Le Limousin se caractérise par un semis assez homogène de petites villes et de gros bourgs qui ont tous bénéficié de l’arrivée du chemin de fer. À quelques exceptions près, la compagnie du Paris-Orléans a exploité toutes les lignes limousines d’intérêt général. Ici comme ailleurs, la compagnie a rechigné à investir dans les zones de montagne les plus contraignantes et les moins porteuses en matière économique. Au point qu’elle a parfois opté pour la solution de la voie métrique (réseau du Paris-Orléans-Corrèze dans le secteur des Monédières). Le plan Freycinet a joué un rôle considérable dans le désenclavement des campagnes limousines. Hormis la radiale Paris-Limoges-Toulouse et les deux transversales Bordeaux-Lyon (une via Brive, l’autre via Limoges et Guéret), l’essentiel de la trame historique est en effet l’oeuvre de l’ambitieux programme d’aménagement initié par le ministre des travaux publics en 1878. Même si le plan n’est pas totalement achevé, les campagnes limousines disposent en 1908 d’un réseau d’intérêt général particulièrement dense permettant à une grande majorité de chefs-lieux de canton de disposer d’une gare (Parmi les exceptions : Mézières-sur-Issoire, Chamberet, Gentioux, Crocq).
Le déclin du réseau ferroviaire s’est fait par grandes vagues successives. Le mouvement de “coordination“ lancé par la nouvelle SNCF dès 1939, interrompu par la Seconde Guerre mondiale, s’est traduit dès l’après-guerre par le plus important mouvement de fermeture (et dépose) de lignes de l’histoire ferroviaire. Pour autant, les années 1950 et 1960 correspondent encore à “l’âge d’or“ des lignes de chemin de fer d’intérêt général en espace rural même si la rapide démocratisation de l’automobile enlève déjà un nombre croissant d’usagers au transport ferroviaire. Dans un contexte socio-économique favorable, l’État dispose de ressources et mène une politique de modernisation qui se caractérise avant tout par des innovations sur le matériel roulant, innovations dont profite le monde rural avec l’arrivée des autorails. C’est à partir des années 1970 que l’infrastructure et la superstructure sont davantage concernées par le mouvement de “contraction“ qui affecte le réseau ferré national. Jusque là en effet, les gares préservent largement le paysage et l’atmosphère si chère aux modélistes et ferrovipathes en quête de nostalgie rurale. La “modernisation “ du début de cette nouvelle décennie 1970 se caractérise par la suppression de nombreux évitements et voies de débords dans les stations secondaires, marquant alors la fin des tâches d’exploitation et de sécurité. Pendant un premier temps, ces gares ont encore un guichet tenu par un gérant, souvent une femme. Puis ces arrêts deviennent vite dépourvus de présence humaine, la SNCF invitant le voyageur à prendre son billet à sa montée dans le train.
1997 marque en effet un tournant dans ce que nous pourrions dénommer “l’itinéraire du patrimoine ferroviaire“. Celui-ci devient la propriété de la nouvelle entreprise publique Réseau Ferré de France (RFF) ; cette nouvelle entité a pour vocation de gérer les infrastructures ferroviaires, dont les bâtiments de gares. La SNCF devient un opérateur, c’est-à-dire un exploitant ayant exclusivement vocation à utiliser des lignes à des fins commerciales (elle s’acquitte donc de péages pour emprunter les lignes de RFF). 2002 marque enfin une nouvelle étape fondamentale dans l’exploitation du réseau ferré puisque les collectivités régionales acquièrent la compétence de l’exploitation du réseau TER, en devenant des autorités organisatrices des transports (AOT). Elles contractualisent avec la SNCF et RFF, financent elles-mêmes l’achat de matériel neuf et la rénovation des gares.
Il convient de rappeler que la fermeture de l’édifice emblématique de “la gare“ ne coïncide pas systématiquement avec la fin de la desserte ferroviaire. En Limousin, 42,8 % des gares sont encore desservies par des trains mais la moitié de ces bâtiments de voyageurs ne sont pourtant plus à disposition de l’usager. Calculé autrement, cela revient à dire que nous ne pouvons désormais 4 fois sur 5 (78,4 % exactement) plus accéder à l’intérieur de l’édifice autrefois public. En poussant encore plus loin la question de l’accès au service, nous constatons que 29 gares sur 196 disposent encore, en décembre 2010, d’un agent sur place apte à répondre commercialement à la demande du client. En moins d’un siècle donc (puisque l’apogée du service ferroviaire se situe dans les décennies 1920 et 1930), l’offre de service voyageurs a en quelque sorte été divisée par (presque) 7. Pour ce qui concerne l’espace rural, le déclin atteint des proportions encore nettement plus élevées.
La géographie de l’implantation des gares ouvertes fait vite apparaître la fin de la desserte ferroviaire des communes rurales de moins de 2 000 habitants. Les campagnes sont bel et bien les premières victimes de la politique de contraction et de modernisation. Seules six communes rurales ont préservé un « chef de gare » à l’échelle d’une région administrative entière. À Bugeat (Corrèze, plateau de Millevaches) et Saint-Sébastien (Creuse), le monde cheminot, associatif et politique est particulièrement actif et mobilisé pour préserver le service public. À Saint-Sébastien, une association milite pour la qualité des dessertes et notamment la préservation des arrêts des trains “grandes lignes“. À Bugeat, il a déjà été question d’enlever l’agent en gare.
10 % des gares construites sur le réseau limousin d’intérêt général n’existent plus aujourd’hui dans le paysage. La SNCF, lorsqu’elle n’a plus besoin d’un édifice dans le cadre d’une exploitation contemporaine, prend la décision de faire appel à une entreprise de démolition. Elle semble recourir à ce genre de procédé dans un souci très technocratique ; la démolition plutôt que la vente a l’avantage d’éviter toute sorte d’entrave à l’exploitation moderne du réseau (normes de sécurité à instaurer, distance réglementaire du grillage, etc.). Lorsque le bâtiment est devenu très vétuste et n’a par conséquent qu’une modeste valeur immobilière, l’entreprise ferroviaire préfère se séparer au plus vite de l’édifice sur lequel elle cesse alors de payer une taxe foncière. Si quelques gares ont parfois été sauvées in extremis, d’autres n’ont pas connues ce sort, tel par exemple l’arrêt de Bussy-Varache, très regretté des pratiquants de la pêche dans les gorges de la Vienne.
43 % des édifices construits en Limousin sont aujourd’hui devenus des propriétés privées. Cette proportion considérable revêt des contextes variés. La gare est parfois désormais oubliée au coeur de la campagne à tel point qu’on ne reconnaît plus sa présence dans le paysage. Le site de la gare-maison peut à l’opposé être encore animé par le passage (et le croisement) de convois ; le bâtiment constitue alors une emprise privée au cœur d’un site public.
24 gares ont été affectés à une nouvelle vocation économique et sociale, soit 12,2 % du parc. Un quart des réaffectations relève de l’initiative privée ; les bâtiments sont devenus des commerces ou des sièges d’entreprises artisanales. L’essentiel est resté dans la sphère publique et correspond aux réinvestissements, au “sauvetage“ du bâtiment par les communes qui ont opéré des aménagements plus ou moins ambitieux. Ils représentent aujourd’hui des bâtiments aux fonctions emblématiques des communes rurales : atelier municipal (Uzerche - 19), caserne de pompier (Treignac - 19), siège de la Croix Rouge, maison de retraite, mairie (Saint-Marien - 23), maison d’associations (Sainte-Feyre - 23), office de tourisme (Magnac-Laval - 87), camping (Saint-Jal - 19), salle polyvalente (Pandrignes - 19), etc…
Le maintien du patrimoine comme le développement territorial sont avant tout une affaire d’homme, de leader qui parvient à faire passer un message, à convaincre, agir, parfois dans une situation d’urgence absolue. À La Celle Corrèze par exemple, les engins de démolition étaient déjà présents lorsque la commune et l’association Vienne-Vézère-Vapeur sont intervenues auprès de la SNCF pour stopper le chantier. Sans un homme influent et reconnu pour ses compétences, à la fois cheminot, élu (conseiller général, vice-président du parc naturel régional de Millevaches) et Président de l’association en charge de faire circuler des trains à vapeur sur la ligne de montagne Limoges-Ussel, le sort de ce bâtiment de voyageurs était scellé. Mais ce scénario s’achevant par un heureux dénouement est bien trop rare.
Statut des gares limousines en décembre 2010 | ||
Statut de la gare au regard du trafic actuel | Nombre | % |
Gare fermée à tout trafic ferroviaire | 110 | 56,1 |
Gare encore desservie par train | 84 | 42,8 |
Gare avec BV (bureau de voyageurs) à disposition de l’usager | 42 | 21,4 |
Total | 196 | 100 |
Cet entretien a été réalisé à partir d’un article beaucoup plus développé paru dans le n°37 (premier semestre 2012) de la revue Histoires et Sociétés rurales, sous le titre “Le patrimoine ferroviaire bâti en Limousin rural, les leçons d’un inventaire général des bâtiments voyageurs