Pesticides : L’alerte des médecins limousins
Les pesticides n’auraient plus trop la cote …? Le plan écophyto 2018, sous l’égide du ministère de l’agriculture, s’était promis en 2008 d’en réduire de 50 % la consommation d’ici 2018. Nous en sommes loin.
Nous sommes à mi-parcours de ce plan dont l’efficacité tarde à se vérifier : en 2013 il se déverse encore plus de pesticides sur nos champs qu’en 2008. Sans compter que les sylviculteurs ne sont pas en reste, jusqu’au cœur du PNR de Millevaches. Une grande partie des résineux reçoit des granulés d’imidaclopride dans son trou de plantation. Cet insecticide, non encore homologué dans la sylviculture, bénéficie de dérogations renouvelables (cf IPNS n° 41).
L’an dernier un agriculteur de Charente, Paul François, victime d’un pesticide en 2004, alerte une sénatrice de son département sur les dangers des pesticides et sur ce plan écophyto qui reste lettre morte. Une mission sénatoriale se met au travail et publie en octobre 2012 un rapport “Pesticides : vers le risque zéro“. Ce rapport, références à l’appui, fait un constat alarmant sur les effets nocifs des pesticides sur la santé, et propose une longue série de recommandations tout à fait pertinentes.
Mais toujours rien ne bouge
Depuis 60 ans les pesticides ont envahi notre environnement. Ils sont dans l’air qu’on respire, dans l’eau de pluie, dans celle du robinet, et dans les aliments qu’on mange tous les jours, en particulier les fruits et légumes. L’INVS (Institut de veille sanitaire) a fait une étude (étude PELAGIE) de 2002 à 2006 sur près de 3 500 femmes enceintes pour rechercher des pesticides dans leurs urines. Les résultats sont parlants : 98,4% des urines examinées contiennent des traces d’au moins un pesticide, 54% en contiennent au moins 8, et 10% en contiennent au moins 13.
Depuis 30 ans les études épidémiologiques s’accumulent, ciblant d’abord, logiquement, les agriculteurs. Les conclusions sont formelles : les utilisateurs de pesticides sont exposés à des maladies chroniques, souvent graves. Compte-tenu du grand nombre de pesticides existants (autour de 350 produits sur le marché européen), et du fait que chaque agriculteur en utilise régulièrement plusieurs, il n’est pas toujours facile de savoir lequel est responsable, exception faite des accidents toxiques aigus où le produit est là, dans le bidon, entre les mains de l’utilisateur.
Par rapport à la population générale on retrouve en particulier chez les agriculteurs :
- davantage de maladies neurologiques, notamment la maladie de Parkinson, reconnue depuis peu comme maladie professionnelle s’il y a eu contact répété avec des pesticides.
- davantage d’infertilité par réduction des spermatozoïdes.
- chez leurs enfants : davantage de malformations congénitales, souvent un petit poids de naissance et davantage de risque de cancer (leucémies).
- augmentation de certains cancers : tumeurs cérébrales, cancers du poumon, leucémies et lymphomes, cancers de la prostate, du sein, du testicule, de l’ovaire, cancer du pancréas.
Et dans la population générale, imprégnée également comme on l’a vu plus haut, mais à doses beaucoup plus faibles, il y a aussi un impact sanitaire.
Depuis 30 ans la fréquence des cancers est en augmentation, toutes populations confondues, et plus particulièrement chez les enfants. D’autres facteurs sont incriminés, comme la pollution par les moteurs diesel. Mais les pesticides sont encore dans le collimateur. A la fin des années 1990 est apparue la notion de perturbateur endocrinien (PE) définissant tout produit chimique susceptible de perturber l’équilibre hormonal dans un organisme animal, à petites doses. Cet effet PE peut être particulièrement dangereux chez la femme enceinte, pour le bébé à naître. L’enfance et la puberté sont également des périodes sensibles aux PE, avec augmentation du risque de cancer hormono-dépendant (cancer de la prostate, cancer du sein) à l’âge adulte. De nombreuses études expérimentant les PE sur les animaux (souris notamment) viennent confirmer les craintes des études épidémiologiques.
“ Pour le moment rien ne bouge “
Parmi les pesticides commercialisés en Europe, 43 sont des PE, dont 30 sont susceptibles d’être retrouvés dans les aliments. Plusieurs PE seront donc aussi fréquemment retrouvés dans nos organismes, potentialisant leurs actions perturbatrices par un effet “cocktail“.
Les autorités sanitaires ne sont jamais pressées de prendre des mesures pour arrêter les dégâts (on a pu le constater pour l’amiante, pour le sang contaminé par le virus du SIDA, pour les contaminations radioactives après Tchernobyl, pour le Médiator…). C’est et ce sera la même chose pour les pesticides. Elles finiront par prendre une décision quand il y aura eu suffisamment de morts. Le principe de précaution est pourtant maintenant inscrit dans la constitution française, mais on s’assoit dessus.
C’est ce qui a décidé trois médecins limousins, plus sensibilisés que la moyenne, à solliciter leurs collègues pour lancer ensemble une alerte sur les dangers des pesticides. Ils sont 140 à avoir signé une déclaration faisant état des risques sanitaires encourus par les agriculteurs et les riverains des exploitations, mais aussi la population dans son ensemble. C’était aussi, en mars, “la semaine pour une alternative aux pesticides“ organisée par l’association “Générations futures“ avec la participation de l’association “Allassac ONGF“ en Corrèze. Cette dernière, en pleine zone de pomiculture intensive, tente de protéger les riverains des épandages répétés de pesticides, mais n’y arrive pas.
Le conseil régional a partie liée avec les coopératives qui commercialisent la golden du Limousin, “fruit de l’agriculture durable“ dit la plaquette de pub, un des “fleurons“ de notre région. Les médecins signataires lui ont écrit, voulant le rencontrer pour lui demander de s’engager résolument vers une réduction de 50% des pesticides d’ici 2020, dans le Limousin.
Des contacts sont pris aussi avec l’Agence régionale de santé pour tenter d’obtenir des règles de sécurité plus strictes pour protéger les riverains des zones d’épandage.
Souhaitons que ce collectif de professionnels de santé ne se décourage pas.
Joseph Mazé
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