Chrystèle Lerisse est artiste photographe. Elle vit en Limousin, au pied du plateau, à Saint-Gilles les Forêts. “Comme j’habite en Limousin, dit-elle, des vaches, j’en ai toujours eues autour de moi.“ C’est peut-être là l’origine du travail qu’elle a entrepris en 2011 : un tour de France des vaches qui ne soit ni documentaire, ni animalier, ni sous la forme d’un reportage. Non : un tour de France réalisé par une artiste qui regarde les vaches d’un point de vue poétique ; les vaches dans leur paysage. Elle expose une première partie de ce travail, que présente ici la critique d’art Geneviève Breerette, jusqu’au 22 décembre à la galerie Hors Champ à Sivry-Courtry (77).
Mai 2013. La Ribeyrie, entre plateau, vallées, pâturages et forêts. Chrystèle Lerisse me montre une vingtaine de séries de photographies de vaches qu’elle a prises en 2012 et 2013. Elle a accompli une bonne moitié de la “mission“ qu’elle s’est donnée et qu’elle remplit avec une rigueur qu’exigerait un travail de commande. Le projet intrigue ! Pourquoi, en effet, s’imposer un inventaire complet des races bovines répertoriées sur le territoire français, alors que le travail sera soumis au principe d’économie visuelle que l’artiste photographe (c’est ainsi que Chrystèle Lerisse se définit, avec justesse) met en oeuvre depuis plus de vingt ans : la photographie en noir et blanc, et de très petit format ?
Ces conditions peu favorables à la reconnaissance de l’objet photographié amènent à se demander ce qui reste de l’enquête patrimoniale et du travail de terrain. Curieusement beaucoup. Plus que ce qu’on peut supposer voir émerger d’une telle mise à l’épreuve de la réalité perçue : de la substance, de la nuance : l’essence selon Bergson, et, tout bêtement si l’on peut dire, diverses sortes de simples et belles figures animales dans leur paysage.
La photographe a écarté la ferme, la traite, l’enclos, et autant que possible, toute forme et marque de l’humain. Elle cadre l’animal entre sol et nuage, dans un champ ouvert, qui se voudrait naturel. Contre l’ici et maintenant d’un monde rural tiraillé entre rendement et biodiversité, jouerait-elle un ailleurs lointain, bucolique ou intemporel ? Elle opère en tout cas comme si, à travers la banalité de son sujet : la vache dans le paysage, elle cherchait à décliner les modes d’approche possible d’une nature perdue, comme s’il lui fallait enregistrer les conditions de prise et de perte de vue de son motif selon la nature de l’animal, du terrain, de la lumière. Lerisse multiplie les points de vues qui feront d’une colonne vertébrale une ligne de crête, ou d’horizon. Elle entretient la confusion des règnes, de la masse animale, du rocher et de l’arbre et par là l’illusion d’une pensée sauvage.
Geneviève Breerette
“Moi, je m’immerge au milieu des vaches, j’attends. Soit elles viennent, soit je regarde comment elles se mettent, je fais une image, je fais une photographie, c’est plus exact de dire ça. Et puis j’attends, je regarde la lumière, ce que je veux, les formes, etc. par rapport au paysage. La vache dans le paysage quoi.“
Chrystèle Lerisse
En savoir plus : www.chrystele-lerisse.net