Suite à l’article sur l’utilisation des pesticides en forêt dans le précédent numéro d’IPNS, nous avons reçu une réponse de la CFBL, afin d’ “apporter (leur)part de réalité“. Les citations en italique sont extraites de ce courrier.
“Afin de répondre à une menace sanitaire mettant en péril le mécanisme actuel de renouvellement de la forêt résineuse, CFBL a mis en place une action volontariste et transparente, avec l’appui de la filière et des pouvoirs publics. C’est ainsi que vous avez pu être régulièrement informés de l’évolution des travaux, et cela ne préjuge pas des autres pistes de réflexion engagées.“
Tout en comprenant l’impasse technique dans laquelle le modèle sylvicole pousse les propriétaires forestiers, nous avons souhaité porter à la connaissance de nos lecteurs ces pratiques forestières, qui, bien loin d’être une nouveauté (un témoin affirme que des produits étaient déjà utilisés sur les plantations qu’il effectuait à la fin des années 80), restent assez généralement méconnues du public. Toutes les informations provenaient de sources officielles (DRAAF) ou professionnelles (revue Forêt-Entreprises). Il n’y a pas de raison de croire que les travaux expérimentaux sur le pesticide Suxon Forest aient été réalisés hors d’un cadre légal et public. Cependant, bien peu de gens non directement concernés par les questions de gestion forestière consultent ces sources.
En dépit de l’urgence technique de la situation, nous pouvons cependant nous étonner de l’usage, même s’il est temporaire, d’un produit aussi controversé. En effet, début janvier, l’EFSA9 a publié un rapport indiquant le lien entre l’utilisation des pesticides de la famille des néonicotinoïdes (dont fait partie l’imidaclopride, matière active du Suxon Forest) et la mortalité des abeilles. L’UNAF10 a réagi et recueilli 300 000 signatures sur une pétition demandant le retrait de ces produits. Les experts des Etats membres de l’Union Européenne doivent se prononcer sous peu. Quant aux autres pistes explorées, espérons qu’elles visent non pas la substitution d’un produit dangereux par un autre, mais plutôt une remise en cause du système de production monoculture / coupe rase, dont il est clairement établi qu’il est la raison première du risque hylobe (parasite des résineux).
“Le Suxon Forest a obtenu son homologation et autorisation de mise sur le marché pour une utilisation en pépinière comme en forêt le 26/09/12.“
A ce jour (07/03/13), le site officiel du ministère de l’Agriculture n’affiche toujours pas cette décision. L’ANSES11, chargée de délivrer les homologations des produits a été sollicitée par l’association Générations Futures pour publier les décisions d’homologation, tel que stipulé par la réglementation, ce qui n’était pas fait jusque là. Fin février, l’ANSES s’est engagée à publier ces informations d’ici un mois. Bref, en l’état actuel, la seule information disponible sur l’homologation du Suxon Forest est celle fournie par la CFBL.
“Les entrepreneurs de travaux forestiers travaillant pour la coopérative sont pris en compte et conviés à des formations pour l’emploi de la spécialité.“
Encore une fois, nous n’avons pas de raison de douter du respect de la réglementation par la CFBL. Toutefois, rappelons ici que nous avons simplement transcrit les paroles de notre témoin-planteur, qui affirmait que “les conditions ne permettaient pas toujours de se protéger efficacement“. Sur cette question de la sécurité des travailleurs, un lecteur nous fait parvenir de manière fort opportune un article12 reprenant les conclusions du rapport de la mission d’information sénatoriale remis en octobre 2012 au Sénat, dont les positions sont bien éloignées de la mièvrerie concupiscente, voire partisane, du précédent rapport de l’OPECST13. Ce dernier affirmait par exemple que la mortalité des abeilles était liée à “une gestion sanitaire déficiente“ des ruchers par les apiculteurs. Le rapport de 2012 met en lumière d’une part “le manque d’information des utilisateurs sur la dangerosité de ces substances“12, et d’autre part le fait que l’efficacité des Equipements de Protection Individuelle (EPI) ne faisait pas partie des critères pour l’homologation d’un produit. “En clair, le produit est mis sur le marché, mais rien ne garantit que l’EPI adapté existe.“13
“Nous regrettons simplement l’unilatéralité de la communication qui assimile les forestiers reboiseurs à des pollueurs.“
Il est évidemment souhaitable de ne pas tomber dans l’amalgame caricatural et stérile. Une diversité de pratiques existe, et certains entrepreneurs de la filière rencontrés depuis se défendent d’appliquer ces pratiques. Soulignons simplement que, en dépit du caractère dérogatoire de l’utilisation du Suxon Forest ces deux dernières années, le nombre de plants traités en France en 2011 s’élevait à 11 millions14, sur un total de 32 millions de plants vendus (tous résineux confondus, dont certains insensibles à l’hylobe)15 ; ce qui représente 55 tonnes de Suxon Forest.
Gaël Delacour
9- Agence Européenne de Sécurité des Aliments
10- Union Nationale de l’Apiculture Française
11- Agence Nationale de Sécurité sanitaire de l’alimentation de l’Environnement et du travail
12- Pesticides : des sénateurs prônent le risque zéro ; Santé & Travail n°81 – 01/2013
13- Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques, Rapport sur Pesticides et Santé, 29/04/2012
14- ANSES, Avis sur l’homologation du Suxon Forest, 30/04/12
15- IRSTEA, Résultats par essence forestière de l’enquête statistique sur la production et la vente de plants forestiers en pépinières, Campagne 2010-2011