Deux aspects complémentaires et inextricablement liés ? Comment fonctionne une forêt ? Quels impacts de la sylviculture telle qu’elle est pratiquée sur les nombreuses espèces que la forêt est sensée accueillir ?
Les forêts dessinent les paysages
Sur le Plateau, boisé à 53 %, la forêt est un élément fort de structuration des paysages. Son agencement est un facteur essentiel de l’écologie du territoire. Quels impacts du paysage forestier sur la biodiversité ? Eléments de réponse à partir des recherches menées à Lachaud (Gentioux) sur les animaux à sang froid vivant dans les tourbières.
(…) En un demi-siècle, les deux tiers des zones humides ont disparu en France. Pourtant, ces milieux constituent un véritable réservoir de biodiversité et jouent un rôle fondamental dans le cycle de l’eau. L’altération de ces milieux résulte à la fois de l’abandon des pratiques et usages traditionnels qui s’y exerçaient (pâturage) en les laissant évoluer spontanément, se fermer et se banaliser, et de l’intensification des activités humaines (drainages, plantations, remblaiements, etc).
De l’impact des paysages avoisinants sur les milieux
Les conséquences de ces changements sur les communautés animales et végétales qui dépendent de ces milieux sont multiples. D’une part, en se dégradant, ces milieux présentent des capacités d’accueil altérées pour les espèces qui en dépendent : les communautés ont alors tendance à s’appauvrir et à être constituées d’une proportion croissante d’espèces banales. D’autre part, la réduction progressive de la surface des habitats et leur fragmentation entraînent une augmentation des probabilités d’extinction locale et régionale des espèces. En effet, dans un environnement fragmenté, certaines espèces spécialistes peuvent disparaître de certains sites, mais ces derniers peuvent être recolonisés à partir de populations voisines. Les probabilités de recolonisation (et par conséquent de maintien des espèces au niveau régional) seront d’autant plus faibles que la fragmentation des milieux sera importante et que les capacités de dispersions des espèces seront faibles. Hélas, les espèces spécialisées dans des milieux rares et dispersés se caractérisent généralement par des possibilités de dispersion limitées. Par conséquent, les programmes d’étude et de conservation des espèces et des espaces naturels patrimoniaux devraient intégrer ces différents facteurs (dégradation des habitats, fragmentation) et ces différentes échelles d’analyse (locale et régionale) pour optimiser l’efficacité des mesures conservatoires. Cependant, en France, la conservation de la biodiversité passe par la mise en œuvre de plans de gestion et de pratiques conservatoires centrés généralement sur un site, ne prenant que rarement en considération la qualité du paysage avoisinant. (…)
Et de celui des milieux forestiers sur les tourbières
En 2007 et 2008, 30 sites tourbeux ont été échantillonnés avec le soutien du PNR de Millevaches en Limousin. 23 135 araignées adultes, représentant 256 espèces différentes ont été identifiées dont une trentaine nouvelles pour la région, et les 7 435 carabes capturés ont permis de recenser 77 espèces différentes. Ces inventaires nous ont permis de comprendre ce qui détermine la richesse biologique d’un site, et indiquent surtout que des groupes aussi différents que les araignées et les carabes sont sensibles aux mêmes caractéristiques de l’environnement. Ainsi, les espèces présentes sur un site dépendent à la fois de la qualité du site tourbeux qui les héberge mais aussi du nombre de tourbières voisines et de la prédominance des milieux forestiers et des plantations de résineux périphériques. Ces derniers peuvent constituer de véritables barrières à la dispersion libre des espèces, empêchant ainsi toute recolonisation de certains sites enclavés après extinction locale. Ces résultats montrent l’importance d’aborder la conservation de ces milieux patrimoniaux en incluant non seulement la gestion des sites tourbeux eux-mêmes, mais aussi la structure des paysages périphériques. (...)
Frédéric Lagarde
Le Champ des Possibles, CEB- CNRS
(IPNS n° 30, mars 2010 – réactualisé)l
La Forêt pousse toute seule
Mais alors pourquoi autant d’énergie dépensée (travail, machines, intrants...) pour faire pousser nos résineux ?
La Forêt produit et recycle
Les arbres sont les piliers de l’édifice forestier, les principaux architectes de la phase d’organisation de la matière et de l’énergie. L’énergie est solaire, puisée par les quelques hectares de panneaux photosynthétiques déployés par chaque arbre. Une grande partie de la matière des arbres provient de l’atmosphère : le carbone est absorbé pendant la photosynthèse. Les minéraux (azote, calcium, phosphore,...) et l’eau sont puisés dans le sol. Assez peu par les racines, mais surtout par l’intermédiaire de champignons vivant en symbiose avec les arbres, les mycorhizes, qui sont capables de dissoudre roche et humus pour en extraire les minéraux – contre un peu de sucre issu de la photosynthèse.
La mort de l’arbre ou de ses parties initie la phase de déstructuration de la matière organique. Se précipite sur la manne un imposant cortège d’organismes en tous genres : insectes, champignons, bactéries... Chacun prend sa part du travail de recyclage de la matière, qui retourne à son point de départ : le carbone dans l’atmosphère et les minéraux dans le sol. En prenant du temps : une partie de la matière organique est stockée sous forme d’humus, la réserve de fertilité des sols. Quant à l’énergie, elle est dispersée par la frénésie de tout ce petit monde. Cette phase du cycle mobilise de nombreuses espèces : le bois mort est le support d’une grande majorité de la biodiversité forestière.
Ce cycle forestier permet le développement et le maintien d’d’interactions complexes entre de multiples espèces. Les nombreux habitats constitués par les différentes strates de la forêt, du sol à la canopée, abritent chacun leurs cortèges d’espèces.
La Forêt évolue vers un état stable
Une Forêt n’apparaît pas en un jour. Elle résulte d’une succession de cortèges d’espèces, chacun préparant le terrain pour le suivant. Prenons un terrain sur lequel on part de 0, une coupe-rase par exemple. Les premières années vont se développer des graminées, des fougères, puis des ronciers, des genêts. Apparaîtront alors des arbres pionniers, souvent des bouleaux, qui seront l’ébauche de la Forêt à venir : au bout d’une cinquantaine d’années, dépérissants, ils laisseront la place et la fertilité qu’ils auront accumulée à des chênes. Des décennies plus tard germeront, à l’ombre des chênes, des hêtres, qui finiront par supplanter les protecteurs de leurs jeunes jours. Le hêtre est l’un des seuls qui se développe à l’ombre, seul le houx viendra lui tenir une fugace compagnie. La hêtraie à houx correspond à l’état stable, ou climax, de la Forêt sur une partie du Plateau.
Une fois parvenue à cet état de climax, la Forêt doit faire face aux perturbations climatiques et biologiques. La diversité d’espèces qu’elle abrite assure sa régulation intrinsèque : les pullulations d’une espèce sont contrôlées par la présence d’espèces prédatrices. Les perturbations climatiques contribuent à l’équilibre dynamique et au rajeunissement des massifs forestiers : les chablis créés par les tempêtes sont le lieu d’une régénération spontanée. Le climax à l’échelle du paysage consiste en une mosaïque dynamique d’états et d’âges de la forêt.
forêt & Forêt
La Forêt (en évolution naturelle) est donc un édifice complexe, basé sur un tissu d’interdépendances et de régulations croisées ; un édifice capable de perdurer dans le temps, et de s’adapter aux modifications de l’environnement. Mais qu’en est-il de la « forêt de plantation » ? La gestion forestière pratiquée dans 95 % des futaies résineuses du plateau va à l’encontre du cycle écologique des forêts. Avec des cycles de 35-40 ans, les habitats constitués, pour peu qu’ils soient accueillants, restent précaires. A chaque récolte, tout recommence à zéro, moyennant un changement brutal des conditions écologiques. L’exportation d’une part de plus en plus importante de la biomasse induit une rupture du cycle, et des pertes nettes en minéraux. Les déséquilibres induits par la monoculture nécessitent l’emploi de béquilles chimiques. Il suffirait pourtant de remettre au goût du jour la vieille maxime du forestier, pourtant pleine de bon sens : “Laisser faire la nature, hâter son œuvre“.
Gaël Delacour