Revenir à un équilibre sylvo-cynégétique ? Parler de l’équilibre entre forêt et cervidés en France est chose complexe, particulièrement en zone de montagne où la progression des effectifs est la plus forte. Que l’on parle du chevreuil ou du cerf, les faits sont là : on assiste depuis 30 ans à une explosion des effectifs malgré l’augmentation régulière des plans de chasse.
Disparu du Massif Central, le cerf a été réintroduit dans les années 60, entraînant l’émergence d’une vaste population dans les années 90. Entre 1985 et 2005, les effectifs ont été multipliés par 9 dans le Massif Central, et le cerf occupe 2 fois plus de surface en France (30 % du territoire). En Creuse, sa progression a connu une envolée depuis 2000 dans tous les habitats forestiers, notamment feuillus. La progression du chevreuil est encore plus marquée avec une explosion des populations depuis 1995. On peut généraliser cette évolution à tous les ongulés sauvages de plaines et montagnes (sanglier, chamois...). Sur le Plateau, le chevreuil est plus qu’abondant, et le cerf, bien présent, progresse depuis la Corrèze et le camp militaire de La Courtine. Il devient moins rare de croiser un beau cerf au détour d’un chemin. Les tableaux de chasse diffusés par l’ONCFS1 donnent un aperçu de la dynamique, mais les estimations fiables des populations locales2 sont rares.
Les conséquences concernent autant la gestion agricole et forestière que la sécurité routière et la santé publique (explosion des cas de maladie de Lyme). Voyant la progression des populations de cerfs, les forestiers se sont inquiétés des dégâts qu’il provoque comparativement au chevreuil. Les dégâts du cerf peuvent empêcher le rajeunissement des peuplements et diminuer la production de bois. Le broutement des plants et semis, l’écorçage ou les frottis sont les dégâts les plus significatifs. Le traitement en futaie régulière, malheureusement dominant en Massif Central, ne permet pas d’atténuer l’effet des dégâts de cervidés, en particulier dans les plantations.
Comment expliquer cette expansion généralisée ?
Selon les auteurs, les causes varient. Le vieillissement et la baisse des populations de chasseurs souvent invoqués n’est pas celle à retenir. Il semble plutôt que cette expansion traduise le fait :
1 - que nos écosystèmes banalisés et privés d’éléments régulateurs comme les prédateurs (loup, lynx...) ne sont plus en équilibre3. Des scientifiques du Parc de Yellowstone ont montré que depuis le retour du loup en 1995 dans ce parc national américain, des changements en chaîne ont eu lieu sur les populations d’ongulés sauvages, la croissance de la flore et le tracé des rivières.
2 - que la gestion cynégétique censée compenser l’absence de prédateurs montre une inadaptation des volumes de plans de chasse à l’évolution des populations et un manque de réalisation concrète de ces plans. Des plans de chasse trop faibles ou inadaptés auraient même pu dynamiser la reproduction des cervidés. Soulignons cependant les efforts de certaines fédérations de chasse (notamment Cantal, Haute-Loire, Lozère) qui ont mis en œuvre depuis 2006 une gestion interdépartementale du cerf.
Enfin, certains auteurs tels Francis Roucher argumentent pour l’abandon de la battue ou de la chasse à l’affût au profit de techniques plus efficaces telles que “la poussée calme de déplacement vers des tireurs perchés4“. Ne doutons pas que ce genre de proposition va faire causer dans nos villages !
Vincent Magnet
1 Office national de la chasse et de la faune sauvage.
2 Une densité de 20 à 25 cerfs par 1000 ha et de 25 à 35 cervidés (cerfs+ chevreuils) par 1000 ha est jugée acceptable pour des milieux forestiers pauvres à moyens comme le plateau de Millevaches.
3 Une forêt est en équilibre avec sa grande faune herbivore lorsque toutes les essences forestières peuvent se régénérer naturellement sans protection. La grande faune est en équilibre avec le milieu quand ses indices de santé sont bons (poids, reproduction, absence de maladies...).
4 Roucher F. (Forêt-Entreprise n°214 & 215) : “Le principe est de pousser calmement le gibier vers les tireurs perchés comme on le ferait de vaches nonchalantes. Cette méthode permet de réaliser rapidement un plan de tir. Elle mobilise les animaux sans les affoler. Elle est efficace à condition d’être exécutée une seule fois par an avec rigueur sur 200 à 600 ha en mobilisant 60 à 80 personnes.“