“Chère Madame,
Vous vous êtes portée volontaire pour être nommée “correspondante citoyenneté“ et vous l’avez été. Je ne doute pas de votre bonne volonté démocratique mais je crains que vous ayez été un peu abusée, à la fois par le fait que l’invention de ces correspondants venait des plus hautes autorités d’un État auquel vous semblez, comme beaucoup, accorder une confiance que je me permets de trouver un peu aveugle, et par le fait aussi que le mot “citoyenneté“ fonctionne aujourd’hui comme un fétiche intouchable. Pour tenter de vous faire comprendre les réticences de mes amis du groupe “Un Territoire en Commun“, je me permets de vous signaler que je suis un ennemi irréductible de l’unité nationale, entre autres parce qu’en France comme sur l’ensemble de la planète, il y a une minorité de riches de plus en plus riches et une masse de pauvres toujours plus pauvres, et que les riches ne consentiront à partager l’ensemble des richesses que sous l’effet d’une forte pression qui pourrait prendre toutes sortes de formes peu respectueuses du strict respect de la loi, cette loi fût-elle “citoyenne“. Allez-vous pour cela me dénoncer aux Hautes Autorités Préfectorales ?
Les attendus ubuesques de la délibération le donnent en effet à craindre: “compte tenu du contexte social que rencontre actuellement notre pays“, au-delà du style amphigourique, qu’est-ce que ça veut dire? Le “contexte social“, pour moi, est surtout marqué par la loi Macron et toutes les lois de destruction du droit social que le pouvoir socialiste met en place dans la continuité du sarkozisme. Ceux qui s’opposeraient à cette évolution sont-ils exposés à des poursuites pour atteinte à l’unité nationale ?
Aucun rapport me direz-vous, il s’agit de sanctionner des comportements qui ne respecteraient pas “l’esprit du 11 janvier“, cette unanimité dans l’émotion qui s’est exprimée après les attentats djihadistes, et dont un quarteron de chefs d’État au lourd pedigree, a ensuite pris la tête, sous l’égide d’un slogan inventé par un publicitaire. Quand on voit qui fut la victime de cette exigence d’unité nationale : ados en rébellion, ivrognes énervés, enfants de huit ans ou même simplement prof de philo voulant lancer un débat, on peut nourrir les plus grandes craintes sur l’usage qui risque d’être fait des bonnes volontés comme la vôtre.
Naguère, on s’était, à juste raison, ému du fait qu’un maire d’une commune de 18 000 habitants, à la suite de beaucoup d’autres, eût recruté sans en référer à personne, 200 “référents“ pour surveiller les quartiers. Ce genre d’initiative encourageait en effet le développement d’un état d’esprit qui poussait, par exemple, une directrice d’école à signaler les élèves turbulents à la gendarmerie.
Quand on voit qu’en janvier, lors d’une cérémonie des vœux, la présidente du conseil général de la Haute-Vienne a utilisé l’étiquette “Je Suis Charlie“ pour faire applaudir la gendarmerie et dénoncer ceux qui avaient osé cadenasser des casernes pour protester contre l’assassinat de Rémy Fraisse, quand on entend à la tribune de l’Assemblée nationale le ministre de l’Intérieur, dans sa défense d’une loi de surveillance généralisée, laisser échapper que la vie privée n’est pas une liberté fondamentale, on a tout à craindre de cette unité nationale que vous êtes chargée de défendre.
Comptez-vous vraiment dénoncer les enfants de huit ans qui ne respecteraient pas une minute de silence, au prochain attentat djihadiste, c’est à dire au prochain épisode d’une guerre dans laquelle on nous a engagés sans nous demander notre avis, en Libye, en Irak, en Syrie ou au Mali?
Je suis bien sûr que vous n’irez pas jusque-là, et c’est pourquoi je me permets de vous présenter ces quelques réflexions.“