On croyait les grands prédateurs disparus de nos bois. Erreur ! Il semble bien que la forêt, et surtout son statut de ressource exploitable et juteuse, en ait engendré un nouveau genre... ou comment votre forêt ne vous appartient que tant qu’on n’en a pas décidé autrement.
Voici l’histoire d’un propriétaire qui se voit dépossédé de son bien, sans recours ni secours, même pas de son propre syndicat. Lequel syndicat s’indigne par ailleurs des protestations qui s’élèvent un peu partout sur le territoire quant aux pratiques d’exploitation de la forêt. Il s’agit ici d’un abus flagrant de la part d’un expert forestier, qui arrondit ses revenus en débordant largement la surface de coupe des parcelles qui lui ont été confiées. La rumeur dit que ce n’est pas nouveau.
Un “expert forestier“, profession réglementée, “conseille de façon indépendante les propriétaires forestiers. Il assure la gestion des patrimoines forestiers“ nous apprend une plaquette éditée par le
CRPF et le Syndicat des forestiers privés. Il réalise aussi les plans de gestion, les ventes, la maîtrise d’œuvre, etc. Il expertise la valeur des biens, en cas d’achat, de vente, de litige, de sinistre, de succession... En outre, et cela devient intéressant, il réalise des diagnostics phytosanitaires, des audits sur la filière, les politiques forestières, l’aménagement du territoire... Mangerait-il à tous les rateliers ? Mais soyons rassurés : l’expert forestier est “agréé“, ce qui signifie qu’un “code de déontologie“ et des “obligations de formation assurent son professionnalisme“. Ouf !
On peut donc penser que les agissements décrits dans la lettre ci-dessous ne sont que l’expression d’un professionnalisme “assuré“ par un code de déontologie qu’on imagine très strict. Et que cet expert n’a voulu que rendre service à ce propriétaire ignorant qui aurait peut-être voulu laisser pousser inutilement des arbres bons pour la vente...
Les propriétaires limousins n’ont pas un choix très large quant aux experts forestiers. 3 cabinets seulement : Coudert en Corrèze, Riboulet et Rocha en Haute-Vienne... Le problème se pose donc de savoir comment faire quand un litige apparaît avec l’expert de son secteur, surtout quand l’expert en question travaille aussi avec les assurances et les tribunaux (nous avons parlé de rateliers ?). Ci-dessous un courrier de notre propriétaire floué, en réponse à un article paru dans la lettre d’information de son syndicat, datée du mois d’octobre que nous reproduisons ci-contre.
Eliane Dervin


Jean-Michel Plazanet
Lauzat
87120 Nedde
Le 17 novembre 2013
Monsieur,
Je suis adhérent au syndicat des forestiers privés du Limousin, et c’est avec une certaine amertume que j’ai lu votre article dans la lettre du mois d’octobre. Vous dites être agacé (c’est du moins ce qui transparaît dans vos lignes) par un certain monde associatif très actif en Limousin, qui remettrait en cause les pratiques des acteurs de la forêt. Malheureusement, je pense que les revendications et suggestions de ces associations pourraient être prises en compte pour améliorer des pratiques difficilement défendables de la part de certains forestiers. Je vous envoie cette lettre pour vous faire part de ma déconvenue dans ce domaine. Ma mère avait du bois. Un expert forestier se l’est approprié, dépassant outrageusement les limites de la parcelle voisine qu’il était chargé de marquer puis de vendre. Le chantier ayant débuté, et, m’apercevant de l’erreur, j’ai fait part de celle-ci aux abatteurs (photo aérienne à l’appui) qui ont immédiatement suspendu le chantier. Après s’être également déplacé sur le terrain, l’acheteur de la coupe en a également convenu. Par contre, le propriétaire de la parcelle ainsi que l’expert n’ont même pas cherché à discuter, me disant que si je n’étais pas d’accord, de faire venir un géomètre et, si cela ne suffisait pas, d’aller au tribunal. Précisons que l’expert est expert forestier, expert auprès des assurances et, cerise sur le gâteau, expert auprès des tribunaux. Avec toutes ces qualités, les forestiers n’ont rien à craindre... sauf peut-être pour leur réputation. J’ai donc contacté un géomètre, mais le propriétaire (ancien exploitant forestier lui-même) a exigé de faire intervenir le “sien“, étant plus sûr de lui faire exécuter un travail selon ses désirs. Ce que celui-ci n’a pas hésité à réaliser en dépit de tout bon sens, déshonorant à mes yeux sa profession. Après la première rencontre avec l’expert forestier, j’ai contacté votre conseiller juridique. J’ai été quelque peu déçu par l’accueil et le conseil. Cette personne m’a simplement dit, redit et répété qu’il fallait s’arranger à l’amiable, car sinon je perdrais mon temps et mon argent. À croire qu’il ne faut pas contrarier la profession, la vraie... celle dont on fait l’éloge dans les journaux mais que certaines associations dénoncent. Ajoutons que du point de vue environnemental, le chantier n’a pas été exemplaire : coupe rase, prairie du voisin saccagée avec un dédommagement de misère, passage des engins sur la piste pour stocker les bois sur le fossé. Le résultat de la coupe est une désolation et il n’y aura sûrement pas de reboisement. Malgré les encouragements appuyés de votre personne de confiance en matière juridique, j’ai quand même décidé d’aller jusqu’au bout pour dénoncer ces pratiques. Pour le moment ma “pauvre“ mère a perdu son bois (retraitée avec 800€ par mois en comptant la retraite de reversion de mon père) mais peut-être que bientôt ce sera aussi le terrain qui lui vient de ses grands parents. Vous demandez dans votre article à être respecté, mais comment, après de tels agissements, des personnes comme elle, et bien d’autres, peuvent-ils avoir du respect pour des gens qui n’ont pour seul amour que leur portefeuille et pour seul crédo, leurs certitudes. Vous avez intitulé votre article “Le syndicat, c’est vous“. Soyez certain que ce ne sera peut-être plus le mien en 2014. Vous m’excuserez d’avoir été aussi long dans mes propos, mais il était difficile de faire plus court sans omettre tous les épisodes de la série qui n’est, bien sûr, pas terminée. Je serai satisfait d’avoir votre avis sur la question et vous prie d’agréer, Monsieur, mes sincères salutations.
- Si la rumeur dit vrai, pourquoi les propriétaires ne se défendent-ils pas ? Celui-ci est bien décidé à “aller jusqu’au bout“. Et il espère que son exemple sera suivi et soutenu. Il a voulu ébruiter cette affaire dans l’espoir, entre autres, que d’autres personnes à qui il serait arrivé une aventure analogue se fassent connaître : ces pratiques sont-elles la règle ? Bien entendu nous suivrons cette affaire de près, dans tous ses développements.