffrent sous l’effet des sécheresses et des parasites, les forêts autochtones sont les mieux à même de résister au changement climatique et d’offrir un refuge à une biodiversité en effondrement partout ailleurs. Le cas du Bois du Chat est emblématique d’un système pernicieux, soutenu par des politiques publiques qui subventionnent les plantations et encouragent les coupes rases, au détriment des engagements de l’État en matière de biodiversité. C’est pourquoi cette lutte bénéficie également de soutiens notables de la part d’élus locaux et nationaux prêts à exiger la reconsidération des politiques forestières et engager un débat avec les professionnels de la filière.
Les positions du Comité du Bois du Chat ont été clairement exprimées en janvier dans le texte Une ligne rouge en forêt, dont voici quelques extraits :
« La propriété privée des forêts en particulier, comme la législation en général, souvent évoquées pour légitimer le statu quo, doivent être repensées si elles veulent rester conciliables avec la survie, le bien-être et l’interdépendance des communautés humaines et non-humaines. Les conséquences de l’exercice de ce droit de propriété sur le sol, l’eau, la faune et le paysage ne peuvent pas retomber sur la collectivité. Nous pouvons y réfléchir ensemble.
Malgré les dégâts et la violente dégradation des pratiques sylvicoles que les rapports de force économiques engendrent, nous voulons exprimer notre soutien à la majorité des travailleuses et travailleurs forestiers qui connaissent et aiment la forêt dont ils dépendent. Comme dans la plupart des métiers actuellement, ces personnes sont acculées vers des pratiques qu’elles savent nocives à long terme. À nos amis forestiers, nous n’avons rien à apprendre et n’avons pas de reproches à faire : la pression exercée sur eux par l’économique et l’écologie lunaire des politiques publiques sont déjà difficilement supportables. Ce que nous cherchons au contraire c’est à faire entendre les confidences qu’ils nous font, à l’écart du vacarme des chantiers qu’il faut finir coûte que coûte pour ne pas payer de pénalités contractuelles d’approvisionnement, ils nous disent clairement : une coupe rase de feuillus spontanés n’est pas bonne, ni pour la terre, ni pour les arbres, ni pour eux, ni pour les propriétaires et encore moins pour les générations futures, c’est un saccage de la terre comme du métier.
D’un côté, les politiques publiques soutiennent à grands frais une vision de l’écologie à court terme encore inspirée de l’exploitation minière : en récoltant d’un seul coup tout le bois d’une parcelle avec ces méthodes d’un autre âge, les exploitants ont sévèrement altéré l’écosystème pour les 150 ans à venir. [...]
Notre objectif n’est pas tant de montrer du doigt tel ou tel professionnel, les coupes rases de feuillus spontanés étant devenues monnaie courante, mais de montrer les effets concrets des rapports de forces financiers qui mènent une profession au suicide. Nous sommes déterminés à maintenir et multiplier ce type de blocage tant qu’une solution ne sera pas trouvée avec les pouvoirs publics pour réguler intelligemment une concurrence au service des savoir-faire de terrain, de la forêt et des générations futures et desserrer l’étau dans lequel la profession et la forêt sont prises.
Alors qu’elle reste le modèle dominant en Nouvelle-Aquitaine, et notamment sur la Montagne limousine, la pratique des coupes rases est très sévèrement encadrée, voire interdite, chez nos voisins suisses, belges, allemands, autrichiens, slovènes et italiens. C’est donc qu’un changement des pratiques est viable pour la filière. L’économie, qui jusque-là nous maintenait les uns contre les autres, n’est pas un obstacle : pour preuve, les prix peuvent s’adapter, ils ont presque doublé en 2022, certaines entreprises aux pratiques raisonnées sont d’ores et déjà financièrement viables et nous pouvons nous protéger de certaines logiques financières à l’aide de règles et compensations que notre détermination commune doit imposer. L’élaboration des lois est toujours l’expression d’un rapport de forces, et celui-ci pourrait évoluer dans les temps à venir car bien des territoires appellent un changement. »
Une habitante de Tarnac,