Notre association, Carduelis, espérait le retour du Loup gris sur nos terres depuis de nombreuses années, plus exactement depuis 2017, année qui avait vu revenir cette espèce, mais seulement de passage, en dispersion. Nous connaissons le Loup gris pour le pister à de nombreuses reprises ces dernières années. Nous allons en Espagne, en Italie, dans le sud de la France à sa recherche...
En décembre 2021, un loup était (enfin !) repéré sur le plateau de Millevaches, un mâle solitaire recolonisant de façon naturelle son territoire d'antan. Pour la première fois depuis des décennies, celui-ci avait choisi de s'y cantonner l'hiver suivant, en 2022. La présence de cette espèce deux hivers de suite dans le même secteur est alors considérée comme créant une zone de présence permanente (ZPP). C'est pour nous une chance formidable de pouvoir ainsi suivre le loup tout près de chez nous.
La région avait eu le temps de se préparer à cet éventuel retour. Depuis 2017, des réunions avaient eu lieu, un Groupe Loup s'était formé et le Parc naturel régional (PNR) de Millevaches créait un poste missionné pour le suivi du loup. Au sein de Carduelis, en tant qu'association naturaliste du Limousin particulièrement intéressée par cette espèce, nous faisions également notre suivi depuis plusieurs mois. Plusieurs contacts indirects avaient eu lieu, parvenant ainsi à localiser plus précisément sa présence. Ainsi, les 26 et 27 avril derniers, nous avions un nouveau et dernier contact, heureux de savoir que ce loup survivait, sain et sauf...
Mais, le 11 mai 2023, ce fut la consternation ! Nous avons été très touchés et attristés d'apprendre que ce loup avait été abattu ! Et très en colère de constater une fois de plus que tant de bêtise subsistait dans notre humanité. Car voilà l'unique voie choisie par nos politiques, l'élimination pure et simple d'un animal, à l'heure où la biodiversité s'effondre et que nous n'avons jamais eu tant besoin d'une nature préservée, sauvegardée, respectée.
Ce 11 mai 2023, 300 à 400 heures de traque, avec des armes appropriées pour la vision nocturne (tout cela payé par nos impôts), ont fini par avoir raison d'un loup solitaire qui ne faisait que passer près d'un troupeau ! Le président de la Chambre d'agriculture de Corrèze, Tony Cornelissen, affirme dans un article de La Montagne daté du 13 mai : « Il allait passer à l'acte. Il était près d'un troupeau ». Ils ont tué un loup qui passait simplement près d'un troupeau ! C'est aberrant ! Pourquoi ne pas avoir utilisé raisonnablement l'effarouchement ? Cela aurait suffi à éloigner le loup et à l'effrayer... Pourquoi l'éleveur n'avait-il pas de chiens de protection si son troupeau était en danger, plutôt qu'un âne, inutile la plupart du temps face à un loup ? Pourquoi ne pas essayer de rentrer ses animaux la nuit ? Pourquoi pas un berger pour rester auprès des bêtes si celles-ci étaient réellement menacées ? Toutes ces interrogations sont légitimes, car l'État soutient les éleveurs en France, et très largement... Nous ne disons pas que cela est facile, simplement que les solutions existent et qu'elles sont soutenues financièrement dans notre pays ! Pourquoi ne pas apprendre de nos voisins européens ?
Il suffit de se rendre en Espagne ou en Italie, pour ne citer que nos plus proches voisins, pour réaliser que nous sommes le seul pays où les loups posent à ce point problème ! Nous y sommes allés, avons observé, parlé avec des éleveurs là-bas et nous affirmons donc que notre façon d'aborder le retour du loup en France et dans notre région est proprement scandaleuse. Et hypocrite.
Car une situation similaire arrivera de nouveau, tôt ou tard... En effet, le Loup gris est une espèce qui, pour survivre, se disperse en parcourant parfois de très grandes distances. Les jeunes loups quittent un jour la meute qui les a vus naître et partent à la recherche d'un nouveau territoire. Un territoire où ils trouveront de l'espace, de la nourriture, des lieux de tranquillité pour le repos et pour, un jour prochain, quand l'heure sera venue, éventuellement fonder une meute. Le Limousin possède tous les atouts pour accueillir une espèce comme le loup ! Des surfaces immenses inhabitées, des cerfs, des chevreuils, des sangliers pour se nourrir (la nature est ainsi faite que le couple prédateur/proie se régule parfaitement tout seul quand la chaîne alimentaire est au complet. Dans ce cas, les chasseurs n'ont rien à faire, surtout pas à réguler !). Ne faut-il pas simplement chercher à se préparer intelligemment à la présence du loup ou veut-on continuer à éliminer tout ce qui est vivant sous prétexte de dérangements ?
Là aussi l’article de La Montagne du 13 mai s'achève sur une autre citation de Tony Cornelissen qui affirme, sans contradiction aucune et à notre plus grande consternation, que le soulagement est là mais que la vigilance s'impose car « des jeunes loups ont été filmé... » À Carduelis, très surpris par cette affirmation qui prouverait la reproduction du Loup gris en Limousin, nous avons contacté le président de cette Chambre d'agriculture afin de pouvoir visionner cette fameuse vidéo... Affirmer sans prouver peut s'avérer mensonger... Trois mails n'y ont rien fait, aucune réponse du président, aucune preuve apportée, aucune image. Cette affirmation sans preuve dans un journal très lu dans la région est simplement inventée : aucun cas de reproduction de loup n'a été découvert en Limousin, ni par le PNR, ni par l'Office français de la biodiversité (OFB), ni par nous-autres associations naturalistes, tous sur le terrain...
Nous avons demandé un droit de réponse à La Montagne et un article est de nouveau paru sur le site du journal le 20 juillet 2023 « En Limousin, sera-t-on prêt à l'avenir à laisser sa part au loup ? ». M. Cornelissen y est pleinement démenti, et cette fois par l'OFB ! Halte aux mensonges ! Et là, soudain, une réaction ! Ce monsieur a enfin pris son téléphone, non pour nous parler, mais pour engueuler la journaliste de La Montagne ! C'est le chef d'édition qui lui a heureusement rappelé ce qu'est la liberté de la presse, même locale !
Il faut aussi parler de l'intervention du président de la Chambre d'agriculture de Haute-Vienne cette fois, Bertrand Venteau, sur France 3 Limousin, sur le plateau du 19/20, le 22 Mai 2023, à une heure de grande écoute. Cet homme appelle carrément à éliminer les loups, même individuellement, affirmant en guise d'introduction que le loup a été réintroduit en France ! Non seulement le loup est revenu naturellement en France depuis l'Italie en 1992, cela est reconnu depuis 30 ans, mais le loup est surtout une espèce protégée au niveau européen, et censément par la France. Oui, censément. Car tuer un loup est normalement interdit par la loi française et cela devrait être condamné !
Et pourtant... Dans notre pays, on tue les loups sur autorisation dérogatoire des préfectures ! Le plus souvent sans rechercher l'efficacité pour la protection des troupeaux, mais uniquement dans un but politique, afin de « calmer » les opposants à la présence du Loup gris. Le loup porte malheureusement toujours en lui cette dimension de fabulation qui fait passer à certains leurs fantasmes pour des réalités, allant même jusqu'au complotisme quand on les entend parler régulièrement de réintroductions cachées ! Le Loup gris n'est ni plus ni moins qu'une espèce animale comme les autres, une espèce qui devrait être prioritaire tant sa présence est salutaire et le signe d'une nature en bonne santé. Faut-il rappeler que la place d'un super prédateur dans la nature est primordiale ? Faut-il encore dire que l'équilibre et le maintien des chaînes alimentaires permettent la vie sur cette planète dans toute sa diversité depuis la nuit des temps, et que le super prédateur en est le pilier ? Malgré ce que prétendent toutes ces personnes, malgré certains loups traversant le Limousin en dispersion, il faudra maintenant des années pour qu'un nouvel individu se réinstalle de façon régulière dans notre région... Ce n'est donc pas du tout un loup parmi tant d'autres qui a été abattu, mais un individu solitaire, n'en déplaisent à tous ceux qui hurlent leur soulagement !
Nos voisins italiens nous ont un jour parlé de « la part du loup ». Partager avec le loup, cela devrait nous inviter à une profonde réflexion dans un pays comme le nôtre. Dans les Abruzzes (voir encadré), les bergers considèrent que les prédations ponctuelles imputées au loup font partie de la vie. Certes, là-bas, les loups n'ont jamais disparu et ont toujours cohabité avec les hommes. Chaque éleveur est responsable de ses animaux, il les protège, parfois avec des chiens, parfois avec des bergers, souvent les deux, et ce dans des espaces immenses. Là-bas, les loups, bien plus nombreux, ne font pas tant de dégâts que ça. Tout porterait à penser que les loups français seraient alors bien singuliers... Ou ne serait-ce pas tout un système qui profite de ce retour du loup pour l'ériger en bouc émissaire et comme seul et unique coupable de tous les maux des éleveurs français, ce qui pourrait bien rapporter gros à certains.
Ici, en Limousin, il ne faut pas croire que tous les éleveurs sont contre la présence du loup. Nombreux sont ceux qui ont compris la nécessité d'une cohabitation pacifique et réfléchie avec un élément indispensable de la biodiversité, l'un deux est même abonné à notre revue naturaliste La Cardère (1) ! Mais, comme toujours, nous n'entendons que ceux qui crient le plus fort, et pas forcément les plus ouverts à l'avenir responsable de leur profession...
Alors qu'attendons-nous pour retrouver la raison et à apprendre à vivre en harmonie avec l'ensemble du vivant, même et surtout avec, à nos côtés, ces animaux fabuleux et pourtant trop rares que sont nos super prédateurs ?
Carmen Munoz Pastor et Vincent Primault de l'Association Carduelis