Lorsqu’à la fin des années 1980 le projet de parc naturel régional est remis sur le métier, certains voient là l’occasion de créer enfin une structure institutionnelle qui représente le Plateau en faisant fi des barrières départementales créées 200 ans plus tôt. La pionnière communauté de communes du Plateau de Gentioux avait déjà mis un pied à l’étrier à cette idée saugrenue en rassemblant sous le même chapeau une commune corrézienne (Peyrelevade) et trois communes creusoises (Gentioux, Faux-la-Montagne et Féniers). Le parc a bien été créé, mais sa taille (113 communes), son élargissement bien au-delà du cœur du plateau, et surtout sa faiblesse institutionnelle et politique, l’ont empêché de créer cette “République du Plateau“ qu’on aurait pu imaginer : créatrice, innovante, audacieuse et prenant des risques et des initiatives fortes. D’autant que la généralisation des communautés de communes, toujours à l’intérieur des départements (Peyrelevade continuant à faire exception), redressaient des barrières administratives sur le pointillé de plus en plus hermétique de départements qui n’ont jamais eu trop envie de sortir de leurs frontières. La position de la Haute-Vienne, dont nous avons déjà beaucoup parlée dans IPNS, étant la plus énergique mais pas la seule...
Ce ne sont pas moins de 14 communautés de communes qui découpent le parc, certaines en lambeaux (Bourganeuf Royère-de-Vassivière) ou en bribes (Briance-Combade ou Ventadour). Avec la réforme des collectivités locales de 2010 (seulement en partie remise en cause suite au changement de majorité), l’Etat, via ses préfets, cherche à rassembler les communautés de communes afin de les rendre plus grosses et d’en réduire le nombre. Au prétexte de l’efficacité et de la mutualisation, il s’agit bel et bien de faire disparaître les petites com com anachroniques aux yeux d’un Etat qui voit le monde rural avec les lunettes technocratiques de la Datar. Plus c’est gros et plus c’est fort et c’est donc mieux ! Un raisonnement qui n’était pas celui de Thierry Letellier, président de la communauté de communes du plateau de Gentioux qui déclarait dans IPNS n°34 (mars 2011) : “L’hypothèse d’une grande intercommunalité reliant Aubusson-Felletin, les sources de la Creuse et le plateau de Gentioux ne me paraît pas du tout opportune. Avec des populations très diversifiées sociologiquement et politiquement, on ne pourra aboutir qu’à la recherche de consensus, c’est à dire à un affadissement des projets votés. Toutes les expérimentations que nous sommes aujourd’hui capables de voter ne passeront plus.“
Dans le même numéro d’IPNS, Christophe Bernard, secrétaire général de l’Assemblée des communautés de France (et secrétaire du Sivom du plateau de Gentioux dans les années 1980) mettait le doigt sur un autre élément : “Le toujours plus en termes de population et de communes réunies pour constituer des communautés XXL permettant d’atteindre des économies d’échelle pour la gestion des services a ses propagandistes. Cette vision d’un local administré par de larges communautés (par exemple 60 à 100 communes réunies pour les territoires les moins densément peuplés) fait cependant fi de la gouvernance de ces ensembles et de leur proximité avec les citoyens.“ Les sociologues qui étudient le monde rural constatent depuis une trentaine d’années, le développement des structures intercommunales et les incidences de celui-ci sur la “politique au village“ qui tend à devenir de plus en plus la “politique à la com com“. Cette évolution conduit les élus des petites communes à se retrouver face à des techniciens aux niveaux de formation et d’expérience souvent bien plus élevés que les leurs, dans une confrontation entre élus légitimés par le scrutin démocratique et experts professionnels. “En instaurant une plus grande division et une technicisation croissante du travail politique qui viennent consacrer la détention de savoir-faire professionnalisés articulés autour de compétences gestionnaires et managériales, la dynamique intercommunale favorise l’émergence d’une nouvelle élite politique caractérisée par une standardisation (progressive) des profils au profit des élus ruraux et périurbains issus des fractions supérieures de l’espace social“ note Sébastien Vignon qui décrit ainsi une “démocratie d’expertise“ intercommunale (1). Une tendance qui, logiquement, ira croissant avec la taille des communautés.
Sur le Plateau, autour de la communauté du plateau de Gentioux ou de la communauté des Sources de la Creuse, une résistance a semblé se former. “Nous avons, expliquait il y a deux ans Thierry Letellier, en tant qu’élus, tout comme les habitants, des liens avec des communes proches et des préoccupations identiques (Tarnac, Sornac, Nedde, Rempnat...) sur la base desquels nous pourrions refonder une intercommunalité qui reste proche des habitants et fasse prospérer les liens de solidarité.“ Le 21 septembre 2012, l’emblématique commune de Peyrelevade délibérait dans le même sens : “Le Conseil Municipal (…) décide de rejeter la proposition d’un rattachement de la commune de Peyrelevade à la communauté de communes de Bugeat-Sornac, [et] demande le lancement d’une réflexion pour la création d’une communauté de communes soit, à l’échelle du plateau de Millevaches, à cheval sur 2 voire 3 départements, sur la base des problématiques et des enjeux liés à la ruralité et permettant une véritable synergie avec l’outil PNR ; soit, à l’échelle de la Haute-Corrèze.“ De leur côté, la Communauté des Sources de la Creuse (autour de La Courtine), par la bouche de Jean-Marc Michelon son président, réaffirme son désir de rester indépendante : “Depuis le début nous avons exprimé notre désir de rester indépendants et de conserver notre périmètre initial, ce que notre classement en zone de montagne permet.“
Mais les choses n’ont pas pris la tournure espérée. Thierry Letellier constate aujourd’hui qu’ils n’étaient que quelques élus à vouloir vraiment aller dans le sens d’une com com du Plateau. La fin de la taxe professionnelle (une des principales ressources de la communauté) et les nouveaux dispositifs de financement par l’Etat poussent aux regroupements. Ainsi l’union des communautés Aubusson-Felletin et plateau de Gentioux qui devrait être avalisée fin mars par le conseil communautaire du plateau de Gentioux (elle l’a déjà été par Aubusson-Felletin), permettra de recevoir en dotation générale de fonctionnement 96 € par habitant (au lieu de 81 € actuellement à Aubusson-Felletin et 47 € à Gentioux). Même si cette dotation ne représente qu’une faible part des budgets communautaires (1,3 million à Gentioux et 6 millions à Aubusson-Felletin), l’exemple laisse clairement présager l’avenir. Ce sont les grosses communautés qui réussiront à maintenir leurs dotations et les petites seront laminées. Lorsque l’Etat prévoit d’économiser 750 millions d’€ en 2013 dans ses versements aux collectivités locales, et 4 milliards en 2014, on peut être sûr que les petites collectivités seront beaucoup plus touchées que les grosses.
La carte actuelle des communautés de communes risque donc de beaucoup changer d’ici 2014. Déjà deux communes de la communauté des Sources de la Creuse (Croze et Gioux) vont rejoindre la nouvelle communauté Aubusson-Felletin-Gentioux qui devra être effective au 1er janvier 2014. D’autres communes se posent la question. Du coup Peyrelevade, de plus en plus isolée, va rejoindre la Corrèze et signer ainsi la fin de l’interdépartementalité. La communauté de Bugeat-Sornac, étouffée financièrement va sans doute se refondée dans une large Com com avec Meymac et Ussel. Bref l’échelon intercommunal sera un peu plus éloigné des habitants... Une évolution qui laisse un goût amer à Philippe Breuil, conseiller général du canton de La Courtine et défenseur de la petite com com des Sources de la Creuse, qui tempête contre la manière dont les reconfigurations intercommunales se font. Dans Le Populaire du 7 janvier 2013 il déclarait : “Pour faire le Grand sud creusois, il faut tous se mettre autour d’une table et discuter en prenant son temps. Les annonces dans la presse ne suffisent pas, surtout quand elles se font sans concertation. Jamais Monsieur Moine [maire d’Aubusson] et Madame Nicoux [sénatrice-maire de Felletin] ne m’ont appelé. Felletin et Aubusson ont une petite boutique et rêvent d’ouvrir un hypermarché. Ces deux élus professionnels travaillent sur un périmètre et non sur des projets.“ Périmètre contre projets, quantité contre qualité, poids lourds ou légers : l’avenir du plateau se jouera sur la capacité des “petits élus“ ou des “petites communes“ à trouver leur place et imposer leurs idées face aux élus plus influents. Quant au Plateau, il continuera bien à être ce qu’il est, com com propre ou pas, PNR ou pas, tant qu’il y aura des habitants pour y « inventer une autre vie » - en vrai !
Michel Lulek