Le patrimoine du Plateau ne comporte pas que des vieilles pierres : le territoire abrite également un patrimoine naturel qui, s’il est moins extraordinaire que celui des forêts de Bornéo, ne manque cependant pas d’intérêt. Parlons donc un peu du patrimoine local à huit pattes.
Un peu de biologie des araignées
Les Araignées sont des Arthropodes (“pattes articulées“) comme les Insectes. Elles se différencient de ces derniers sur plusieurs aspects : elles sont dépourvues d’ailes, possèdent quatre paires de pattes, et leur corps est divisé en deux parties, le céphalothorax à l’avant, l’abdomen à l’arrière. Elles ont en outre deux particularités : dépourvues de dard ou d’aiguillon et ne pouvant piquer, elles sont dotées de “mâchoires“, les chélicères, reliées à des glandes à venin (elles mordent, donc) ; et elles produisent de la soie par des filières situées à l’extrémité de l’abdomen. Cette soie possède une souplesse et une solidité outrepassant le kevlar. Des tentatives d’élevage, à l’instar des vers à soie, ont été mises en place, mais sans succès, puisque les affreuses ont une fâcheuse tendance à s’entre-boulotter en cas de promiscuité. Certains ont même tenté de fabriquer des chèvres OGM produisant les protéines de la soie d’araignée dans leur lait (!), mais leurs pis, à défaut de beaux et longs fils, n’excrétaient que d’infâmes mélanges grumeleux impropres à toute utilisation technique...
Arachnophobie ?
Ces animaux sont fascinants, pour peu que l’on se penche pour les observer et que l’on outrepasse son appréhension face à leur étrangeté. D’ailleurs, d’où vient cette phobie des araignées ? Elle semble plus culturelle qu’instinctive, puisque inexistante dans de nombreux pays. On peut difficilement arguer d’une crainte liée à leur dangerosité, puisque la grande majorité des araignées sont tellement petites qu’elles seraient incapables de percer l’épiderme humain. Dans nos contrées, la plupart ne mesurent que quelques millimètres. Seules cinq araignées dans le monde sont mortelles ; d’autres peuvent provoquer des morsures certes douloureuses, mais en France, on ne peut citer vraiment que la malmignatte en Corse, et la lycose de Narbonne dans le bassin méditerranéen. Freud, égal à lui-même, tente une explication : “L’araignée est, dans le rêve, un symbole de la mère, mais de la mère phallique, que l’on redoute, de sorte que la peur de l’araignée exprime la terreur de l’inceste avec la mère et l’effroi devant les organes génitaux féminins.“ Peut-être...
La vie des araignées
Les araignées sont un modèle de matriarcat : les mâles, souvent chétifs, ne “servent“ quasiment qu’à l’accouplement, et accessoirement d’en-cas une fois leur tâche accomplie. Les femelles pondent leurs œufs bien protégés dans des cocons de soie, souvent dispersés dans les herbes, mais parfois les transportent avec elles jusqu’à l’éclosion. Certaines, comme les pardoses, fréquentes notamment dans les jardins, portent leurs petits araignons sur leur dos le temps qu’ils acquièrent leur indépendance. Une fois matures, les juvéniles s’envolent, en se perchant au sommet des herbes et en émettant de longs fils de soie, entraînés par les vents. Cette technique leur permet de parcourir de grandes distances, mais l’impossibilité à se diriger leur est souvent fatale : ils échouent souvent dans le bec des oiseaux, atterrissent n’importe où, ou bien finissent congelés à haute altitude... Mais ils sont tellement nombreux qu’une portion d’entre eux parvient malgré tout à atterrir en terrain favorable.
Les Araignées sont des chasseuses généralistes : elles se nourrissent de tout ce qu’elles sont capables d’attraper et de neutraliser. Elles usent de diverses techniques de chasse : alors que certaines tissent des toiles de formes variées (réseaux, nappes...) pour dévorer les passants distraits, d’autres chassent à l’affût, comme les thomises dissimulés dans les fleurs ou les lycoses à l’entrée de leur terrier, et d’autres chassent à courre comme les pardoses, ou “à saut“ comme les salticides. Scytodes thoracica projette sur sa proie des fils de soie. L’argyronète, elle, va “à la pêche“, en construisant dans les profondeurs une cloche d’air lui permettant de se ravitailler. En dépit de leur inventivité, ces techniques restent étonnamment assez peu efficaces, et les araignées adoptent généralement un régime très frugal !
Les araignées sur le Plateau
La présence d’araignées, chasseuses généralistes, dans certains milieux dépend plus de la structure de la végétation et du climat que de la présence d’hôtes particuliers. Ainsi, les landes abritent peu d’espèces caractéristiques ; en revanche, les tourbières recèlent plusieurs espèces d’intérêt écologique, environ 70 % des espèces de la liste rouge régionale. Frédéric Lagarde les a étudiées, sur 30 sites répartis sur le Plateau.
Parmi les espèces d’intérêt, on observe essentiellement des espèces “reliques“ de la période glaciaire, que l’on ne trouve quasiment plus que dans les pays nordiques. Localement, on en dénombre une vingtaine d’espèces, restées isolées dans leurs fonds tourbeux alors que le climat se réchauffait aux alentours. Certaines espèces rares en France sont présentes et tout aussi rares sur le Plateau, tel le microscopique Satilatlas britteni. D’autres espèces comme Pardosa sphagnicola, connue uniquement dans 3 tourbières en France, a été trouvée en abondance sur l’étang de Chabannes mais jamais capturée sur les autres lieux d’observation. A l’inverse de Gnaphosa nigerrima, petite araignée nocturne vivant dans les sphaignes : alors qu’elle n’est connue que dans 3 stations en France, les investigations sur le Plateau l’ont identifiée dans 27 sites sur les 30 étudiés ! La distribution des araignées est loin d’être bien comprise. Au-delà de la qualité des milieux, la structure du paysage environnant les tourbières est un facteur déterminant de la diversité d’araignées. Les travaux montrent que des tourbières même de qualité, lorsqu’elles sont entourées de forêts denses, comme la tourbière d’Orladeix, hébergent peu d’espèces. L’hypothèse est que ces “barrières“ empêchent la recolonisation des milieux par les juvéniles, suite à des extinctions ponctuelles (cf. IPNS n°30).
Par ailleurs, sont également présentes quelques espèces qui, bien que communes, sont intéressantes à mentionner. On trouve l’argyronète aquatique, et aussi la dolomède qui chasse à la surface de l’eau (rien à voir avec les gerris, ces “araignées d’eau“, en fait des insectes : bien plus grosse, la dolomède arbore fièrement ses distinctions arachnéennes). Il y a également une mygale sur le Plateau ! Rien à voir cependant avec les grosses poilues d’Amérique du Sud : Atypus affinis mesure 1,5 cm, et passe le plus clair de son temps à attendre ses proies dans son terrier en “chaussette“. On ne peut en fait observer que les mâles en quête de leur dulcinée, et les jeunes en début d’été, se regroupant par grappes au sommet des herbes hautes, en vue de leur improbable voyage d’émancipation. On trouve aussi des espèces exotiques, qui ont tendance à se répandre, comme la nord-américaine Eperigone trilobata, entrée sans papiers sur le territoire après son introduction fortuite dans un camp militaire en Allemagne. Toutefois, la frugalité des araignées fait qu’elles n’exploitent pas la totalité des ressources alimentaires du milieu, et donc, la présence de cet hôte ne devrait pas faire de concurrence aux autochtones...
Gaël Delacour
Avec la participation de Fred Lagarde