La récente étude d’UFC-Que choisir sur la qualité de l’eau potable en France1 a mis en évidence la problématique de l’aluminium sur le territoire : dans 8 communes du Plateau, la teneur en aluminium dépasse la référence de qualité (dans au moins un captage) dans plus de 75 % des analyses. D’où vient cette pollution ? Y a-t-il un lien avec les pratiques forestières ?
L’origine de l’aluminium
L’aluminium est un élément métallique constitutif des minéraux, représentant 8% de la lithosphère. Il est donc présent naturellement dans le granit, roche-mère sur laquelle s’érige le Plateau, ainsi que dans les argiles, petites particules minérales du sol. Présent sous forme stable dans les minéraux, il est libéré par l’altération chimique de la roche-mère. C’est l’acidité de la solution du sol qui entraîne l’aluminium sous une forme soluble (Al3+), ensuite transportée vers les nappes et ruisseaux : à pH2 inférieur à 4,8, une part importante de l’aluminium est sous forme soluble. Les sols du Plateau se situent globalement dans une gamme de pH allant de 4 à 6... En limite, donc ! Les facteurs contribuant à l’acidification des sols expliquent la présence de l’aluminium dans l’eau.
L’acidification des sols
L’acidification des sols est un processus complexe, multifactoriel, encore mal compris. Des facteurs physiques, chimiques et biologiques entrent en jeu. La nature de la roche-mère joue naturellement un rôle prépondérant : pas de problème d’acidité sur les sols calcaires ! Le type de sol influe (les sols anciens du Plateau ont perdu une partie des minéraux pouvant compenser l’acidité), ainsi que les contraintes auxquelles il est soumis (la saturation en eau provoque une réduction du fer augmentant l’acidité du milieu). La vie est aussi un processus acidifiant : la nutrition des végétaux consiste en un prélèvement de minéraux dont certains tamponnent l’acidité du sol (l’exportation de la biomasse provoque une perte nette de ces éléments accumulés dans les tissus végétaux), et dans certains cas a pour corollaire un relarguage d’éléments acidifiants. L’ampleur de ces processus dépend du type de végétation et des caractéristiques de la matière organique produite.
En résumé, un faisceau de facteurs agissent conjointement vers une inéluctable acidification des sols. Mais les usages que nous faisons du territoire impactent la vitesse et l’ampleur de ce processus.
Un lien suspecté avec les pratiques forestières
Les liens entre pratiques forestières et acidification du sol ne sont pas clairement démontrés, mais l’on peut supputer leur existence. Des études sont en cours sur le Plateau pour caractériser ce processus.
Le choix des essences, notamment en monocultures, est un facteur clé, car les différentes essences produisent des litières de qualités variables. Les litières à décomposition lente (donc qui s’accumulent) contribuent à l’acidification du sol sous l’action de la pluie. Ce sont des litières “acidifiantes“ comme on peut en trouver sous les hêtres, plus acidifiante d’ailleurs que la litière du douglas. La litière “améliorante“ des chênes se décompose plus rapidement et contribue peu à l’acidification du sol. A l’inverse, les litières à décomposition très rapide, comme celle du douglas, induisent une acidification liée à la nitrification de la matière organique. Douglas et hêtre sont donc des essences toutes deux acidifiantes, mais pas par les mêmes processus biochimiques ; le chêne est quant à lui une essence peu acidifiante.
L’âge des arbres joue également un rôle. Un jeune arbre prélève une quantité importante de minéraux dans le sol, renforçant de la sorte le phénomène d’acidification, mais en vieillissant, il en relargue une partie. Il a été montré que le douglas commence à restituer des minéraux, dont du calcium très rare dans nos sols, à partir de 60 ans. Dommage, donc, de les couper à 35 ans... L’exportation de ces jeunes bois constitue une perte de minéraux non compensée.
Et d’autres causes
Mais n’incriminons pas la forêt comme seule responsable de l’acidification des sols. Viennent également renforcer le processus les pratiques agricoles (notamment les engrais ammoniacaux) et les pluies acides liées à des pollutions atmosphériques (chauffage, véhicules, industries) parfois lointaines...
La phytotoxicité de l’aluminium
L’aluminium n’a pas d’utilité physiologique connue chez les arbres. Les formes échangeables (notamment Al3+) sont même toxiques, car elles limitent l’absorption de calcium et de magnésium et bloquent le phosphore sous une forme insoluble3. Les symptômes d’une toxicité alumineuse sont une baisse de la densité racinaire et une déformation (raccourcissement et épaississement) des racines fines. Les pins, l’épicéa de Sitka, le douglas, le chêne rouge d’Amérique, les bouleaux et les éricacées (callune, bruyère) sont des espèces alumino-tolérantes. L’acidification des sols et la solubilisation de l’aluminium induisent une sélection de ces espèces. La réversibilité de ce phénomène est douteuse : l’accélération d’origine anthropique de la podzolisation4 observée dans les Vosges a rendu impossible la recolonisation des lieux par l’ancienne hêtraie-sapinière5. Les choix sylvicoles peuvent ainsi réduire drastiquement les possibles utilisations futures du territoire.
Relation entre le pH, la concentration en aluminium dissout et la population de truites dans les ruisseaux des Vosges (Probst et al., 1992).
Les ruisseaux observés sont positionnés en fonction de leur pH et de leur concentration en aluminium.
Les points blancs indiquent la présence de truite, les points noirs leur absence. Les eaux acides et riches en aluminium sont nettement défavorables.
Rivières en danger
Des études récentes6 montrent la contamination des rivières du plateau (Vézère, Gartempe, Vienne) par l’aluminium à certaines périodes de l’année. Outre la géologie et les plantations de résineux, la présence de tourbières et de zones humides pourrait aussi expliquer cette contamination : la Creuse, nettement moins pourvue en tourbières sur son haut bassin que la Vézère, présente des concentrations bien plus faibles en aluminium. Or, l’aluminium soluble est toxique pour la faune aquatique dans les eaux acides et au pH déséquilibré. Une concentration en aluminium d’1,5 mg/L est fatale pour la truite mais le seuil de toxicité chronique est de 0,09 mg/L. Les plantes aquatiques tolèrent des concentrations plus élevées que les invertébrés aquatiques, les amphibiens et les poissons (les alevins étant encore plus sensibles).
Solutions en vue ?
Au vu de ces éléments, même la perspective de maintenir sur le long terme une forêt résineuse de production ne semble plus aussi sûre. Les pistes techniques actuellement développées reposent sur l’utilisation d’amendements calciques pour corriger le pH et magnésiens pour améliorer la tolérance des arbres à la toxicité alumineuse. Des essais ont lieu dans les Vosges pour étudier l’intérêt d’épandages aériens de dolomie sur des peuplements forestiers. Mais cette approche compensatoire ne remet pas en cause la dynamique du processus d’acidification : les béquilles techniques proposées ne visent qu’à en limiter l’impact.
Il existe un enjeu fort de maintien dans le sol de la matière organique, car elle exerce une fonction protectrice vis-à-vis de la toxicité de l’aluminium, en bloquant son assimilation par les racines. Un travail de recherche mériterait-il d’être mis en place pour étudier l’impact des futaies irrégulières mélangées : en favorisant les mélanges d’essences (et donc de types de litières) et de permettre le développement d’arbres âgés, ce système pourrait permettre, sinon d’annuler, au moins de ralentir l’acidification des sols ? Au vu des enjeux, cela vaudrait la peine d’y réfléchir.
Gaël Delacour et Vincent Magnet
1 http://www.quechoisir.org/app/carte-eau/
voir IPNS n°47.
2 Le pH mesure l’acidité d’une solution, sur une échelle de 1 (acide) à 14 (basique) ; une solution neutre (eau pure) est à pH 7.
3 Drénou, 2006.
4 La podzolisation est un processus de formation des sols. Elle se caractérise par la dégradation des argiles par des acides organiques, signes d’acidification des sols.
5 Gobat J.-M., Aragno M., Matthey W., 2010. Le sol vivant. Presses polytechniques et universitaires romandes.
6 Guibaud & Gauthier, 2003.