Les associations environnementales du Limousin interpellent les préfectures.
En novembre 2023, l'En'Duo d'Aubusson, a été l'occasion de vifs échanges entre motards et défenseurs de l'environnement qui s'opposaient au passage des 450 motos en course sur certains lieux sensibles (zones humides en particulier). Cette affaire révèle que l'usage de la nature et du territoire n'est pas envisagé par tout le monde de la même manière. La question ne se pose pas pour les seuls sports motorisés, mais pour toutes les activités sportives qui mobilisent un nombre important de personnes sur un même lieu, au même moment. Le Parc naturel régional est du reste mobilisé sur cette question, comme d'autres parcs ailleurs en France, et il a engagé des échanges sur ce sujet avec l'État, via les DDT (Directions départementales des territoires). De leur côté, six associations limousines se sont rencontrées pour réfléchir sur les moyens à mettre en œuvre afin d'avancer de manière constructive vers une meilleure prise en compte des questions environnementales par les organisateurs de ces manifestations sportives. Elles ont adressé en juin dernier une lettre aux trois préfectures de Corrèze, Creuse et Haute-Vienne, pour faire entendre leur point de vue et proposer d'ores-et-déjà des procédures plus exigeantes pour que les incidents de novembre dernier ne se reproduisent pas. Nous publions ici ce courrier.
Madame la préfète de la Haute-Vienne,
Madame la préfète de la Creuse,
Monsieur le préfet de la Corrèze,
Les signataires de cette lettre sont engagés sur le territoire du Parc naturel régional de Millevaches en Limousin, et plus généralement sur l'ensemble du Limousin, dans des actions de protection ou de valorisation de l'environnement. Depuis de nombreuses années, ils interviennent pour mieux connaître ses richesses naturelles, les faire partager au plus grand nombre par des actions pédagogiques, mais aussi pour les préserver et les protéger, et cela, dans la mesure du possible, en lien avec les autres acteurs et usagers du territoire. Ils promeuvent également des pratiques plus respectueuses et moins destructrices dans l'usage des ressources de notre région comme la forêt, le bois ou l'eau.
Depuis plusieurs années, nous constatons que les loisirs et sports de pleine nature bénéficient d'un engouement du public. Par leur fréquence et le nombre de personnes concernées, des manifestations de cet ordre posent des questions qui ne sont pas toujours gérées et résolues de la manière la plus adaptée. Nous en avons eu un exemple regrettable en novembre dernier avec l'En'Duo d'Aubusson, cette course de plus de 400 motos sur 150 km dont le circuit a traversé des zones sensibles qu'il eût été préférable d'éviter, comme le ruisseau du Pic à proximité des cascades d'Augerolles ou comme les sources du Thaurion. Vous connaissez les événements qui ont conduit les organisateurs de cette course à devoir la suspendre au milieu de son déroulement. Nous nous interrogeons sur les moyens d'éviter que ne se renouvellent de tels incidents qui, par ailleurs, ont généré des tensions entre habitants du territoire.
« Il nous paraît clair que les regroupements massifs d'engins motorisés ne pourront plus perdurer si l'on prend au sérieux les enjeux environnementaux »
Nous sommes persuadés que les regroupements massifs d'engins motorisés, les courses de voiture (comme feu le rallye du Limousin), de quads ou de motos (comme l'En'Duo), n'auront à terme plus de légitimité au regard des enjeux considérables que posent le changement climatique, la baisse de la biodiversité, la vulnérabilité de la ressource en eau, le nécessaire chemin que nous devons entreprendre vers une société plus sobre et moins consommatrice d'énergie. Il nous paraît clair que de telles pratiques ne pourront plus perdurer si l'on prend au sérieux les enjeux que nous venons de rappeler.
Pour autant, nous sommes conscients que cette direction heurte des habitudes et des usages qu'il n'est pas question aujourd'hui de proscrire de manière autoritaire. Il faut au contraire accompagner les organisateurs et pratiquants de ces sports de pleine nature, qu’ils soient motorisés ou non, vers une modification de leur pratique et les amener progressivement à prendre conscience des limites qui, indubitablement, s'imposeront dans l'avenir. Il ne s'agit donc pas de stigmatiser des individus ou des manifestations, mais tout simplement de revoir avec eux les conditions d'exercice de leur loisir. Pour cela, les services de l'État ont un rôle important à jouer qui peut, à nos yeux, être amplifié et enrichi au-delà des seules contraintes légales aujourd'hui définies. Nous pensons, pour notre part, pouvoir contribuer à l'évolution positive des pratiques concernées dans les années à venir. Dans cet esprit nous imaginons la rédaction d'un guide ou d'un document de communication qui pourrait être largement diffusé sur le territoire auprès de tous ses usagers.
Mais, dans un premier temps et avec une certaine urgence, il nous semble important de se fixer, en lien avec vos services, des procédures plus exigeantes et transparentes pour préparer et autoriser de nouvelles manifestations sportives d'envergure sur le territoire du Parc naturel régional. Ainsi, nous proposons :
- Que vos services s’assurent que les dossiers nécessaires à ce genre de manifestation soient complets, y compris avec un tracé géoréférencé et numérisé du circuit envisagé de façon à faciliter le travail des gestionnaires Natura 2000.
- Que ces derniers aient accès à l'ensemble du tracé sur le site internet national www.manifestationsportive.fr lorsque celui-ci est utilisé à cet effet.
- Que le dossier soit transmis le plus vite possible aux gestionnaires Natura 2000 et au Parc naturel régional ainsi qu'aux mairies concernées, dans des délais permettant une analyse précise du dossier et la prise en compte de leurs remarques et recommandations avec, éventuellement, des prescriptions à respecter par les organisateurs.
- Que les services préfectoraux incitent les porteurs de projet à contacter directement les gestionnaires Natura 2000 et le Parc naturel régional en amont de leur demande, avant même de déposer leur dossier en préfecture.
- Que les services préfectoraux demandent les noms des propriétaires ayant donné leur accord lorsque le tracé passe sur des parcelles privées (et ne pas se contenter de la case à cocher par l’organisateur).
- Qu’un contrôle de l’effectivité des mesures de limitation de l’impact environnemental, comme des passerelles de franchissement de cours d’eau, prises par l’organisateur, soit réalisé
- Que l'avis négatif des communes pour le passage sur leur territoire soit respecté et que les tracés soient modifiés en conséquence.
- Qu’à l'issue de la manifestation, une évaluation de ses effets soit réalisée afin de constater les éventuelles dégradations, dans le souci de les éviter à l'avenir. La responsabilité des organisateurs pourraient être engagée en cas de dégradation importante avec une nécessaire réparation ou compensation.
Ces propositions sont évidemment à préciser ensemble et des pistes complémentaires peuvent sans doute être ajoutées. Nous sollicitons donc une rencontre avec vos services pour étudier les modalités de mise en œuvre de tels dispositifs et renforcer ainsi la meilleure protection des richesses dont nous sommes les dépositaires-usagers.
Associations signataires :
Limousin Nature Environnement
France Nature Environnement Creuse
Ligue de Protection des Oiseaux du Limousin
Conservatoire des Espaces Naturels de Nouvelle-Aquitaine
Syndicat de la Montagne limousine
Corrèze Environnement