Les habitants de Roquevaire (Bouches du Rhône) bénéficient chaque année gratuitement de l’eau potable. Derrière cette mesure une municipalité volontariste en la matière.
Le 19 décembre 2011, le conseil municipal de Roquevaire approuvait à la quasi-unanimité une délibération instaurant une “tarification solidaire et responsable de l’eau“. Cette tarification progressive se compose de trois tranches : l’eau “vitale“, qui correspond aux trente premiers mètres cubes, puis l’eau “utile“, jusqu’à 120 m3, et, enfin, l’eau de confort. “Considérant que l’eau potable ne doit pas être une marchandise source de profits injustifiés, mais qu’elle est un bien commun de l’humanité“, l’équipe municipale a estimé que ses administrés devaient pouvoir accéder gratuitement à l’eau vitale.
“Quand on a commencé à étudier ce projet, on s’est vu opposer tout un tas de réglementation, de décrets, de lois… On a compris que nous n’avions pas le droit de pratiquer la gratuité, explique Yves Mesnard, maire (PCF) de la commune depuis 2008. Plutôt que de partir dans un interminable combat devant le tribunal administratif, on a choisi de faire plus simple : fixer un prix dérisoire.“
Ainsi, depuis le 1er janvier 2012, pour les trente premiers mètres cubes d’eau potable, les Roquevairois déboursent… 1 € ! Cette quasi-gratuité, accompagnée de tarifs avantageux pour les volumes suivants, n’a pas entraîné de hausse de la consommation moyenne. Au contraire, alors que la population a augmenté entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2013, la consommation globale a pour sa part légèrement baissé.
Une régie municipale créée en 1925
“Notre chance, c’est que nos ancêtres avaient travaillé“, glisse le maire. Roquevaire a toujours eu une relation un peu particulière à l’eau. Les habitants avaient en effet, dés le début du XXe siècle, réalisé un forage qui alimente les fontaines du village. La commune a ensuite créé sa propre régie. Depuis 1925, c’est elle qui assure le captage, le traitement et la distribution d’eau potable à Roquevaire, puis aux trois villages de la commune, Lascours, Pont-de-l’Etoile et Pont-de-Joux. Soit un peu moins de 9 000 habitants pour environ 4 300 abonnés aujourd’hui. Dix agents et un ingénieur font fonctionner la régie, qui gère notamment les 92 km du réseau de distribution. La gestion communale de l’eau a déjà montré, ici et ailleurs, ses vertus : cela revient moins cher qu’en la confiant à un groupe privé, et le réseau est souvent beaucoup mieux entretenu. Lorsque la nouvelle équipe municipale est arrivée à l’hôtel de ville en 2008, elle s’est ainsi aperçue que cette régie était bénéficiaire. Dés lors, pourquoi ne pas en faire profiter les administrés ? “On ne paie pas la ressource. Or en tant qu’élus, on n’est pas là pour faire du pognon, mais pour faire fonctionner une commune“, rappelle Yves Mesnard.
Tout n’a pas été simple pour autant. Situé à 28 km d’Aix en Provence, 25 km de Marseille et 8 km d’Aubagne, Roquevaire, autrefois agricole, accueille désormais principalement les travailleurs de ces différents pôles d’activités. Les cadres supérieurs y ayant construit récemment leurs villas côtoient une population plus ancienne, et plus précaire, l’activité économique sur place ayant quasiment disparu. Les ressources fiscales sont donc plutôt faibles. “Pour mettre ce système de facturation d’eau en place, on n’a tous pris nos petites calculatrices, et on a fait nos propres calculs. Ça nous a pris deux ans !“
Disparition de la régie avec la métropole ?
Plutôt que de partir dans les poches de quelques actionnaires, tous les bénéfices dégagés par la régie sont réinvestis dans l’entretien et l’aménagement du réseau. En moins de dix ans, le rendement du réseau est ainsi passé de 60 % à 76 % se situant dans le haut du panier de la moyenne nationale. Cela a aussi permis à la commune de procéder, en 2013, à un forage d’exploration afin de disposer d’une seconde ressource en eau pour mettre en sécurité l’approvisionnement des habitants. Les essais ont confirmé l’existence, par 125 m de profondeur, d’une rivière souterraine. Mais la régie de l’eau de Roquevaire l’exploitera-t-elle un jour ? C’est la question que se pose actuellement, avec inquiétude, la commune. L’avènement, en 2020, de la métropole d’Aix-Marseille-Provence pourrait mettre fin à l’aventure, puisque la compétence de l’eau sera confiée à cette mégastructure. Ainsi, la régie, “qui a fêté ses 90 ans cette année, ne sera peut-être malheureusement jamais centenaire“, regrette Yves Mesnard.
Des rencontres doivent s’organiser avec d’autres maires de la région dont les communes sont également équipées de régies directes de l’eau, afin d’essayer d’obtenir des dérogations. Ou, pourquoi pas, convaincre la métropole de s’engager sur le chemin de la remunicipalisation du service ?
Article publié dans L’Âge de faire (n°102, novembre 2015) - www.lagedefaire-lejournal.fr