Des lichens dans les jeunes forêts ?
Les lichens sont des organismes hybrides, fruits de la symbiose entre un champignon et une algue. Ils se développent sur des substrats très variés et certains exploitent exclusivement l’écorce des arbres comme support : ce sont les lichens corticoles. Parmi eux, certains, comme les Lobarias, sont considérés non seulement comme indicateurs de la qualité de l’atmosphère mais aussi comme des indicateurs de la continuité forestière. Par continuité forestière, on entend qu’une forêt n’a pas ou très peu été perturbée de façon majeure dans l’espace et dans le temps. Leur présence assez courante sur le plateau de Millevaches a suscité notre curiosité puisque ce dernier est quasiment dépourvu de forêts anciennes. Nous avons donc étudié la répartition de deux espèces de Lobaria : L. pulmonaria et L. scrobiculata, afin de comprendre de quoi ces espèces sont tributaires sur le territoire du PNR.
Une lente dissémination
Nos résultats montrent que si les Lobarias sont susceptibles de se développer sur de nombreuses essences forestières, les deux espèces étudiées présentent une préférence marquée pour les chênes et ne s’implantent jamais sur les résineux (au contraire de ce qui est observé en Amérique du Nord). Depuis 1950, les espaces forestiers se sont développés de façon importante sur les anciennes landes et zones de parcours à bestiaux, abandonnées avec la régression de l’élevage. Ces zones d’accrus (forêt récente en régénération naturelle), sont constituées essentiellement de chênes. Nous avons donc examiné quelle était la dynamique de colonisation de ces nouveaux espaces forestiers depuis 1950. La dispersion des Lichens se fait de deux manières. Des amas de cellules d’algues et de champignons peuvent servir de diaspores (organes de dispersion) s’installant sur de nouveaux territoires et donnant naissance à un nouveau lichen si les conditions le permettent, mais leur masse ne leur permet de se disperser qu’à faible distance, emportées par des invertébrés de passage. Les lichens peuvent aussi développer des organes de reproduction particuliers, les apothécies, productrices de spores de champignons très légères, dispersables par le vent à plus longue distance, mais devant trouver sur le tronc où elles retombent l’algue nécessaire au développement d’un nouveau lichen. Ces apothécies ne se développent chez les Lobarias qu’après plusieurs dizaines d’années, ce qui explique en partie leur dépendance vis-à-vis de milieux non perturbés. Quoiqu’il en soit nos résultats montrent que les deux espèces de Lobarias présentent une capacité de colonisation lente : ils n’ont pas colonisé d’arbres nouveaux distants de plus de 80 mètres d’un arbre ancien (déjà présent en 1950), porteur lui-même de Lobaria. Et surtout, chaque espèce de Lobaria colonise un type de milieu forestier différent : L. scrobiculata colonise à la fois des arbres récents ayant poussé dans des milieux boisés anciens ou récents alors que L. pulmonaria parvient surtout à coloniser des arbres récents dans un espace boisé ancien. Ces espaces boisés anciens correspondent sur le plateau essentiellement à d’anciens linéaires d’arbres en bordure de parcelles agricoles, maintenant englobés pour la plupart dans des surfaces d’accrus qui les masquent.
Préserver les forêts de feuillus
Ces résultats montrent que certains organismes sont tributaires du maintien et de la conservation dans le paysage d’arbres anciens, véritables réservoirs de biodiversité et sources de colonisation des milieux forestiers plus récents, et que des pratiques comme la coupe rase de forêts de feuillus peuvent constituer de véritables barrières à la libre dispersion de ces espèces sensibles. Nous étendons actuellement nos études à d’autres groupes d’organismes (autres épiphytes corticoles, invertébrés), afin de comprendre l’impact des changements de paysages et de pratiques de sylviculture sur la biodiversité.
Frédéric Lagarde
Le Champ des Possibles
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