Jan dau Melhau est certainement l’occitaniste le plus connu en Limousin. Ardent défenseur de la langue et de la culture occitanes, il œuvre pour les maintenir bien vivantes depuis plus de 40 ans. Chanteur, musicien, poète, écrivain, comédien, conteur, éditeur, il utilise tous les modes d’expression pour illustrer, en occitan et en français, sa défense de la société rurale limousine et son refus de la société moderne dominée par la technique et destructrice des cultures régionales et des solidarités locales.
Grand ami de Marcelle Delpastre de son vivant, elle l’a choisi comme son exécuteur testamentaire. Il édite (ou ré-édite) toute son œuvre, qu’il tient pour l’une des plus importantes de la littérature du XX° siècle.
Le 6 février avait toujours été pour moi celui de l’année 1934, où les ligues fascisantes avaient menacé une république d’ailleurs passablement déliquescente et bien loin de mes aspirations, provoquant par contrecoup, deux ans après, la victoire du Front populaire. C’était aussi, pour le mythologue que j’étais devenu, traquant sous les oripeaux et attributs des soi-disant saints chrétiens des éléments de l’ancien panthéon gaulois, voire de présences plus anciennes, le jour de la Saint Waast, assurément mort à Cambrai en 539 et prétendument né à Courbefy, un petit gars de chez nous devenu le premier catéchiste de Clovis avant d’hériter, par la volonté du grand saint Rémi, de ces évêchés du Nord “retournés à l’idolâtrie“ ainsi que le dit même en son grand dictionnaire le citoyen Pierre Larousse.
Depuis 1998, le 6 février est le jour où, à cinq heures du soir, j’ai fermé les yeux de Marcela Delpastre.
On peut se souvenir d’un tel geste, d’un tel jour, d’un tel événement.
Quinze ans déjà.
Et vous ne la connaissez toujours pas ? Vous n’avez pas eu idée d’aller y voir tant soit peu !
Vous avez peut-être raison. Car elle ne lâche plus qui commence à la lire. On est pris, on ira jusqu’au bout de cette œuvre foisonnante, immense, inouïe, d’une extrême qualité jamais démentie quelle qu’en soit la forme.
Poète, poète d’abord, pas poétesse, n’employez pas ce gros mot, elle ajouterait pour la rime, le refus : de mes fesses ! Une vingtaine de gros volumes tous disponibles. Des ballades, des psaumes (elle était grande lectrice de la Bible et y trouva sa forme, son rythme, son souffle), des poèmes dramatiques (à une ou plusieurs voix), des proses poétiques. De quoi se nourrir le cœur et l’esprit, de quoi, dit Yves Rouquette, se faire labourer l’âme. Car elle fut paysanne. Paysanne, pacana, et poète.
Mémorialiste. Sept gros volumes de son histoire personnelle qu’elle percevait comme témoignage exemplaire de la grande rupture, fin de la civilisation paysanne venue tout droit du néolithique. Je l’ai qualifié, en référence à un autre grand mémorialiste, de Saint-Simon côté jardin, attribuant théâtralement le côté cour au duc. Le premier volume en est disponible, dans sa version originale occitane et sa traduction française, les trois derniers dans leur français d’écriture.
Ethnographe et ethnologue. Qui le peut ne manquera pas de lire ces deux monuments, sans équivalent dans la prose occitane que sont le Bestiari lemosin et Lo Libre de l’erba e daus aubres, tout le savoir populaire traditionnel sur le monde végétal, qu’il soit domestique ou sauvage. Et chaque Limousin aura à coeur de lire et relire Le Tombeau des ancêtres et Le Bourgeois et le paysan, deux maîtresses oeuvres où l’analyste Delpastre porte à notre conscience le pourquoi des pratiques et des rituels, le sens des mythes, le pourquoi du comment. Et tant d’autres études particulières, parues ou sous le point de paraître.”
Il faudrait aussi parler de l’étonnante nouvelliste des années 50 (un choix de ces textes est en projet d’édition) de la chroniqueuse du Populaire du Centre dans les années 80, dont nous pensons, dans un volume, rendre compte prochainement.
Bref, s’il est un grand auteur en Limousin et dépassant tous les autres, troubadours du maître temps, roman compris, si on doit retenir un nom à offrir en cadeau limousin au reste de l’humanité, c’est le sien.
Et puis, il faut se souvenir de la personne, chaleureuse, accueillante, de l’assiette mise, du coin du feu, de la parole. Il faut se souvenir, on se souvient de son rire éclatant, de vieille fille restée si jeune, l’innocence et la naïveté en moins.
Marcela Delpastre, ma vieille complice catho-réac, mon amie. À la Limousine, avec tant de pudeur, jusqu’à la déraison.
Marcela Delpastre, en Germont d’a Chambaret, 2 de setembre de 1925 – 6 de feurier de 1998.
Jan dau Melhau
Ses œuvres pour la plupart sont disponibles au chamin de sent Jaume à Royer de Meuzac 87380
- Les racines du sang
Les racines du sang viennent de loin. Dans le plus chaud du corps elles ont leur passage. Dans la forêt elles ont leur piste, et le ruisseau dans ses prés.
Mais elles viennent de plus loin, et de plus loin encore. Où est la fontaine ? Où est le gland qui fut semé, et qui inventait la forêt ?
Les racines du sang tiennent profondément, mieux que les racines de l’arbre. Elles ont leur source dans la moelle des os ; elles ont leur source dans le creux de la main.
Dans tout ce qui frémit, dans tout ce qui tremble. Elles sont venues de la pierre, et de la vieille mer. De tout ce qui remue, de ce qui ne bouge pas.
Elles ont leur rire dans l’eau du corps, leurs dents dans le sable sans fond, leur langue dans le vent, et leurs racines dans les yeux de l’âme prisonnière. Les racines du sang viennent d’ailleurs.
Elles ont porté leurs nuages et leur fardeau d’étoiles, comme un fleuve qui va de la terre étrangère à la mer en emportant le ciel.
Elles ont porté le parfum de la terre étrangère et le sable de ses forêts, les étoiles qui avaient leur nom pour toute feuille d’arbre et dans le coeur de Dieu.
Elles ont chanté dans le vent comme les feuilles d’arbre, elles ont frémi sous les doigts de toute chair vivante, elles ont creusé le roc mort, elles ont monté dans l’écorce.
Elles étaient la sève, elles étaient le coeur de l’arbre ; l’eau de l’orage qui tombait en bouillant, et l’argile du chemin noyé dans l’éclair.
Le gel ; le gel qui les tenait les nourissait de fièvre, et le sommeil de tant de temps. Elles étaient la fièvre et le sommeil. L’haleine du jour qui lève.
Elles ont germé entre les doigts de tout ce qui se cherche, entre les dents de ce qui mord, dans la fumée et la poussière, et le sang qui s’en va d’un corps qui perd le souffle.
Dans le fruit et dans la fleur ; elles ont passé dans la graine vivante. Elles naissaient dans ce qui mûrit, dans ce qui tombe et dans ce qui reste.
Elles m’ont amené ma chaleur sur ma langue, et ma couleur sous mes ongles. Elles se plantaient dans le plus profond de l’âme prisonnière et dans le coeur des pierres.
Elles en montaient comme le vent d’un arbre toujours jeune ; elles s’épanouissaient dans le rayonnement de l’air et l’ombre de la terre, dans la parole et dans le corps.
Maintenant elles me porteront moi-même comme elles sont jusqu’à la dernière, une fumée entre les fumées, l’odeur de la poussière, l’amour de la pierre, le coeur de la mer.
La fumée d’un arbre qui montait et qui a trouvé l’haleine du jour. J’étais cet arbre qui montait, une fumée dans la lumière, enraciné dans le sang.
Ainsi serai-je, ainsi je suis dans les racines de mon sang, un arbre qui montait dans les profondeurs du temps, dans la terre vivante.
Ainsi serai-je. Jusqu’à ce que la fumée, comme une fumée de feux morts se perde dans le vent. Jusqu’à ce que l’hiver m’aura gelé jusqu’à la graine.