Les municipales sont toujours une bonne occasion de regarder en arrière la manière dont fonctionne, bien ou mal, un village. Les deux témoignages que nous publions ici, pages 6 et 7, ont l’intérêt de concerner une même commune de la Montagne limousine, de parler (en partie) de la même époque, mais de deux points de vue différents. Se complètent ainsi les regards de deux habitants qui mettent bien en évidence les facettes contrastées d’une même histoire. Où l’on voit que la solidarité n’exclut pas une certaine frilosité à l’accueil et que le charisme d’un élu peut à la fois être très positif et un tantinet restrictif. Quant à la crainte exprimée par notre ”Montagnard” de voir disparaître le lien social, elle trouve un écho dans l’espoir d’une vie locale plus solidaire exprimée par notre second contributeur.
Une histoire de solidarités villageoises
Ce texte n’a d’autre prétention que ce qu’il est : un témoignage, par essence subjectif. Comment un enfant du pays a vécu de 1959 à 2000 l’action du conseil municipal de son village.
Ce que je voudrais savoir c’est pourquoi tu veux m’interviewer ?
C’est parce que tu m’as parlé de la façon dont s’est fait le camping du village et de la solidarité lors de la tempête de décembre 1999. On parle beaucoup de lien social en ce moment et de la façon de le nouer ou de le renouer. Je crois que ce qu’il faut c’est un projet commun. Cette histoire me parait en être un.
Tu as raison mais il faut remonter très loin pour comprendre. Depuis le congrès de Tours en 1920 le village était tenu par les socialistes à l’exception d’un maire communiste élu vers 1937 et révoqué par Pétain. Il y toujours eu des élus communistes dans le village mais les choses étaient difficiles pour eux : ils se faisaient huer quand ils allaient se réunir. Il y avait des petites tracasseries, c’est ainsi qu’un des deux forgerons avait toujours des ennuis quand il laissait des charrues sur le trottoir (entrave à la circulation) mais pas l’autre qui, lui, était du bon bord. Dans le village il y avait les socialistes et les communistes mais aussi la calotte et les laïques. Il y avait même une école privée. Et puis il y avait eu les histoires après la guerre... Les relations sont tout de même plus apaisées aujourd’hui.
Pour revenir à ta question il faut remonter à l’élection du maire en 1959. J’avais 6 ans. Il était communiste, les gens en avaient assez des socialistes et des faveurs accordés a ceux qui “votaient bien“.
Il était instituteur et savait tout des familles qui lui confiaient leurs enfants et ils lui faisaient confiance. Même quand il faisait une remontrance à leurs enfants, on ne pensait pas à remettre en cause son autorité. Il s’impliquait pour le village. Il avait organisé des projections de cinéma dans la salle des fêtes, monté une troupe de théâtre. On jouait surtout du vaudeville mais on s’amusait bien. Il y avait de tout dans les acteurs : des jeunes, des vieux, des paysans, bref de tout.
Vers les années 1960, le conseil municipal a décidé que le village paierait les livres et les fournitures scolaires aux enfants de la commune qui allaient au collège à Eymoutiers, car Eymoutiers ne voulait pas payer pour les enfants des autres communes. J’en ai bénéficié quand je suis allé au collège. J’allais chercher mes cahiers et mes livres à la mairie
Il a aussi organisé une cantine dans l’école primaire, (avant les enfants apportaient leur gamelle) et les paysans de la commune fournissaient les légumes (pas la viande bien sûr), ce n’était pas obligé, cela se faisait spontanément. Il y a une chose importante que je tiens à dire : c’est que la population était associée à toutes les décisions du conseil municipal qui souhaitait moderniser la commune, sans que cela nous coûte trop cher.
Il y a eu l’installation du téléphone : il a été décidé que chaque village aurait un poste public. C’était un téléphone qui était installé chez un particulier (le plus souvent un adjoint au maire) et que tout le monde pouvait utiliser. Bien sûr, les gens devaient payer les communications, mais il y avait aussi le dérangement pour celui chez qui il y avait le téléphone et le nettoyage du sol. Vers les années 1970 on a commencé à avoir des téléphones particuliers.
Les gens étaient propriétaires de leurs terres ?
Oui, ici les gens ont toujours été propriétaires.
Pour l’eau potable, il y avait l’eau courante au bourg et dans les gros villages mais pas dans les villages éloignés. Avant on allait prendre l’eau au ruisseau en bas et ma mère lavait dans l’étang qui était devant chez moi. Je dis étang, mais en fait c’était plutôt un carré de 4m sur 4. Je l’ai comblé depuis.
Pour certains villages, il a été proposé que ce soit les habitants valides qui creusent les tranchées. C’était de la solidarité. La mairie a fourni les tuyaux. En échange on a eu l’eau gratuite pendant 15 ans. Les non valides payaient une somme modique. Il y a eu aussi un lavoir installé devant chaque maison et il y avait aussi le lavoir communal que tu as vu sur la route.
Puisque les rues du bourg étaient propres, il n’y avait pas de raisons pour que les paysans n’aient pas droit, eux aussi, à une cour de ferme propre. Le conseil a proposé aux paysans de faire les travaux d’empierrement préalables et c’était la mairie qui apportait le goudron. Mais là il y a eu un problème qui a été mis à jour par un stagiaire de la sous préfecture de Bellac (figure toi que c’était Hissène Habrè !) qui a remarqué que ce n’était pas légal car c’était de l’argent public utilisé pour des personnes privées. C’est même monté en Conseil d’état !
J’ai entendu dire qu’il y avait du favoritisme pour ces histoires de goudronnage ?
Non, le maire disait qu’il était l’élu de tout le village, même de ceux qui n’avaient pas voté pour lui. On avait aussi une coopérative agricole pour le matériel et les engrais. Ce n’était pas tellement des engrais azotés mais de la chaux, des amendements en calcaire et des scories (des haut fourneaux).
Les tracteurs sont arrivés dans les années 1950- 60.
Alors le camping ?
C’était autour de 1975. A l’époque on voulait favoriser le tourisme social et parfois les touristes “débordaient“ chez nous. C’était une chance pour le village. Alors la mairie a acheté le terrain, fait venir une entreprise pour les gros travaux et les agriculteurs sont venus ensuite pour faire les pelouses, planter les arbres et, les années suivantes, faire les entretiens.
Mais comment cela se décidait il ?
Cela se faisait tout seul. On décidait d’un jour pour ceux qui pouvaient venir, si on ne pouvait pas cela n’était pas grave. C’était un jour où il n’y avait pas d’école car on mangeait à la cantine. La cantinière était réquisitionnée pour nous faire le repas. C’était de bons moments, on travaillait et on mangeait tous ensemble.
Et puis il y a eu la tempête de décembre 1999. Cela a commencé à souffler vers 18h et c’est une chance qu’il n’y ait pas eu de morts. Le matin on a pu voir l’étendue des dégâts, surtout sur la forêt, car les maisons avaient dans l’ensemble plutôt bien résisté. Si le chêne qui était devant la maison n’est pas tombé c’est parce que ses racines ont été retenues par le goudron, il s’était soulevé mais cela a tenu.
Il y avait par endroits des empilements, des enchevêtrements d’arbres et de fils électriques de plusieurs mètres de haut. Il n’y avait bien sûr plus de téléphone, plus d’électricité.
Sans se concerter, on s’est tous retrouvés devant la mairie avec les tronçonneuses et les tracteurs et on s’est mis à disposition. En 24h tous les accès aux villages mêmes les plus éloignés ont été dégagés.
Aujourd’hui j’ai l’impression que cette solidarité, ce lien social dont tu parles, n’existent plus, et je ne suis pas sûr que ce que nous avons fait en 1999 soit possible aujourd’hui.
Paroles recueillis auprès d’un habitant de la Montagne limousine qui a souhaité signer “le Montagnard“
Dominique Alasseur