Les constructions agricoles récentes peuvent-elles tenir la comparaison avec celles de nos aïeux, en termes de qualité, d’intégration dans le paysage et de respect de l’environnement ?
Cette question, qui semble a priori ne pas tenir compte de la réalité du monde agricole du XXIe siècle, peut-elle être posée et étudiée sous ses différents aspects, sans pour autant faire le procès de qui que ce soit ? Sans entrer dans une polémique interminable entre ceux qui travaillent la terre, et ceux qui souhaitent préserver la diversité et la valeur esthétique des paysages et de l’habitat ? Ces deux notions sont-elles complètement subjectives, uniquement liées à des objectifs touristiques, tributaires de “modes“, de courants de pensée, eux mêmes plus ou moins assujettis à des enjeux économiques ?
Lorsque l’on sillonne les routes du Plateau, la vue des nouvelles installations agricoles, qui cohabitent avec les anciennes constructions, nous a donné envie d’essayer modestement, de trouver quelques réponses.
Des monuments historiques
Les granges en pierres, étables, écuries, fours à pain, moulins, etc. qui constituent l’essentiel du patrimoine bâti de tous nos villages et hameaux, avaient autrefois un usage purement fonctionnel, souvent à usage communautaire, lié à la vie quotidienne. Ils avaient parfois été édifiés dans des conditions très précaires, grâce à la solidarité paysanne d’alors. D’autres étaient de vrais chefs-d’oeuvre de taille de pierres et de maçonnerie, qui témoignaient du savoir faire des artisans de cette époque.
Nos ancêtres avaient-ils conscience que les maisons et bâtiments dans lesquels ils passaient le plus souvent l’intégralité de leur vie, deviendraient des éléments patrimoniaux, pour certains classés au registre des monuments historiques ? La réponse semble évidente, mais cela peut soulever d’autres interrogations : nos traditions paysannes n’ont-elles d’intérêt que pour les chercheurs en ethnologie ?
Nombre de personnes âgées, ayant passé leur enfance et leur vie d’adulte dans des conditions parfois très rudes (promiscuité, manque de chauffage, de lumière, mauvaises conditions sanitaires, etc.) regardent ces bâtiments anciens comme des lieux de misère, qui n’évoquent pour eux que des souvenirs de souffrance.
Pourtant ils sont les premiers aussi à déclarer que la vie des villages et le travail à la ferme de notre époque, sont infiniment plus tristes et déshumanisés qu’à la leur.
Les dérives de l’agriculture “moderne“ sont flagrantes et nous interrogent tous les jours sur notre avenir, en termes de nutrition, de santé et d’environnement.
Emblèmes industriels
Toutes ces stabulations, ces hangars et tunnels en matériaux métalliques, plastiques et autres composants artificiels, sont-ils simplement les emblèmes trop visibles de pratiques agricoles qui peuvent effrayer? Est-ce pour cette raison que nous les trouvons laids et disgracieux, comme des outrages à notre “mère nature“ ?
De plus, autour de ces installations, il arrive que la démarche soit poussée à son paroxysme : boules de foin enrubanné entassées en véritables “murs de plastique“, fosses d’ensilage recouvertes de bâches plastique et de pneus, avec souvent les déchets issus de ces nouveaux procédés laissés à l’abandon en pleine nature.
On est loin ici des rêves d’harmonie bucolique pour citadins en mal de nature authentique. Mais si l’on essaie de garder une hauteur de vue, sans porter de jugement hâtif, la question de savoir si les pratiques agricoles elles mêmes en sont arrivées à nier, ou renier, une nature qui est censée représenter leur raison d’exister, mérite d’être posée.
Il est clair que sur notre territoire, l’élevage même intensif, n’a pas atteint les outrances que l’on peut observer dans certaines régions, de France, ou du monde .
Mais il n’empêche que les installations récentes de certaines exploitations témoignent d’une sorte de manque de respect vis à vis de la nature, vis à vis de la terre elle même. Les problèmes vis à vis des animaux sont également à prendre en compte, même si ce n’est pas notre sujet.
On peut faire mieux
L’utilisation de matériaux naturels, comme le bois, est devenue difficilement abordable financièrement....alors que nous habitons ici une région forestière de production de bois ! Ce paradoxe est inhérent à nôtre société de consommation dite mondialisée, et les domaines de l’agriculture et des matériaux de construction n’y échappent pas.
Néanmoins chaque agriculteur fait ses choix, en fonction de ses possibilités, mais aussi en fonction de l’idée qu’il a de son métier, et en connaissance de cause.
Les moyens de ne pas tomber dans la démesure, tant sur le plan esthétique que par rapport à l’impact environnemental existent.
Le choix du bois dans les constructions de bâtiments agricoles doit être privilégié et le surcoût pourrait être pris en charge dans le cadre de la PAC. Le choix des emplacements aurait aussi un réel intérêt, si l’on pouvait inciter les constructeurs à suivre des recommandations en matière d’implantation dans le paysage. La maîtrise des déchets plastiques, issus de l’enrubannage, de l’ensilage, entre autres, et de leur recyclage serait primordiale également.
Des filières existent, pour certaines, depuis longtemps, que ce soit en matière de construction ou de collecte des déchets, mais tout cela est encore trop fluctuant et incertain.
Le rôle du PNR, pour notre territoire, pourrait être une piste sérieuse de collaboration efficace entre la profession agricole et les acteurs de la protection de l’environnement.
Et le rôle des institutions de l’Europe ne serait-il pas, en la matière, de rendre incitatives toutes les démarches qui vont dans le sens du respect du bien commun, en l’occurrence la nature qui nous entoure ?
La préservation du cadre de vie sur le Plateau, non dans une perspective “touristico-esthétique“ tournée vers le passé, mais en prenant en compte les enjeux paysagers et environnementaux, semble être une alternative intéressante à la grisaille agro-industrielle qui s’empare de nos campagnes.
C’est aux habitants de notre territoire qu’il appartient d’en prendre conscience, et d’agir pour sauvegarder nos richesses naturelles communes.
André Nys