À la fin du XIXe siècle l’électricité est le joyau de l’énergie hydraulique et pour la ville de Felletin cette source énergétique a assuré l’émergence et la prospérité de ses filatures tout au long du siècle. Pour rester au goût du jour la ville souhaite moderniser son éclairage public en passant à l’énergie électrique alors alimentée par une usine à gaz construite en 1882. Au mois de novembre 1900 le maire s’impatiente et reconnaît que Felletin est “une des dernières ville de quelque importance qui soit encore dépourvue d’un éclairage public par l’électricité“. La compagnie des ingénieurs lyonnais qui gérait l’usine à gaz se déclare incompétente et rompt le contrat de la concession qui la lie avec Felletin. Sollicités, les frères Sallandrouze, autrefois propriétaires des plus importantes filatures et du barrage de la papeterie mais nouvellement implantés à Aubusson, “font savoir que leurs occupations ne leur permettaient pas de s’occuper présentement de ces questions“. Il est vrai qu’à cette date ils entreprennent de transformer en usine hydroélectrique la chute d’eau de la filature de la Croix Blanche qu’ils ont récemment acquise. Ceci dans la perspective de conforter la source énergétique des lourdes machines à vapeur dont ils ont doté leur toute nouvelle manufacture aubussonnaise. De leur côté, les frères Maillot entrepreneurs de charpente nouvellement installés dans le quartier de la gare à Felletin sollicitent de la municipalité la reconstruction du barrage de la Papeterie pour s’assurer une production électrique nécessaire à leurs machines et l’étendre éventuellement à l’alimentation de l’éclairage public de la ville.
Au mois de juillet 1902 la ville de Felletin engage M. Arsène Parrain, ingénieur civil, originaire de Guéret et directeur d’une usine électrique. Elle lui confie la concession de l’éclairage électrique et le met en relation avec les frères Maillot pour l’exploitation du barrage de la Papeterie. Cependant dès son entrée en fonction M. Parrain, peu enthousiaste des installations délabrées de la papeterie, prospecte les rives de la Creuse avec l’intention de construire une usine hydroélectrique à partir d’un nouveau barrage. Très vite il est persuadé que le site des Combes conviendrait pour cette installation. En poursuivant sa prospection il acquiert à son nom des terrains communaux de la section des Combes et de Bost-les-Combes en bordure de la Creuse. Au cours d’une réunion du conseil municipal en juin 1903 il soumet le projet d’établissement d’une usine hydroélectrique et la construction d’un barrage au lieu-dit Bost-les-Combes. Finalement, en 1905, pressés par la commune, les frères Maillot et M. Parrain établissent une usine électrique sur le barrage de la Papeterie. Elle devient “la Fabrique rouge“, et assurera l’éclairage public de Felletin jusqu’en 1922. Mais Parrain ne désespère pas et poursuit son idée d’un barrage sur le site des Combes. à ce titre il s’intéresse à l’aménagement des bords de Creuse autour du village des Combes et propose le tracé d’un chemin des Combes à Confolent en suivant le cours de la Creuse. En 1908 et 1913 on le verra encore acquérir de nouveaux terrains sur la rive gauche dans la commune de Saint-Quentin-la-Chabanne.
Mais le 30 mai 1913, les frères Sallandrouze par une pétition adressée au sous-préfet demandent l’autorisation de construire un barrage sur la grande Creuse au lieu-dit les Oulades sur le territoire du village des Combes. La manufacture des tapis Sallandrouze est alors la plus grosse concentration industrielle dans la fabrication de tapis. Elle est maintenant installée dans le quartier Saint-Jean d’Aubusson et intègre toute la chaîne de production avec sa propre filature de laine peignée et cardée ainsi que sa teinturerie. Elle emploie 800 salariés. Un arrêté du préfet du 14 mars 1914 valide l’autorisation donnée aux frères Sallandrouze “de construire sur la grande Creuse au lieu-dit les Oulades un barrage de 15 mètres de haut suivi d’une dérivation de 564 mètres sur la rive droite pour former à l’extrémité de la dérivation une chute de 21 mètres“.
Les travaux ont débuté avant même la pétition et rassemblent aux Oulades un nombre important d’ouvriers : terrassiers, mineurs, boiseurs, ferrailleurs et conducteurs de wagonnets. Cette concentration ouvrière conduit le maire à recevoir dès le mois d’octobre 1912 de Jules Clément, terrassier-mineur, l’intention d’ouvrir une buvette dans un baraquement aux Combes, et, toujours dans le même lieu, en février 1913, Jean Dupuy, ouvrier mineur, déclare son intention d’exploiter dans un baraquement en planches un débit de boissons. Nécessité pressante puisque six semaines plus tard, le 28 mars, “Michel Roy déclare qu’il a l’intention d’exploiter un débit de boissons et teneur de pensionnaires dans une maison du village des Combes dont il est locataire“. Ce village felletinois est totalement investi par cette population ouvrière. En novembre 1913, Antoinette Meunier, célibataire, ouvre un débit de vin dans la maison de Madame Biesse ; celle-ci reprend le commerce à son compte en 1915 et l’exploite encore en 1918. Au fil de la construction du barrage la buvette ouverte en 1912 par Jules Clément devient en 1914 une cantine bâtie en bois et couverte en bitume. En octobre 1915 c’est encore un ouvrier mineur qui exploite le débit de boissons et tient des pensionnaires dans ce baraquement en planches mais cette fois couvert en ardoises. Malgré la guerre les travaux se poursuivent. Des travailleurs étrangers viendront apporter leur concours à ce chantier exceptionnel.
Un arrêté préfectoral du 4 janvier 1917 autorise la mise en route du barrage des Combes à Felletin avec sa centrale hydroélectrique de Confolent sur la commune de Moutier-Rozeille. Il donne une concession exclusive aux frères Sallandrouze pour assurer l’éclairage et les besoins de forces motrices électriques sur tout le territoire de la commune d’Aubusson. À l’automne 1918, dans un courrier du service hydraulique des Ponts et Chaussées de la Creuse on apprend que le ministère de l’Armement soucieux du développement des industries pour des fournitures militaires s’intéresse à cette nouvelle ressource énergétique et fait même des proposions pour le rehaussement du barrage. Aussi dès 1919 les frères Sallandrouze opèrent ce premier rehaussement pour porter la hauteur du barrage à 17 mètres et par la même occasion étendent leurs concessions de fourniture d’énergie électrique à d’autres communes environnantes. C’est ainsi qu’en 1922, à l’initiative du sous-préfet d’Aubusson, les installations électriques de la Fabrique rouge de Felletin deviennent une sous station de l’usine de Confolent.
Le développement prodigieux de l’électricité dans la décennie 1920-1930 entraîne la dynastie Sallandrouze à modifier ses stratégies. Dans une première étape elle liquide la Société en nom collectif Sallandrouze frères pour entrer dans la spéculation capitaliste en fondant en 1925 la Société des forces motrices de la Haute-Creuse, société anonyme au capital de 3 500 000 F dont le siège social est établi dans les locaux de la société Sallandrouze à Paris et dont 70% du capital demeure entre les mains des trois cousins germains Sallandrouze. Cette nouvelle société rassemble les deux usines hydroélectriques de la Croix-blanche et de Confolent et du barrage des Combes. À plusieurs reprises jusqu’en 1939 des travaux de modernisation seront entrepris sur cet ensemble industriel. Le barrage des Combes sera encore surélevé à 22 mètres en 1927 et le capital de la société, qui changera plusieurs fois de nom, montera à 5 millions en 1929.
La nationalisation de la production d’énergie électrique et la création d’électricité de France (EDF) en 1946 annoncent la liquidation de la Société des forces motrices de la Haute-Creuse. En échange elle reçoit des indemnisations conséquentes et confortables qui seront soldées en 1953. De 1919 à 1946 pour la dynastie Sallandrouze les solides revenus de cette spéculation ont servi de caisse de renflouement à l’usine des tapis et tapisseries d’Aubusson soumise aux aléas d’un marché le plus souvent en régression.
Sur le barrage des Combes et l’usine de Confolent, EDF procédera à de nombreuses transformations dont une nouvelle surélévation du barrage, le portant à 31 mètres en 1958. Par contre la société nationale s’interdit toute production électrique sur le site de l’usine de la Croix Blanche dont elle se sépare en la vendant à un particulier en 1960. Depuis 2001, un nouveau propriétaire a repris et modernisé l’usine, dite de la Rebeyrette, qui produit en 2014 autant d’électricité qu’en consomme la ville d’Aubusson.
Alain Carof