On notera l'évolution de vocabulaire: en assimilant l’ensemble des habitats légers à de simples cabanes, on nie la complexité et l’adaptabilité de ces habitats. D’ailleurs, les médias les moins précis ou les plus réactionnaires, sautent le pas allègrement en assimilant l’ensemble de l’habitat léger à l’illégalité. Pendant ce temps, dans certains endroits les hélicoptères tournent en rase-motte pendant que des campagnes d’inventaire sont menées par les mairies, ne présageant guère d’un allègement des pressions administratives.
Oui, pourquoi l’État veut-il lutter aussi activement contre l’habitat léger ? A-t-il effectivement cessé de se poser des questions écologiques et de sobriété dans nos modes de vies (même si les macronistes tentent effectivement d’enterrer l’écologie)? N’y-a-t-il plus de difficultés de logement sur nos territoires ? Le droit au logement a-t-il été aboli ? L’État a-t-il débloqué de vrais crédits pour rénover nos vieux centres bourg ? Disons-le clairement, il s’agit plutôt d’une politique d’aménagement pour prévenir l’installation de populations précaires et/ou alternatives dans nos campagnes, une manière d'éviter que de telles personnes s’installent et fassent vivre nos territoires, ce qui interroge l’avenir du rural. À l’heure où les lotissements ne font plus rêver et où les bâtiments les plus anciens, faute de rénovation, s’ef- fondrent, l’État décide d’aller lutter prioritairement contre l’habitat léger !
Dans plusieurs endroits, on voit cependant apparaître de nouvelles réflexions ou réalisations. Par ici un éco-hameau qui intègre l’habitat léger dans ses plans. Dans certaines communes, on réfléchit ensemble à l’implantation de nouvelles zones d’habitats légers. Ailleurs on réalise des chartes communales pour encadrer les installations et proposer des réponses adaptées au territoire. Bref, d’une manière générale, on privilégie le dialogue entre habitant.es et élu.es plutôt qu’une voie répressive. On pourra toujours rétorquer, qu’il y a un droit et qu’il doit être appliqué, mais le droit doit toujours être au service des populations, pas contre elles, surtout s’il débouche sur la destruction de demeures.
Rémi N'Guyen Van
Témoignage : A Saint-Moreil, la gendarmerie fait de la "pédagogie"
Ça se passe dans la Creuse, dans une commune de 200 habitants où quelques personnes ont choisi l'habitat léger pour échapper à la pression d'un loyer en ville, parce qu'ils n'ont pas les moyens d'acheter une maison, parce qu'il n'y a rien à louer ici, parce qu'ils ont envie d'un autre rapport à l'habitat, parce que...
Alors la préfecture envoie son émissaire pour faire de la «pédagogie» et nous expliquer le droit de l'urbanisme. C'est l'école à la maison, l'école à la yourte, l'école à la
cabane, version préfectorale. Il y a une enseignante mais pour que la leçon rentre il y a les sbires, cinq pandores, LBD en bandoulière pour chacune des visites, des fois que le jardinier transforme sa grelinette en bazooka...
Et voilà comment il le vit le maraîcher la venue des pandores.
Ce matin, c'est jour de récolte pour le «petit marché» du jeudi soir. 17 commandes à honorer. Je suis impressionné. Le «petit marché» lancé quelques années plus tôt à la suite du drive fermier lancé pendant le confinement de 2020 constitue désormais un débouché sérieux pour ma petite production maraîchère. Je charge les cagettes vides dans le coffre de ma voiture, quelques centaines de mètres séparent la maison du jardin. Je démarre, mes pensées aux radis, laitues, poireaux et autres plantes qui rempliront les cagettes. Quelques secondes et je tombe nez à nez devant une voiture de gendarme stationnée, moteur arrêté, dans le virage... Devant ma cabane située à cinquante mètres de la maison. Je ralentis, hésite, poursuis un peu choqué. Que
font-ils là? Arrivé au jardin, je regrette de ne pas m'être arrêté pour le leur demander. Je me doute bien de la raison de leur présence: cet hiver, sur les panneaux d'information municipaux, on a pu lire cette notice d'information préfec- torale au sujet de la lutte contre la cabanisation, nouvelle plaie des temps modernes, menace pour le territoire. Ambiance! Jusqu'où cela ira-t-il? La prison? Le goulag?
Arrête la parano, David. Allez, pense à autre chose, et c'est parti pour les bottes de radis. Je suis un peu triste, je me remémore la passion qui m'animait lorsque je me suis mis à construire ma première cabane, enfourchant le vélo une fois les devoirs (vite) faits pour rejoindre un taillis à un kilo- mètre environ du village. Des branches mortes, de la fou- gère. De la corde, de l'imaginaire. Avant la grandeur nature, il y avait les légos, et aussi les coussins, les draps et autres meubles qui bien agencés constituait un abri intime dans le salon ou dans la chambre, un décor pour se raconter des histoires.
Je ne cultive donc pas que des légumes. Depuis tout petit, je cultive l'art de la cabane. Et ça ne m'a pas lâché. Depuis plus de quarante ans, je construis des cabanes parce que ça me fait du bien ! Je me surprends souvent après une session de cabanage à rester béat de longs moments à contempler mon œuvre en construction. Elles sont plus ou moins éphémères. Là n'est pas l'essentiel. C'est ma façon à moi de créer, de rester fidèle à l'enfant que j'étais, de rester vivant dans un monde qui m'angoisse de plus en plus. Je me sou- viens de toutes.
La cabane scrutée par les gendarmes ce matin, je l'ai construite entre 2015 et 2016 entre les séances de désherbage des carottes et les récoltes de haricots. C'est la cab'anicca (Anicca, c'est le mot Pali pour désigner l'impermanence : j'aime me rappeler que toute chose est amenée à disparaître, y compris cette cabane qui n'est pourtant pas la plus éphémère de mes créations); Elle est habitée par un petit bouddha en bronze, on y médite souvent. Elle sert aussi régulièrement d'espace de réunion et ponctuellement d'hébergement passerelle (en ce moment, elle abrite provi- soirement deux jeunes personnes qui souhaitent s'installer sur la commune pour rejoindre la dynamique collective autour des terres agricoles louées par l'association les Tis- serands). Autre détail, elle a ses papiers: son permis de construire qui m'a coûté plus cher que les matériaux. J'ai donc l'honneur de payer des impôts fonciers pour cette construction. Mais alors, pourquoi les gendarmes étaient-ils stationnés devant la cab'anicca ce matin ? Suis-je coupable de quelque délit ?
Je suis passé à l'arrachage des poireaux lorsque je reçois un coup de fil. Les forces de l'ordre circulent dans tout Saint-Moreil. Au moins une vingtaine de gendarmes répartis dans cinq véhicules sont venus intimider les personnes qui sont en cours de démarches administratives pour l'installation d'une yourte, d'un mobil-home ou d'une cabane. Nous sommes donc devenus des ennemis d'État ? Condamnés à habiter entre des parpaing ? Une personne de la DDT (Direction départementale des territoires) que nous étions allés voir à Guéret quelques mois plus tôt pour essayer de trouver une solution afin de prolonger l'installation d'une yourte dans un jardin attenant à une maison achetée en commun le temps de travaux nécessaires ne semble pas à l'aise ainsi escortée. Elle tente de rassurer les copaines : il s'agit d'une «démarche pédagogique».
Je termine vite mes récoltes et à midi trente environ, je me rends à la mairie pour comprendre. Le maire vient de partir. Il reste un fourgon et trois gendarmes.
«- Est-ce que je peux connaître la nature de votre mission ce matin dans notre village ?
– Non, je n'ai rien à vous dire, vous n'êtes pas le maire. Circulez!
– Mais vous comprenez que nous sommes inquiets face à ce déploiement anormal de forces policières dans notre village ?
– Vous devriez au contraire vous sentir en sécurité.
– Et bien non, je n'ai pas envie de vivre dans un Etat sécuritaire.
– Et bien vous n'avez qu'à changer de pays !
– Ok...»
Celui qui semble être le chef évoque même les prochaines échéances électorales comme moyen qui nous resterait pour faire changer les lois, l'air à la fois confiant et méprisant : les sondages annoncent une victoire écrasante du RN aux Européennes !
Voilà l'ambiance dans un petit village du sud-ouest creusois un jour de printemps 2024. Nous recevons la visite de la gendarmerie au moindre petit concert que nous organisons. Ambiance pré-fasciste ? J'exagère ? Il y a aussi l'article de la Montagne le lendemain qui relate l'opération «Place Nette» mêlant démantèlement de tra- fics de drogue et lutte contre l'habitat illégal, «visant à rassurer la population et inquiéter ceux qui font des bêtises.»
Cet article est un texte écrit à plusieurs mains par plusieurs habitant.es de Saint-Moreil. David Fortin, maraîcher à Saint-Moreil, tient par ailleurs à préciser qu'il n'est pas l'auteur de l'intégralité de ce texte qui ne reprend qu'un extrait de son témoignage.