On entend souvent que la forêt est principalement gérée en futaie régulière par manque d’information des propriétaires et techniciens. Or, il suffit de taper “futaie irrégulière “ dans un moteur de recherche pour trouver une pléiade de documents traitant de l’irrégulière. Tout le monde y va de son petit laïus. La CRPF de Bourgogne a même édité une brochure sur la futaie irrégulière du douglas. Bien sûr, tout dépend de la qualité de l’information en question et peut-être aussi de la façon de la traiter...
Forêt privée française : pourquoi hésiter ?
Le portail des forestiers privés a consacré deux numéros de sa publication Forêt-Entreprise à la futaie irrégulière1. Deux dossiers assez complets dont le premier est introduit par J. Becquey, ingénieur à l’ IDF. Lequel nous dit : “La plupart des principes du traitement irrégulier sont déjà acquis par une majorité de sylviculteurs. Tout simplement parce que des bases sont communes avec celles du traitement régulier qu’ils pratiquent habituellement.“ Voilà qui devrait rassurer les frileux. Dans ce numéro on apprend que la futaie irrégulière est “adaptée à de nombreuses situations“ et permet un “choix élargi d’arbres d’avenir“. Que la production gros bois n’est pas utopique du point de vue économique, que le “renouvellement en douceur“ “permet aussi de limiter les risques financiers tout en rendant les peuplements plus résilients“... Enfin, que les travaux ont un coût “raisonnable“... que du bonheur ! Cette organisation a au moins le mérite d’informer sans juger ni sous-entendre que la futaie irrégulière est une sorte d’alien venu d’on ne sait où, qu’il faut aborder avec prudence.
Quelques CRPF : une communication à deux niveaux
Les Centres régionaux de la propriété forestière, pourtant affiliés à Forêt privée française, ont un discours qui bien que reconnaissant les avantages de la futaie irrégulière ne manque jamais d’en lister les inconvénients. À savoir : “structure difficile à maintenir en équilibre, une gestion minutieuse, fine voire difficile à mettre en œuvre (inventaires, marquage des coupes), précautions indispensables lors de l’exploitation des bois pour éviter des dégâts aux arbres conservés et aux semis, les produits récoltés sont très divers (dimension des arbres, espèces) ; ils peuvent donc être plus difficiles à commercialiser“ (CRPF Languedoc-Roussillon2). Le CRPF Limousin reprend les mêmes arguments, dans exactement les mêmes termes mais y ajoute qu’un “déséquilibre forêt-gibier rendra plus difficile la transition vers la futaie irrégulière, les dégâts se concentrant sur des régénérations encore peu abondantes et dispersées“3. En Bretagne, on est un peu plus original : la première difficulté est que la “sylviculture irrégulière est encore imparfaitement maîtrisée dans nos régions par manque de références techniques et financières sur le long terme“. Ensuite, qu’elle “exige un suivi attentif, encadré par des gestionnaires hautement qualifiés ayant une bonne connaissance de la mise en marché des bois (les gestionnaires classiques seraient-ils peu au fait du marché ? Ndlr) et suppose un contrôle de l’évolution des peuplements (comparaison d’inventaires, suivi typologique...), engendrant un coût financier qui peut faire l’objet d’une subvention de l’État dans le cadre de l’élaboration d’un PSG“ et que la “vente des arbres abattus, débardés et triés bord de route est parfois une obligation pour valoriser certaines coupes et s’assurer la maîtrise de l’exploitation“... j’avoue que, là, je ne comprends pas... Depuis quand la vente des arbres est facultative en gestion régulière ? Autre inconvénient qui vaut le coup d’oeil : le “Risque de privilégier trop fortement des essences d’ombre comme le hêtre et le sapin pectiné, au détriment d’essences de lumière (chênes...) parfois mieux adaptées aux conditions locales“... sans commentaire, n’est-ce pas ? Allez ! Une dernière : “Mode de gestion ne permettant pas en pratique de protéger les arbres sensibles aux dégâts de gibier par des moyens artificiels (protections individuelles ou engrillagement), lorsque l’équilibre forêt – gibier n’est pas atteint.“4
Petit zoom sur le CRPF Limousin
On l’a vu, les rédacteurs de la brochure du CRPF Limousin sont d’accord avec ceux du Languedoc-Roussillon. Mais ils vont un peu plus loin. Eux aussi pointent le risque de privilégier certaines espèces d’ombre : “Le reproche souvent adressé à la gestion en futaie irrégulière par rapport à l’évolution du climat (?) est de favoriser les essences d’ombre, comme le hêtre notamment au détriment du chêne sessile, le Sapin au détriment du chêne ou du Pin sylvestre plus résistants. Dans un mode de gestion “attentiste“ ou trop “opportuniste“ pour minimiser les coûts ce risque est réel.“ C’est drôle comme on ne voit jamais ce genre de reproche dès qu’on parle de gestion régulière... D’ailleurs ces organismes ne parle pas “d’inconvénients“ en la matière. Il semble que la futaie régulière soit réellement la norme, que l’on ne remet plus en question tant elle a prouvé son bien-fondé. Pour mieux cerner les avantages et inconvénients (de la futaie irrégulière, cela va sans dire), le CRPF présente un tableau synthétique avec entrées thématiques, où chaque critère reçoit une note. Par exemple, dans les critères “Stationnels“, la futaie irrégulière reçoit 2 étoiles (très adaptée) en cas “d’hydromorphie marquée“, car elle permet “d’éviter la remontée des nappes“. On aurait aimé que le tableau soit comparatif : futaie irrégulière d’un côté, et régulière de l’autre... Mais non, là encore, la futaie régulière est bien au-delà des évaluations de ce type. Quelques perles quand même : pour les critères environnementaux, relatifs à l’équilibre forêt-grand gibier, la futaie irrégulière n’a qu’une étoile (juste adaptée) et il est dit en observation “éviter peuplements mono-spécifiques ou trop denses sur surfaces trop importantes“... Magnifique, non ? Et dans le critère “protection des habitats d’intérêt écologique nécessitant le maintien d’un couvert boisé“, il est recommandé de “laisser un couvert“... Ont-ils seulement fait l’effort de se renseigner sur la définition même de la futaie irrégulière ? Ou cela participe-t-il de la plus monstrueuse mauvaise foi ? Pour finir, dans les critères relatifs à la “sensibilité au paysage“, la futaie irrégulière reçoit une étoile “A condition de créer et de conserver des ouvertures ; sinon risque de monotonie“... Il est vrai que la gestion en futaie régulière ne présente aucun risque de monotonie, et offre très régulièrement des ouvertures... radicales.
Non, tout n’est pas à jeter...
Malgré tout, dans ces brochures on peut trouver des informations pertinentes permettant de se faire une idée de ce qu’est la futaie régulière. Et il est quand même assez encourageant de voir ces organisations en proposer. On en garde malgré tout, en tant que non spécialiste, un arrière goût de parti pris. Comme si ces structures s’étaient senties obligées de parler de la futaie irrégulière, mais sans y croire, pour faire plaisir aux écolos et qu’on ne puisse pas leur reprocher de faire l’impasse. En attendant, si leurs efforts s’arrêtent là, on ne peut espérer voir les pratiques changer, ni même évoluer.
Eliane Dervin
1 N° 189, octobre 2009 et n° 195 octobre 2010.
2 “La futaie irrégulière ou futaie jardinée“ Centre Régional de la Propriété Forestière Languedoc-Roussillon http://www.crpf-lr.com.
3 La futaie irrégulière – généralités, mars 2011, CRPF Limousin. http://www.crpf-limousin.com
4 La futaie irrégulière, Texte issu du SRGS de Bretagne consultable sur le net www.crpf.fr