L’hôpital de jour pédopsychiatrique COLEGRAM à Aubusson, annexe de l’hôpital psychiatrique de la Valette à Saint-Vaury n’est plus. C’est la fin d’une histoire débutée en 1986. Cette fermeture est symptomatique de la fin d’un pan de l’histoire de la psychiatrie française.
Le secteur de psychiatrie juvéno-infantile de la Creuse est créé en 1980 et le premier hôpital de jour pour enfants ouvre en 1981. Jusqu’à un passé récent des enfants étaient hospitalisés en psychiatrie à plein temps sur de longues durées (67 enfants en 1961 à La Valette et encore 30 en 1981). L’ouverture de ces structures permettra aux enfants de rentrer dans leur famille le soir. En 1986 la pédopsychiatrie creusoise comprend 4 sous secteurs à Guéret, Bourganeuf (fermé en 1995), Aubusson et La Souterraine (consultations et hôpital de jour - HJ). Les lits d’hospitalisation complète seront progressivement fermés.
Hôpital de jour
Les enfants accueillis en HJ ont de 2 à 12 ans. Actuellement on favorise le maintien en milieu scolaire. La prise en charge se déroule le plus souvent sur une à plusieurs demi-journées par semaine en alternance avec l’école où intervient parfois une auxiliaire de vie scolaire (AVS). Les troubles concernés vont variés : TED (troubles envahissants de développement dont les autismes), troubles graves du comportement, déficiences etc. Le critère principal d’admission n’est pas tant le diagnostic que le retentissement des troubles de l’enfant sur sa qualité de vie, celle de son entourage, et la dégradation de ses relations avec ses pairs, en particulier à l’école. L’admission est toujours précédée de consultations préalables avec l’enfant et ses parents et d’une période d’observation. La prise en charge peut durer de quelques mois à quelques années.
Il est impossible de considérer un enfant en dehors de son environnement. Cela implique un gros travail avec l’entourage : les parents sont partie prenante et leur l’accord est la condition sine qua non pour une admission, mais aussi l’école, parfois les partenaires sociaux, les médecins traitants, l’’éducation spécialisées et bien d’autres encore. C’est un travail de réseau avec des temps de rencontre, extrêmement chronophage et difficilement quantifiable.
Colegram à Aubusson
Colegram est une maison particulière. Et la vie qui s’y passe est tout aussi importante que les activités qui s’y organisent. A sa création on parlait de Centre psychothérapeutique. Les soins sont autant que possible adaptés à chaque enfant. Il s’agit le plus souvent d’activités structurées, ludiques, en petits groupes qui utilisent des médiateurs variés (eau, terre, contes, musique, animaux et bien plus encore). La dimension éducative est bien sûr prise en compte. Il peut s’y associer des prises en charge individuelles (psychologue, psychomotricien-ne). Sur ses 8 places, Colégram accueillait 26 à 30 enfants par an. Les soins et les transports étaient pris en charge à 100%. À proximité se trouvait un centre de consultation gratuit (CMP) où médecin, infirmiers, psychologue, psychomotricienne accueillaient les enfants et adolescents et animaient des groupes thérapeutiques pour adolescents. Il y passait de 180 à 200 patients par an. Il y avait aussi des visites à domicile pour les familles ne pouvant se déplacer ou pour les mères avec des tout petits. Le territoire desservi représentait tout le grand sud Creuse allant jusqu’à Auzance et Evaux les Bains.
On ne ferme pas, on réorganise !
Mi mars 2015 les équipes apprennent la réorganisation du service. L’hôpital de jour doit fermer à la fin de l’année scolaire. Les 8 places seront reparties pour moitié à Guéret et pour moitié à La Souterraine. Les personnels seront réaffectés, dispersés et il ne restera plus à Aubusson que deux jours d’accueil (ATTP : accueil à temps partiel) des enfants et encore seulement pour quelques heures par semaine chacun et un petit temps de consultation, le tout rassemblé dans les locaux de Colegram. Le directeur a affirmé avec une belle mauvaise foi que Colegram ne fermait pas, puisque le bâtiment restera utilisé. Le motif avancé est qu’il n’y a plus de psychiatre à Aubusson, le médecin étant parti à la retraite et, de ce fait, il y a une baisse de l’activité. Ce n’est pourtant pas la première fois que le secteur manque de médecin : le psychiatre d’Aubusson a d’ailleurs assuré plusieurs intérims. Au cours de son existence Aubusson s’est retrouvé à deux reprises sans médecin et des solutions avaient toujours été trouvées.
Certains enfants devraient parcourir 160km par jour pour venir à Guéret. Impossible donc de continuer à fréquenter l’école par demi-journées. Un certain nombre de parents refusent d’inscrire leurs enfants à Guéret. Pour le directeur “si les parents ne veulent pas envoyer leur enfant à Guéret c’est qu’il n’a pas besoin de soins !“. Certains enfants étaient suivis conjointement par les IME locaux et Colegram, les IME sont très inquiets. Exit donc les soins de proximité et l’égalité d’accès aux soins. Exit le travail de réseau. L’ARS de Limoges qui n’aurait été informée qu’à posteriori a entériné la décision.
Une fermeture soigneusement programmée
Une pétition a recueilli 3000 signatures. Les personnels ont subi de multiples pressions et menaces du fait d’avoir médiatisé l’affaire, on leur a reproché entre autre le manquement au devoir de réserve. Leur mobilisation soutenue par certains élus locaux a permis quelques améliorations en particulier une augmentation du personnel mais cela reste un ATTP, qui ne sera donc pas ouvert toute la semaine. Aux dernières nouvelles l’équipe s’arrachait les cheveux pour tenter de caser tous les enfants. A la rentrée, comme tous les ans il va y avoir de nouvelles demandes. Ces dernières années il était possible d’y répondre rapidement. Cette année il y aura des listes d’attente. L’équipe, fortement soudée en dépit des crises qu’elle a dû traverser, très attachée à la politique de secteur et la défense du service public, très impliquée dans son travail, autonome et adaptable, fonctionnait très loin du regard de la maison mère. Cela a-t-il joué dans la décision de réorganisation ?
En fait la fermeture de Colegram a été minutieusement programmée. Depuis plusieurs années, les moyens financiers de l’hôpital se réduisent. Dans le service, on est passé d’un cadre par structure à un cadre pour deux puis plusieurs structures. Les temps du service en psychologues ont été réduits. Le temps d’ASH (femme de ménage) se sont réduits de façon drastique. En 2014 un infirmier est parti et n’a pas été remplacé.
Le service de pédopsychiatrie, n’ayant pas d’activité d’’hospitalisation plein temps n’est considéré par l’administration que comme une excroissance gênante et toutes les explications sur le sens du travail qui s’y fait ont été vaines. La crise et les restrictions budgétaires que connaissent tous les hôpitaux n’excusent pas tout. La pédopsychiatrie (la situation est nationale) paye durement la logique comptable à l’œuvre, au mépris des grands principes énoncés dans les multiples textes édicté par les gouvernements successifs. Les psychiatres désertent l’hôpital et ce n’est pas pour des raisons financières : les revenus des libéraux et des hospitaliers sont équivalents. La psychiatrie de secteur, vivante, imaginative qui tentait de s’adapter à chaque individu est remplacée par la logique des filières animées par des équipes mobiles déconnectées de la vie du territoire où elles interviennent.
Dominique Weber
- Bref point d’histoire
Au sortir de la dernière guerre, quelques psychiatres revenus de déportation s’effarent des similitudes entre les camps et l’asile. D’autres, afin d’épargner à leurs patients le sort des 50 000 malades morts de privations pendant l’occupation, leur font quitter l’hôpital et leur ont découvert des ressources inattendues.
La psychiatrie de secteur est née. Une circulaire en 1960 en ébauchera les contours mais ce n’est qu’en 1985 qu’une loi reconnaît officiellement les soins hors de l’hôpital, et affecte aux hôpitaux un financement spécifique pour ces missions. Il s’agit qu’à l’intérieur d’un territoire donné, une même équipe propose à tous les malades une continuité des soins à l’aide de structures variées (allant de la consultation à l’hébergement, éventuellement l’hospitalisation) associé à un travail à destination de la population.
Dans le même temps se développe la psychothérapie institutionnelle où tous les échanges relationnels qui se créent entre les patients et les gens de leur entourage (soignants, administratifs, ouvriers...) sont reconnus et recherchés. Les relations se feront donc avec l’ensemble de ceux qui constituent l’institution et seront reprises dans des espaces de parole institués.