Les faits
Plus de 100 hectares1 de pare-feux à l’intérieur du camp, habituellement désherbés mécaniquement, l’ont été cette année à grand renfort de désherbants très efficaces, et donc très toxiques2. La découverte de cette opération par les élus des communes riveraines, avec à leur tête Philippe Breuil, maire de Magnat l’Étrange et conseiller général de la Courtine, entraîne de leur part une vive réaction, relayée par les organismes gestionnaires de l’eau potable3. Une pétition en ligne, initiée par une conseillère municipale de Magnat l’Étrange, Marie Padovani, a rapidement recueilli des centaines de signatures4. Les journaux, la radio, la télévision régionale rendent publiques les inquiétudes des élus et de la population concernant la pollution possible de l’eau potable.
La patate serait-elle chaude ?
L’Armée, qui avait l’obligation, par arrêté préfectoral5, de désherber mécaniquement, prétend avoir agi de la sorte avec l’accord de l’Agence régionale de la Santé (ARS) et de la Chambre d’Agriculture.
L’ARS se défausse en expliquant qu’elle n’a pas d’accord à donner et en publiant les résultats des premières analyses... rassurantes (“forcément rassurantes“, aurait dit Marguerite Duras) . Elle fait fermer “par précaution“ un des captages du Syndicat de Crocq.
Quant à la Chambre d’Agriculture, elle n’a, à notre connaissance, pas réagi. Mais le peut-elle, alors qu’elle soutient la croisade de la FDSEA contre les “contraintes environnementales“ qui pèsent sur les agriculteurs et les mettraient en difficulté financière (cf les protestations contre la mise en “vigilance nitrates“ d’une quarantaine de communes du nord de la Creuse).
Pour faire bonne mesure, ajoutons que le ministère des Armées, dans le cadre d’un engagement “développement durable“ concernant la totalité de ses installations, est censé s’interdire l’utilisation de produits chimiques polluants. Mais comme beaucoup de ces engagements, chartes et autres déclarations bien intentionnés, cela n’a aucun caractère contraignant. Par ailleurs, le camp de la Courtine est classé en
ZNIEFF (Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique).
Des analyses rassurantes ?
Nous n’avons pas suffisamment de recul pour pouvoir affirmer que tout va bien : la pollution n’est ni immédiate ni ponctuelle, elle est durable et diffuse.
On sait aujourd’hui que le respect des normes n’est pas un gage d’innocuité. Relatives et arbitraires, les normes masquent la toxicité des faibles doses, qui est avérée pour la pollution chimique comme pour la radioactivité. Ce n’est pas la dose qui fait le poison, mais la répétition de l’exposition aux pesticides.
D’autre part, l’épandage des pesticides entraîne des conséquences dangereuses pour tout l’écosystème : les eaux de ruissellement, les rivières, la faune et la flore, les humains, les cultures, les animaux domestiques ou sauvages, tous subiront les retombées négatives de cet épandage sauvage6.
Et l’hôpital qui se moque...
On ne peut que se féliciter de la réaction d’élus locaux qui ont fustigé “l’opération désherbants“ menée par les militaires. Par exemple, le Syndicat de la Haute Vallée de la Creuse a demandé des analyses d’eau à un laboratoire indépendant. Louable précaution, qui a permis à la mairie de Felletin d’annoncer que les normes de qualité étaient respectées... sans donner de chiffres.
Mais cette même municipalité, qui se targue de ses précautions concernant la propreté de la ville, a confondu propreté et disparition du moindre brin d’herbe, fut-ce au moyen de désherbants chimiques ! La campagne d’épandage d’herbicides de ce printemps a certainement laissé des traces dans l’environnement felletinois : pollution des eaux de ruissellement, atteintes multiples à la biodiversité. Alors que beaucoup de communes en Creuse et en France adhèrent à la charte “zéro pesticides“, et que le
CPIE (Centre permanent d’initiatives pour l’environnement) peut soutenir celles qui se lancent dans cette démarche, la commune de Felletin s’honorerait en cessant de recourir aux désherbants chimiques. Elle pourrait ainsi atteindre une vraie propreté : celle qui permet le maintien et le développement de la vie.
L’Armée reste une citadelle au sein de l’État
Sous couvert de secret-défense, de l’obéissance aveugle due à la hiérarchie, l’armée n’a pas l’habitude de rendre compte de ses agissements aux civils.
Pire, elle ne se gène pas pour ignorer un arrêté préfectoral très précis, et, en principe, contraignant, lui. L’engagement “développement durable“ et le classement ZNIEFF du camp ne sont pour elle que des “chiffons de papier“ qui servent sa com.
Et, en plus, l’armée obtient le silence de nombreux habitants, notamment à la Courtine, qui craignent qu’en “agaçant les militaires“, on ne les incite à quitter le camp, ce qui serait vécu comme une catastrophe économique. Sacro-sainte économie !
Jean-François Pressicaud
1) 74 ha selon la Préfecture, 100 ha pour les militaires, sans doute plus de 200 ha pour les élus et les agriculteurs.
2) MISSILE®PJT (glyphosate, molécule du RoundUp®) et PACMA®, désherbant total à longue persistance d’action. Les agriculteurs locaux ont été étonnés de l’efficacité des produits sur les fougères, les genets et même les arbres.
3) 3 syndicats exploitent des captages d’eau potable dans le périmètre du camp : le Syndicat de Crocq (3 captages), celui de la Rozeille, qui alimente 5 communes du sud-est de la Creuse et gère la retenue de Beyssat, et celui de la Haute Vallée de la Creuse (Clairavaux, Croze et Felletin) avec 4 captages.
4) Pétition en ligne sur www.change.org/fr/petitions/prefecture-de-la-creuse-faite-une-enquete-objective-et-transparente-prenez-des-mesures-pour-proteger-les-populations-et-l-environnement
5) Arrêté préfectoral n° 2007-1161 du 17 octobre 2007 : “La croissance des végétaux sera régulièrement limitée par des moyens mécaniques“.
6) Pour plus de détails, cf IPNS n° 23 et 24, articles de Monique Douillet et n° 41 et 42, articles de Gael Delacour et Stéphane Grasser concernant la forêt.