Comment en est-on arrivé là ?
Depuis plusieurs années, la filière bois limousine a pris une orientation industrielle. Les nombreuses petites scieries continuent de fermer (100 par an en France depuis 30 ans), remplacées par des unités de plus grande taille, normalisées et sciant un bois standardisé (le même, précisément, que les abatteuses sont capables de récolter). La forêt du Plateau avait donc déjà mis un pied dans la mondialisation pour répondre à des débouchés plus larges, au moins en Europe. Mais cela n’était pas suffisant.
Un rapport, produit en février 2012 par le cabinet ALCIMED, pour le Pôle Interministériel de Prospective et d’Anticipation des Mutations Economiques (PIPAME), pose le décor du nouveau projet pour la filière bois nationale : “L’avènement d’un nouvel ordre économique mondial, avec la montée de pays émergents à l’influence croissance (sic), concerne également le bois.“ Il est donc nécessaire d’“associer les grands groupes avec pour objectif commun de développer la filière bois“ - les grands groupes étant notamment Lafarge et Bouygues, présents au comité de pilotage de cette étude. (Précisons ici que BoisLim, ex-
APIB Limousin, n’avait pas entièrement adhéré à ce projet national.) Bref, le décor était posé pour faire passer la filière bois dans l’arène mondiale...
Sur le Plateau, le bois est acheté aux propriétaires une misère. Un technicien a fait son travail efficacement : il a trouvé un acheteur qui payait une misère juste un peu moins miséreuse pour le même bois. Donc les propriétaires ont vendu au plus offrant... les Chinois.
Où cela nous mène-t-il ?
Un Ardennais de passage pour les 25 ans d’Ambiance Bois témoignait. Dans les Ardennes, un acheteur étranger est arrivé, un acheteur qui payait mieux. Tout le monde lui a vendu son bois. Et les acheteurs locaux ont fini par disparaître. Une fois la place nette, l’acheteur étranger, finalement pas si philanthrope, a réalisé qu’il pouvait alors payer le bois le prix qu’il voulait – c’est-à-dire une misère. Fiction ?
L’“Etude évaluative et perspective pour un positionnement stratégique de la filière bois en Limousin“, élaborée en 2012 par le cabinet Ernst & Young, pose laconiquement les perspectives de l’entrée de la filière dans la mondialisation : “Dans le contexte de marché fortement concurrentiel, une partie des scieries limousines ne seront plus en mesure d’investir et ne répondront pas aux standards de qualité et de normalisation. Ces scieries devraient à terme arrêter leur activité“.
Une semaine après le passage des conteneurs China Shipping (coïncidence?), Christian Ribes, Président de BoisLim, envoyait un mail, intitulé “URGENT : Appel à la mobilisation / l’usine Isoroy d’Ussel est en difficulté“, “à tous les professionnels, exploitants forestiers, scieurs, coopératives forestières, fournisseurs de bois de la région Limousin“. Pourtant, Isoroy n’est pas une petite scierie, comme celles mentionnées dans le rapport limousin. Employant plus de 100 personnes, l’usine produit 145 000 m3 de panneaux de fibres de bois par an. Il n’en demeure pas moins que “l’entreprise est actuellement dans une situation extrêmement délicate, car elle ne parvient pas à fournir ses clients, faute d’un approvisionnement en bois suffisant.“ “Elle doit faire face actuellement au défi suivant : atteindre dès les prochains jours un niveau d’approvisionnement en bois minimum pour maintenir son activité, sous peine de définitivement détruire son image auprès de ses actionnaires.“ Le Président de BoisLim en appelle donc “toute la profession à faire preuve de solidarité autour d’Isoroy Ussel. Une dizaine de camions journaliers supplémentaires par rapport à la situation actuelle permettraient à l’entreprise d’atteindre un seuil d’approvisionnement suffisant (25-30 camions en moyenne par jour) pour poursuivre son activité.“ Et le message se termine en confirmant notre histoire ardennaise : “L’export de grumes ou de bois ronds hors de notre région et hors de nos frontières, génère certes un profit supérieur à la vente en région mais ne constitue qu’une vision à court terme, car elle pourrait signer la fermeture d’un certain nombre de nos acteurs régionaux dans le domaine du sciage ou de la trituration.“
En gros, la mondialisation, c’est bien joli, mais tant qu’on est du bon côté de la frontière ! La France est devenue exportatrice de produits bruts, et la Chine “un important exportateur de produits ligneux à valeur ajoutée, compétitifs, tant en terme de prix que de qualité, dans des secteurs tels que celui du meuble ou du contreplaqué“ (rapport PIPAME). Bienvenue dans le tiers-monde, qui exporte ses ressources vers les pays développés.
Gaël Delacour
Les deux études citées sont téléchargeables sur le site de BoisLim http://www.boislim.fr/