Construire un beau livre et le construire collectivement. Non pas le construire collectivement simplement parce qu’il ne peut en être autrement – si les prospections sur tout le Limousin réclament du monde, par contre, la rédaction aurait pu être assurée par un tout petit comité d’experts - mais le construire collectivement, pour partager des connaissances, des compétences, une aventure, des discussions serrées, des tensions. Une fierté en somme. C’est ce que la Société pour l’Étude et la Protection des Oiseaux en Limousin a fait en collaboration technique avec le Muséum d’Histoire Naturelle, le Conservatoire des Espaces Naturels, l’Office National de la Chasse et le Parc Naturel Régional de Millevaches.
Cette publication toute récente de l’Atlas des Oiseaux du Limousin est l’occasion de faire le point sur l’évolution des oiseaux en Limousin depuis 25 ans. Étonnant de constater, en comparant avec les cartes publiées une première fois en 1993 et reportées en vis-à-vis des cartes actuelles dans le nouvel atlas, comment en 25 ans, des espèces ont pu radicalement changer de statut. Ces évolutions témoignent de l’emprise de nos activités sur notre environnement.
Il est bien entendu difficile de résumer ce livre en quelques lignes. Pour chacune des 323 espèces traitées, le point des connaissances est fait en prenant en compte les plus anciennes mentions régionales datant de la fin du XIXème siècle et en intégrant les presque 380 000 données recueillies entre 2005 et 2011 (plus d’un million depuis 1984). 790 observateurs, 60 rédacteurs, 44 photographes pour la plupart locaux ont réuni leurs talents et leur énergie pour partager leurs connaissances avec le lecteur d’aujourd’hui et de demain.
Carrières et changement climatique
Voici un résumé des grandes tendances que nous avons repérées.
Le livre révèle que les espèces spécialistes des falaises, y compris des falaises artificielles des carrières, ont largement étendu leur répartition. Le Faucon pèlerin, le Grand Corbeau et l’Hirondelle de rochers occupent beaucoup plus de secteurs que dans l’enquête 1985/91. L’ouverture de carrières et la résorption progressive du
DDT (Insecticide interdit en 1972 en France, mais longtemps présent dans les sols et les graisses) dans les chaînes alimentaires ont sans doute joué un rôle.
Pour l’Hirondelle de rochers, il est tentant d’invoquer également le réchauffement climatique. D’autant que des espèces d’origines méditerranéennes comme le Guêpier d’Europe ou le Héron garde-bœuf ont installé dans le même temps leurs premières colonies en Limousin et les espèces qui apprécient la chaleur comme le Milan noir, le Bruant proyer ont étendu leur répartition ou comme le Bruant zizi ont augmenté leurs effectifs entre 2002 et 2013, (résultat du STOC-EPS)1. Le réchauffement climatique peut aussi être invoqué pour expliquer le recul, souvent spectaculaire, d’espèces de milieux frais comme le Bouvreuil pivoine, le Bruant jaune, le Pipit farlouse, le Tarier des prés, le Vanneau huppé, le Pouillot fitis, la Fauvette des jardins ou bien encore le Roitelet huppé et la Mésange noire, deux espèces qui devraient pourtant continuer à bénéficier des vastes plantations de résineux qu’ils apprécient.
Prairies
Il est tentant d’invoquer le réchauffement climatique donc, mais la prudence est de mise. Tout d’abord d’autres facteurs que le seul climat, entrent en ligne de compte. Pour le Pipit farlouse, le Vanneau, le Tarier des prés, la qualité des prairies joue également un rôle. Les fauches précoces des prairies détruisent les nichées. L’appauvrissement botanique consécutif aux prairies artificielles réduit la quantité d’insectes disponibles pour les poussins. D’ailleurs, d’autres espèces de milieux prairiaux, comme la Pie-grièche grise ont aussi fortement régressé sans que les températures ne semblent être déterminantes pour elles. D’autre part, paradoxalement, des espèces de milieux froids comme le Pic noir, la Chouette de Tengmalm, la Mésange boréale ont des cartes plus fournies. Il est vrai que pour la Chouette de Tengmalm, des prospections spécifiques menées par une petite équipe motivée n’a peut-être fait que révéler une situation qui existaient déjà dans les années 90. Pour la Mésange boréale, l’abandon des fonds tourbeux favorise les saulaies qu’elles recherchent.
Forêts
Des espèces spécialistes de milieux forestiers accusent aussi une tendance marquée à la baisse. C’est le cas de la Mésange nonnette qui recherche les arbres tendres du bord des rivières, de la Mésange huppée qui apprécie les pins ou encore du Pouillot siffleur, ce spécialiste des belles futaies de feuillus. Notons pour ce dernier que si la tendance sur 25 ans est plutôt défavorable, sur les 10 dernières années, les résultats des sondages effectués par le réseau STOC-EPS donnent une tendance à la hausse. Les menaces qui pèsent sur les forêts de feuillus, dénoncées dans les précédents numéros d’IPNS n’augurent rien de bon pour les espèces qu’elles abritent, alors que de belles parcelles de futaies couvrent encore les flancs de vallées et particulièrement ceux de la vallée de la Dordogne et de ses affluents. C’est pourquoi, la
SEPOL considère comme d’autres associations limousines, qu’il est nécessaire de mener le combat pour une gestion forestière respectueuse, afin d’accompagner les cycles forestiers sans les briser, et de permettre la succession progressive et quasi naturelle des faunes au cours de ces cycles.
Parmi les changements marqués en 25 ans, les Busards cendrés et Saint-Martin ont disparu de notre région pour le premier et fortement régressé pour le deuxième. En Limousin, ces oiseaux partaient chasser les campagnols au-dessus des prairies, mais nichaient principalement dans les landes, les coupes forestières.
Dans les bourgs
Les espèces de bourg comme la Tourterelle turque (les premières mentions régionales datent de 1970/71) et le Choucas des tours continuent à étendre leur aire de répartition. Au contraire, le Moineau friquet, un petit passereau relativement commun il y a 25 ans dans les villages limousins a pratiquement disparu. La tendance est générale en France et il semblerait (JIGUET, 2011)2 que le recours aux céréales d’hiver en soit la cause. Cette culture réclame le retournement précoce des chaumes, sitôt la moisson terminée, pour l’ensemencement suivant. L’espèce souffrirait de la disparition de la manne que constituaient les grains restés sur place.
LA SEPOL se mobilise pour l’hirondelle de fenêtre (article ci-contre), chacun peut y apporter sa contribution chez lui, ou en alertant la poste, la mairie ou le voisin qui possède une colonie. La SEPOL peut aider à trouver des solutions adaptées. Alertés à l’occasion d’un ravalement de façade à Saint Léonard, nous avions convaincu l’ODHAC de remplacer les nids qui allaient être détruits par des nids artificiels. Quelques années plus tard, cette colonie est la plus florissante dont nous ayons connaissance en Limousin.
Stéphane Morelon
1 - STOC-EPS : Suivi temporal des oiseaux par échantillonnage ponctuel simple, il s’agit d’échantillonner chaque année aux mêmes endroits (très nombreux) et de la même manière les oiseaux d’une région.
2 - JIGUET F. – 100 oiseaux communs nicheurs de France. Editions Delachaux et Niestlé, Paris 2011 227 p.