L’objectif de la loi d’accélération est de rattraper le retard en matière de production d’énergies renouvelables (EnR). En 2020, la France était le seul pays européen à ne pas avoir atteint ses objectifs (19% au lieu de 23% prévu). L’enjeu est d’importance puisqu’il s’agit de décarboner notre mix énergétique et de réduire notre dépendance aux énergies fossiles, jusqu’à atteindre la neutralité carbone en 2050.
Pour rappel, les 2/3 de notre consommation énergétique finale sont encore d’origine fossile (sans compter les émissions importées avec les biens de consommation). L’indépendance énergétique souvent vantée ne correspond qu’à la part électrique de ce mix, soit 25 % de la consommation finale. Le nucléaire pèse pour 70 % dans ce mix électrique (dans le meilleur des cas), soit 17,5 % dans la consommation d’énergie du pays. Quand on sait le défi industriel qui attend la filière pour maintenir et renouveler le parc actuel, on comprend que le nucléaire ne peut en aucun cas constituer une solution de décarbonation – tout au plus un amortisseur.
La voie de la décarbonation passe inévitablement par la réduction de la consommation (sobriété + efficacité des systèmes) et l’électrification des usages. En bref : diminuer la consommation globale d’énergie et augmenter la production électrique. Ce qui implique de déployer massivement les EnR. C’est ce que préconise RTE dans son rapport de 2021 « Futurs énergétiques 2050 », vision que l’État s’est manifestement appropriée, en choisissant le scénario de la relance du nucléaire.
Ainsi, la loi d’accélération de 2023 ambitionne de porter à 33% la part d’EnR à l’horizon 2030, en multipliant par 10 la production solaire, par 2 la production éolienne et en créant 50 parcs éoliens en mer. La loi invite à mobiliser en priorité les terrains artificialisés, tout en divisant le temps d’instruction et en limitant la possibilité de recours contre les projets… Soit l’invitation à la vertu environnementale en même temps qu’une plus grande liberté à dégrader.
L’État sait que ces objectifs ambitieux en matière d’EnR ne pourront pas être atteints sans la coopération des territoires et « l’acceptation » des projets par les habitants. Les communes sont donc sollicitées pour se positionner sur les zones où elles souhaitent voir s’implanter des centrales photovoltaïques, des éoliennes, des méthaniseurs, etc.
Cela doit permettre de faire les comptes, au niveau départemental, puis régional. L’addition de toutes les zones identifiées vont-elles permettre d’atteindre les TWh supplémentaires attendus ? Si oui, alors les communes pourront ensuite définir des « zones d’exclusion » pour les EnR. Si non, les Préfets se feront plus insistants, et le risque est grand de se voir imposer des projets.
La mairie de Felletin a été démarchée à plusieurs reprises par des développeurs photovoltaïques (PV). À chaque fois, la proposition consiste en une centrale au sol d’un ou plusieurs hectares, sur des terrains agricoles ou inscrits dans la zone d’activité, avec la promesse d’un (maigre) loyer pour les propriétaires des parcelles et de retombées fiscales pour la communauté de communes et le département.
Nous avons étudié ces projets, avec l’appui de la communauté de communes Creuse grand sud et du PNR Millevaches, et avons choisi de ne pas y donner suite. Outre leur impact paysager négatif, nous refusons de mobiliser des terres agricoles pour la production d’énergie, pas plus que nous ne souhaitons sacrifier des parcelles réservées pour le développement économique et la création d’emplois. La production d’énergie ne doit pas entrer en concurrence avec les usages déjà existants des sols. La priorité doit aller aux surfaces déjà artificialisées, comme les friches, les toitures et les parkings. Cette position est en accord avec la doctrine du PNR qui proscrit le PV au sol, et envisage l’agri-voltaïsme et le PV flottant à titre expérimental seulement.
Nous tenons également à ce que les gains économiques générés par les installations bénéficient au territoire, ce qui n’est jamais le cas dans les projets qui nous sont présentés. Pour assurer des retombées significatives, il convient de développer des projets communaux ou citoyens, et favoriser l’initiative privée locale.
Le partage de la valeur est l’une des revendications portées par l’Association des maires ruraux de France à l’occasion du Grand atelier pour la transition écologique auquel j’ai participé au printemps dernier : les communes rurales sont disposées à prendre leur part dans la transition écologique, car c’est dans les campagnes que se trouvent les ressources et les biens communs naturels : l’eau, le bois, les terres agricoles… et l’espace ! Mais elles ne veulent pas subir : les communes doivent décider des projets qui se font ou non sur leurs territoires et bénéficier des retombées économiques. Non à la fuite des bénéfices !
La commune de Felletin étudie actuellement l’opportunité de poser des panneaux solaires sur la toiture des ateliers municipaux. La toiture actuelle est amiantée et passablement dégradée, le photovoltaïque pourrait permettre de transformer une charge en investissement, ou au moins de limiter la facture. Un montage en « autoconsommation collective » est à l’étude : l’énergie produite pourrait être consommée par les autres équipements municipaux, ou d’autres clients localement (jusqu’à 20 km en zone rurale).
L’ancienne décharge municipale présente également un potentiel de production solaire, à condition de pouvoir résoudre une question administrative : l’arrêté d’exploitation de la décharge de 1985 stipule que le site devra ensuite retourner au domaine agricole (!) ce qui compromet pour l’instant un éventuel projet. Des projets privés sont déjà réalisés (toitures du bâtiment de la Petite vitesse à la gare de Felletin et des entrepôts de la ressourcerie Court-circuit), d’autres sont programmés (toiture de la future extension d’Intermarché et ombrières dans le quartier de la gare).
Tous les sites ne se prêtent pas aux panneaux solaires : outre l’intégration paysagère et les éventuels impacts environnementaux, il faut étudier l’orientation et l’exposition, chiffrer la distance pour le raccordement au réseau électrique, vérifier que la puissance est disponible sur le transformateur visé, et si c’est une toiture, il faut s’assurer que la charpente est apte à accueillir des panneaux, et dans le cas contraire, budgéter un renforcement de structure.
Enfin, il convient de composer avec l’avis des Architectes des bâtiments de France (ABF) qui œuvrent utilement à la préservation du patrimoine bâti et du caractère ancien des centres bourgs. Néanmoins, si l’on veut faire avancer la transition énergétique, avec des projets économiquement viables, tout ça sans grignoter les terres agricoles, les forêts ou les zones naturelles, une évolution des doctrines des ABF est nécessaire. Un regard un peu plus bienveillant est attendu sur le solaire en toiture (PV ou thermique), sur lequel les développeurs rechignent à aller à cause des trop faibles gains, alors que le potentiel est immense et accessible aux petits propriétaires. Une meilleure prise en compte des panneaux solaires dans le paysage urbain doit être possible sous condition d’intégration harmonieuse. De la même façon, alors que la rénovation du bâti est une priorité, aussi bien pour les économies d’énergie que pour lutter contre la précarité et le mal-logement, et que les opérations de rénovations sont déjà extrêmement contraintes et onéreuses, certaines prescriptions des ABF achèvent de dissuader les propriétaires. C’est ainsi que des projets de rénovations tombent à l’eau – quand ce n’est pas la maison qui finit par tomber en ruine ! Là où l’urgence nous commande aujourd’hui d’agir, l’empilement des contraintes, en plus de générer du ressentiment, est source d’épuisement et d’inertie.
L’État semble enfin s’être saisi de la question énergétique à l’aune des enjeux climatiques. Si imparfait qu’il soit, un plan d’action commence à se dessiner pour électrifier le mix énergétique, et il faut reconnaître que c’est une bonne nouvelle.
En revanche, le volet sobriété est toujours au point mort. S’il est désormais entendu que la sobriété fait partie intégrante de la solution (cf l’ADEME et feu le ministère de la transition énergétique), on n’entrevoit aucune traduction concrète au-delà de la sensibilisation aux gestes individuels. Il faut dire que l’on voit mal comment articuler la nécessité de la sobriété avec l’idéologie de la croissance. Si rien n’est fait dans ce sens, le risque est grand d’aboutir à ce que redoutent les critiques du concept de Transition : un empilement des consommations d’énergie au lieu d’une véritable décarbonation. L’accroissement de la production électrique sans la sobriété serait le pire scénario, celui de la fuite en avant.
Olivier Cagnon