Le premier tour de passe-passe de ce texte réside dans le fait qu’il se définit, au travers de formulations habilement tournées, comme garant du maintien de l’emploi dans les écoles rurales et de conditions d’enseignement et d’apprentissage optimales. Si on y regarde d’un peu plus près, c’est malheureusement l’exact contraire qu’il semble tendre à mettre en place…
D’autre part, il serait presque amusant, si le fond de l’histoire n’était si tragique, de constater comment tout le texte se base sur une opposition caricaturale entre, d’un côté, la métropole civilisée fonctionnant sur un modèle citadin tout puissant et, de l’autre, la pauvre petite Creuse, arriérée, en retard, à la traîne socialement, économiquement, scolairement, et qu’il conviendrait, presque par charité, sinon devoir républicain, de ramener dans le rang. Laissons à l’appréciation de ses habitants ce type de jugements…
Le texte, respirant la bonne volonté, promeut une “construction de l’école de demain, une école juste pour tous et exigeante pour chacun“, vise une “réduction des inégalités sociales et territoriales“, affirme l’“attachement de la nation au maintien d’une offre pédagogique et éducative de qualité sur les territoires ruraux et de montagne“, témoigne d’une “volonté commune de réorganiser un service public d’éducation de proximité“ (jusque-là, on serait bien mal avisé de froncer les sourcils…), pour, enfin, en venir gentiment au fait : “limiter l’éparpillement des petites écoles en milieu rural.“
La bénéficiaire de cette opération-sauvetage est donc une “région socialement et économiquement peu favorisée, notamment en zone rurale“ présentant une “démographie scolaire peu dynamique“. Il est dit aussi que “le contraste marqué entre l’agglomération de Limoges et les territoires ruraux du Limousin justifie une réflexion sur l’utilisation des moyens académiques pour renforcer la qualité de l’enseignement et garantir la réussite de tous les élèves sur l’ensemble de la région“. On verra par la suite que la solution proposée a de quoi laisser perplexe… S’ensuit toute une batterie de chiffres-clés alignés dans le seul but de démontrer que la Creuse est la petite retardataire du pays, au cas où on en douterait encore. Cette caution pseudo-scientifique nous parle de nombre de professeurs par élèves, d’effectifs en baisse, de taux de charge, de taux de redoublement, mais ne saurait évidemment quantifier la qualité de vie souvent revendiquée par les Creusois, leur attachement à cette “dispersion de l’habitat“, et la clé de voûte que constitue une petite école de village qui évitera aux enfants de compter leurs trajets en heures et, par dessus-tout, leur permettra de se socialiser et d’apprendre dans les conditions calmes de classes à petits effectifs. “Tous les indicateurs (mais quels sont-ils ?) révèlent un accroissement de l’écart entre les données de la Creuse et les valeurs moyennes académiques“. “Cette analyse (pour le moins sommaire !) doit déboucher sur un nouvel aménagement scolaire du territoire, apte à promouvoir une scolarisation de qualité au sein de structures de taille suffisante“ et là, on croit rêver, “seules capables de permettre une bonne émulation tant pour les enseignants que pour les élèves“.
Fondé sur on ne sait quelle information, fleurant le jugement péremptoire qui conclurait une bonne discussion de comptoir, indigne en tout cas d’un document officiel et de la rigueur que l’on est en droit d’en attendre, ce propos frise le mépris, voire l’insulte !
Depuis quand les élèves ont-ils besoin d’être en surnombre pour apprendre correctement ? Et depuis quand les enseignants verraient-ils leur émulation augmentée par la surcharge des classes ?
Aussi culottée qu’elle soit, cette assertion (démontable par n’importe quelle étude menée en milieu scolaire) a au moins le mérite de ne plus permettre le doute quant au sort a priori réservé aux petites écoles rurales… S’ensuit un discret mais non moins énigmatique : “Cette démarche doit s’accompagner d’une réflexion sur la place des équipements numériques.“ Emballé, c’est pesé ! Nous n’en saurons pas plus. Cela laisserait-il augurer d’un remplacement progressif du corps enseignant par des ordinateurs ?
Le texte est néanmoins tout à fait clair lorsqu’il aborde le sujet des RPI (Réseaux pédagogiques intercommunaux) déjà existants, dont la vocation serait de se transformer en RPI “concentrés“,une réorganisation qui impliquerait de facto “fermetures de classes“ et “fermetures d’écoles“. Voilà ! Autant dire les choses franchement ! La perspective d’“établir un schéma d’aménagement territorial du réseau des écoles publiques de la Creuse sur la période 2015-2017“ est ainsi censée prendre “appui sur un diagnostic du territoire partagé par l’ensemble des partenaires du présent protocole“. Or, ne sont pas considérés comme “partenaires“ les citoyens lambda. La “consultation“ est celle des instances locales (conseils municipaux, conseils communautaires et plus hautes instances…). Il s’avère que nombre de maires ayant voté pour ce protocole se sont sentis, après coup, bernés à cause du manque de clarté du projet, d’autant plus que la réunion donnant lieu au vote semble avoir été un rien précipitée. On imagine des gens bien sûrs d’eux, pour pratiquer ce type de méthode... En outre, moins de 20% des maires creusois étaient présents lors de ce vote... Et l’information transmise par les médias locaux n’a pas semblé bien poussée (Cf. La Montagne du 12 juin 2015 qui parle d’un “débat houleux“ sans préciser quoi que ce soit d’autre…).
Les choses étant claires à ce stade du texte, les signataires se voient enjoints à “favoriser la démarche définie par un accompagnement et une communication adaptés aux diverses situations identifiées.“ En l’occurrence, la communication la plus adaptée aura été une quasi-absence de communication… Le texte termine en stipulant que les partenaires signataires prennent l’engagement d’ “identifier après concertation (...) les zones entrant dans le processus de restructuration.“ Enfin, cerise sur le gâteau, des phrases à sens tellement large qu’il en devient interprétable à l’infini, “le suivi du protocole est réalisé à partir d’indicateurs pertinents compte tenu des objectifs portés par le projet académique“ et, signe qu’il ne faut pas baisser les bras, “une évaluation finale sera effectuée avant la sortie de la contractualisation.“ Il ne s’agit pas d’une loi, mais d’une CONSULTATION !
Donnons donc notre avis, faisons impérativement remonter nos réactions à nos maires, et rendons ce document le plus public possible ! Nous ne pouvons nous permettre d’avaler de telles couleuvres quand le bien-être des enfants est ainsi remis en cause !
Faisons barrage à cette politique de la dissimulation qui tente de faire passer en douce un projet fondamentalement inadapté à notre région !
Thibault Brédier, Jean Baptiste Pareyt et Aurélie Pawlowski, représentants des parents d’élèves de Royère-de-Vassivière