On se souvient qu’il y a quelques années des géographes de Limoges ont consacré une longue étude à ce qu’ils appelaient la “gentrification“ du plateau de Millevaches. Nous en avions proposé dans IPNS n°37 de décembre 2011 (1) une assez vive critique, en mettant en avant l’inadaptation d’un tel concept pour notre territoire. Aujourd’hui ces mêmes géographes récidivent dans un article paru en 2014 dans la Revue de géographie alpine (2). Décidément lorsqu’on tient son concept, on a du mal à le lâcher ! Christian Vaillant ne le lâche pas non plus sa critique.
Fondamentalement, il n’y a rien à ajouter à ce qui était écrit dans IPNS n°37 sur l’emploi du concept de gentrification pour rendre compte des mutations sociales sur le plateau de Millevaches, particulièrement dans le secteur dit de Vassivière. À vouloir trop étendre l’application d’un concept, on lui fait perdre toute pertinence.
Des promoteurs de fonctions récréatives pour le plateau ?!
Mais nos géographes, dans leur nouvelle livraison, persistent et signent et ajoutent de nouveaux éléments et de nouveaux commentaires. Ils écrivent : “dans tous les cas, les campagnes concernées voient leurs fonctions récréatives s’affirmer. Dans cette perspective, les gentrifieurs se distinguent […] en mobilisant et instrumentalisant les institutions et procédures d’aménagement pour peser sur le présent et le devenir des territoires et de tout ce qu’ils contiennent de biens communs“. On est en plein délire en ce qui concerne le secteur dit de Vassivière (qui, rappelons-le, ne concerne pas le lac mais essentiellement les communes de Faux-la-Montagne, Gentioux, Royère-de-Vassivière, La Villedieu, Peyrelevade et Tarnac) et ceux que nos géographes qualifient d’altergentrifieurs. Le combat est au contraire permanent pour refuser la transformation du plateau en espace récréatif.
La gentrification par l’ouverture des volets
“Les nouveaux venus contribuent à modifier les paysages des territoires qu’ils investissent, en particulier à l’échelle très locale au travers de leurs pratiques et aménagements domestiques“. Pourquoi pas ? Mais suit une série d’assertions tout aussi absurdes. “À l’échelle domestique, l’impact des nouveaux résidents intervient dès leur installation. Elle commence parfois par une simple, mais très symbolique, réouverture des volets clos.“ En effet, la preuve est faite que l’horrible gentrification est en marche ! “Les jardins, précédemment délaissés, voire enfrichés, sont de nouveau entretenus et maîtrisés.“ Ah bin oui ! “La création et l’agrandissement des ouvertures, sont quasi généralisées parmi les néo-Limousins (qui se distinguent ici des revenants, beaucoup moins concernés).“ On croit rêver quand on vit au quotidien les agrandissements et embellissements pratiqués par les “natifs“ et plus encore les “revenants“, à la différence de nombre de “néos“ sans grands moyens ou négligents. “Un engagement général et unanime à l’endroit des jardins relevant d’une éthique et d’une recherche d’esthétique qui tranche radicalement avec les jardins potagers traditionnels ((re)plantations, introduction de nouvelles essences, entretien, clôtures, etc.).“ Ici encore on croit rêver en ce qui concerne le secteur de Vassivière ; ce serait peut-être l’inverse que les “natifs“ reprocherait aux “néos“. Nos géographes ont beau illustrer leur article de photos illustratives, on se demande sur quelles données sérieuses ils se fondent.
Une plateforme d’entraide
En revanche, la description de la “plateforme d’entraide“ (avec De Fil en Réseaux, IPNS, Télé Millevaches, collectivités locales promouvant station de lagunage, PLU, “pépinière“ d’entreprise…) mise en place par les “altergentrifieurs“ sur le secteur de Vassivière est assez fidèle à la réalité. “A partir de ce centre, qui correspond au territoire le plus anciennement concerné par les flux migratoires entrants, les ramifications du réseau s’étendent au-delà du PNR.“
Imposition et prescription normative
Mais nos géographes soulignent des risques liés à cette “plateforme“ : “Mais cette volonté de porter, voire d’imposer, une philosophie environnementaliste, “écologisante“ et sociale allant jusqu’à la prescription normative expose au risque de s’aliéner une partie de la population.“ Et, évoquant les “Propositions pour une plateforme commune de la Montagne limousine“, les auteurs ajoutent : “Sans que le lien de causalité ne soit clairement établi avec ce manifesto, une spectaculaire crispation du débat électoral autour de l’opposition entre néo et locaux a conduit à l’échec de plusieurs candidats parmi les plus ouverts aux initiatives des nouveaux habitants.“ En fait, seules trois communes du secteur ont changé, deux contre la plateforme (Gentioux et Rempnat) mais l’autre pour (Tarnac). Mais ne pinaillons pas sur la formulation, la crispation a bien eu lieu, même dans les communes facilement remportées dès le premier tour par une liste dirigée par les “néos“.
Un vrai sujet seulement effleuré
Les “accusés“ protesteront de leur pratique parfaitement démocratique, ouverte et transparente, ce qui est indéniable, et il est par ailleurs absurde de lier cette “crispation“ à un phénomène de gentrification. Il est ainsi dommage que soit gâché un vrai questionnement sur une évolution politique et idéologique qui est effectivement la traduction d’une mutation sociale et de contradictions de classes, sinon de luttes de classes. Plutôt que consacrer autant de temps, de questionnaires et d’entretiens pour connaître les goûts environnementaux des néos (de manière superficielle comme nous le soulignions dans le précédent IPNS), nos géographes auraient dû explorer ce qu’il en est de cette “imposition“ et de cette “prescription normative“ des valeurs écologistes et de leur confrontation avec une non moindre imposition et une non moindre prescription normative d’un autre système de valeurs concernant le travail et l’assistanat, l’habitat, la propreté, l’école publique, la nouveauté, le différent, etc.
Christian Vaillant
(1) Nous en profitons pour rappeler que tous les anciens numéros d’IPNS peuvent être consultés sous format PDF
(2) Frédéric Richard, Julien Dellier et Greta Tommasi “Migration, environnement et gentrification rurale en Montagne limousine“,
article consultable sur https://rga.revues.org/2525