L’engouement pour le bois-énergie industriel : un phénomène international aux conséquences planétaires.
En octobre 2011 la ministre de l’Ecologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, et le ministre de l’Industrie, Eric Besson, ont approuvé 15 projets de centrales qui brûleront de la biomasse. Celle prévue à Gardanne, de loin la plus grande en France, remplacerait la tranche 4 de l’actuelle centrale à charbon. Elle aura besoin d’environ 900.000 tonnes de bois par an. E.On (troisième producteur mondial d’électricité) prévoit dans un premier temps d’en importer la moitié, semble-t-il du Canada, et de chercher l’autre moitié dans un rayon de 400 km.
La conséquence prévisible : la sur-exploitation des forêts les plus accessibles avec le recours aux coupes rases et la destruction d’habitats naturels pour une centrale qui n’est absolument pas écologique :
Une telle méga-centrale mettrait en danger l’ensemble de la filière bois locale et détruirait plus d’emplois qu’elle n’en créerait.
Des collectifs ont été lancés dans plusieurs départements de la région PACA et dans les Cévennes (l’autre ZAP, les châtaigneraies étant visées), qui ont ensuite créé le Collectif SOS Forêt du Sud2. Les collectivités de la zone du Luberon-Montagne de Lure ont réagi très rapidement en adoptant une motion commune en décembre 2013. Elles “dénoncent dans leurs principes et dans leurs conséquences les projets de méga-centrales qui, sous couvert d’utiliser une ressource renouvelable, contribuent au gaspillage énergétique et condamnent la France à importer de la biomasse“.
Jusqu’à aujourd’hui, deux Parcs naturels régionaux, trois Pays, huit Communautés de Communes et 28 communes ont adopté des motions contre le projet d’E.On à Gardanne3
Depuis dix ans, une filière biomasse locale est en place avec 220 chaufferies de tailles modestes. Cette démarche est sérieusement menacée par ce mastodonte qui déstabilisera l’accès à la ressource.
Brigitte Reynaud, présidente de la Communauté de Communes du Pays de Banon, a signé la motion “Nous dénonçons la mainmise d’un acteur unique sur nos forêts et la destruction du travail accompli jusqu’à ce jour.(…) Comment peut-on favoriser des projets respectueux de l’environnement favorisant des ressources locales, des circuits courts, et en parallèle donner sa bénédiction pour de telles aberrations industrielles, qui risquent non seulement de dévaster notre territoire forestier, notre environnement, mais également de déstabiliser l’économie de notre région ? (…) Quand arrêtera-t-on de nous prendre pour des demeurés, prêts à accepter n’importe quoi sous la menace de l’emploi ?“
C’est effectivement l’argument du maintien d’emplois (entre 60 et 80) qui a été mis en avant par E.On, le gouvernement, le maire de Gardanne et la CGT pour justifier ce projet. Les subventions publiques correspondent à environ 70 millions d’euros par an, donc un million d’euros par emploi par an…
L’expérience de Pierrelatte dans la Drôme est instructive. Première centrale à biomasse de grande envergure en France, elle fonctionne depuis 2012. Selon Anne Dez, présidente de la FRAPNA Drôme, la centrale rencontre des difficultés à réunir la ressource nécessaire et une augmentation de coupes rases a déjà été constatée, dont une coupe de 130 ha en Ardèche et une autre dans une zone Natura 2000 dans la Drôme4.
Il semble de plus en plus évident que les autorités françaises, au niveau régional et national, ainsi que les experts techniques qui se sont penchés sur le dossier, se rendent compte que le projet d’E.On est une véritable aberration. Lors d’une audition sénatoriale d’octobre 2013, Pierre-Marie Abadie, directeur de l’énergie au ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie a constaté que “nous tenons à la hiérarchie des usages, qui va du bois d’oeuvre au bois énergie sous forme de chaleur, prioritairement sur l’électricité en cogénération, et excluant tout usage électrique pur. Il y a toutefois eu au moins une exception célèbre avec le dossier de Gardanne. L’électrique pur ne représente que 35 % d’efficacité énergétique. C’est un désastre en termes d’utilisation de la ressource. Lorsqu’on fait de l’électricité, il faut faire de la cogénération.“
Malgré cette évidence, personne n’ose agir.
Mais les menaces qui pèsent sur nos forêts sont infiniment plus graves qu’imaginées jusqu’alors. La dimension mondiale de cette problématique était déjà évidente, car pendant les premiers dix ans de fonctionnement la moitié du bois sera importée. C’est grâce à des rapports détaillés publiés par des associations britanniques, canadiennes et américaines que nous avons commencé à mesurer l’échelle de la catastrophe5.
Le projet de Gardanne fait partie d’un nombre considérable de telles conversions “charbon-vers-biomasse“ en Europe. Prenons l’exemple du Royaume-Uni (RU) où les centrales à charbon sont parmi les plus polluantes d’Europe. Selon un article de la “Global Forest Coalition“6, plusieurs centrales à charbon qui ne respectaient pas les exigences de la “Directive européenne sur les grandes installations de combustion“7 à cause de leurs fortes émissions de dioxyde de soufre (SO2) ont été ou seront converties à la biomasse. Les conversions déjà autorisées au RU auront besoin de plus de 50 millions de tonnes de bois par an, soit plus de cinq fois tout le bois produit annuellement par les forêts du pays8.
De la foret au champ d’arbres
Nicolas Mainville, directeur de Greenpeace Québec, a écrit dans son blog : “J’étais de passage en Europe la semaine dernière, entre autres pour rencontrer des représentants et députés du Parlement européen. Objectif : tenter de faire changer les politiques énergétiques européennes qui encouragent (et même subventionnent) la combustion de bois pour remplacer le charbon dans les grandes centrales thermiques. Les forêts européennes ne pouvant suffire à la demande grandissante des géants énergétiques (GDF-Suez, RWE, DRAX, Vattenfal, E.ON, etc.), ces grands producteurs d’électricité ont de plus en plus recours au bois des forêts canadiennes et américaines. Utilisant initialement des sciures et des résidus industriels, les producteurs de granulés canadiens doivent maintenant se tourner vers la forêt pour suffire à la demande.“
(…) À l’image de cette industrie qui se développe en catimini sans réel débat public, le Port de Québec a donné son aval à l’entreprise Arrimage Québec pour construire un terminal et permettre l’exportation de 75.000 tonnes de granulés annuellement à destination d’une immense centrale thermique de 4000 MW appartenant à Drax en Angleterre. Or l’opposition de la population locale est palpable et l’acceptabilité sociale de ce projet est loin d’être acquise, sachant que Drax brûlera plus de 7 millions de tonnes de bois annuellement dès l’an prochain. Les granulés qui passeront par le Port de Québec proviennent d’arbres de la forêt ontarienne abattus et broyés par Rentech Inc., une entreprise californienne en pleine expansion dans le monde de la bioénergie. En 2011, Rentech s’est vu attribué par l’Ontario plus de 1,1 million de mètres cubes de bois annuellement en terre publique. »9
Selon un rapport de Greenpeace Canada, “les coupes à blanc, encore majoritairement utilisées et fortement agglomérées, détruisent jusqu’à 145.000 hectares de forêt boréale par bloc de coupe, ce qui équivaut à plus de 150.000 terrains de football“10.
Ce pillage de la ressource est tel que 61 scientifiques américains ont écrit à la Commission européenne11 pour s’inquiéter de cette situation, estimant que les Etats du Sud des Etats-Unis vont exporter près de 6 millions de tonnes de bois en 2015. Ils demandent à l’Union Européenne de “repenser sa politique qui alimente cette demande pour des pellets de bois comme source de combustible pour générer de l’électricité en Europe“.
“Les sociétés13 s’implantent dans les régions forestières du monde entier. Elles achètent des forêts entières, y implantent des unités de fabrication de granulés destinés à approvisionner des centrales européennes. Autre conséquence de cette nécessaire ressource : l’émergence de la « culture » du bois. L’idée étant de planter des forêts d’essence à croissance rapide et donc à rotation courte, de 10 à 15 ans, d’exploiter par coupe rase et de replanter. Avec comme conséquence la nécessité d’intrants pour favoriser la croissance rapide et de grandes quantités d’eau pour démarrer la pousse. Voir par exemple E.On en Afrique, qui achète 8000 ha quitte à exproprier les petits paysans locaux et à leur interdire l’accès à l’eau. L’Australie, qui privilégie l’utilisation des déchets bois, a interdit l’utilisation du bois d’oeuvre en tant que bois énergie. Pour pallier cette difficulté certaines compagnies de production d’énergie envisagent de cultiver de grandes étendues d’Eucalyptus pour fabriquer du combustible pour leur propre compte, mais aussi pour l’export à destination de… l’Europe.“14
Dans ces plantations d’arbres à destination des centrales à biomasse l’on trouvera sans doute les nouvelles espèces d’arbres génétiquement modifiés. Depuis plusieurs années, des expérimentations sont menées sur des variétés d’eucalyptus et de peuplier OGM. L’Institut National de Recherche Agronomique en France a récemment mené un projet de recherche intitulé “Taillis à très courte rotation de peupliers génétiquement modifiés pour les propriétés du bois, évaluations agronomique et environnementale, évaluation du bois pour la production de bioénergie“15.
Mais selon d’autres informations, dans les centrales à charbon converties à la biomasse il est conseillé de ne brûler que des pellets issus de feuillus à croissance lente avec un faible pourcentage d’écorce. En effet, les autres types d’arbres ont un niveau trop élevé de sels alcalins et corrodent leurs chaudières16. Ainsi, ce n’est pas par hasard que les entreprises de production de pellets les plus performantes du Sud des Etats-Unis ciblent les forêts de feuillus. S’il est vrai que des entreprises comme Drax ont besoin d’exploiter des forêts de feuillus à croissance lente, l’impact sera immédiat, car très peu de forêts feuillues autochtones dans le Sud des Etats-Unis ont survécu aux coupes rases et aux plantations de monocultures de résineux. La plupart de ces forêts se trouvent dans les zones isolées ou humides. La biodiversité de la région sera anéantie en un court laps de temps. L’industrie dépendra ensuite de la destruction de forêts à croissance lente ailleurs, au Canada, en Russie, en Europe de l’Est...
Les informations reçues des Etats Unis et du Royaume Uni, notamment de l’association Biofuelwatch, révèlent une autre conséquence néfaste des centrales à biomasse à l’échelle industrielle : une menace très grave pour la santé publique. Lors d’une audition au Congrès américain18, plusieurs médecins et experts ont donné des exposés très détaillés sur les problèmes provoqués par les particules fines et les dioxines rejetées par de telles centrales.
Une centrale à biomasse d’E.On en Angleterre a déjà eu un impact négatif sur la santé des riverains à cause des poussières de bois. Des habitants vivant près d’une nouvelle centrale à biomasse à Markinch en Ecosse se sont plaints que l’usine a ruiné leur vie17.
Certains pouvoirs publics commencent à s’inquiéter sérieusement de ces impacts négatifs. Aux Etats-Unis, l’Etat de Vermont a récemment refusé l’autorisation d’une centrale à biomasse18.
On pourrait penser que la perspective était déjà assez sombre ainsi, mais d’autres menaces planent sur les forêts de notre planète. Dans un entretien avec Radio Zinzine19, Sylvain Angerand des Amis de la Terre, lance l’avertissement que la nouvelle génération de biocarburants visera surtout des arbres. Un article publié par Enerzine20 vient confirmer cette crainte. “En 2012, la Finlande a notifié son intention de soutenir financièrement la construction à d’une unité de production d’huile de pyrolyse dans une centrale combinée chaleur et électricité existante à Joensuu.“ Joaquín Almunia, commissaire européen chargé de la politique de concurrence, a donné son feu vert à la construction de cette usine. Pour lui, “l’huile de pyrolyse constitue une excellente alternative au fuel lourd. Elle peut être utilisée dans des chaudières à mazout existantes moyennant des adaptations minimes, ce qui constitue un sérieux incitant, pour les producteurs de chaleur, à se tourner vers des combustibles plus propres.“ L’article précise que “la production repose sur un processus dit de ‘pyrolyse rapide’, par lequel la biomasse est convertie en biohuile“.
Autre exemple : le Commissariat à l’Energie Atomique vient de lancer le projet “Syndiese“ (acronyme pour “diesel de synthèse“) à Saudron (Haute Marne) à 3 km de la commune de Bure, lieu du futur enfouissement de déchets radioactifs. Syndiese est un projet de “démonstrateur pré-industriel“ visant à produire du diesel de synthèse à partir de 75000 tonnes de biomasse sèche issues de ressources forestières locales21. Pour que ce projet puisse être rentable, il faudrait, selon l’IFP, un million de tonnes par an de biomasse22. L’entreprise Virgin Australie envisage de faire marcher ses avions avec un biocarburant obtenu à partir d’une espèce d’arbre australien.23
Pour conclure, il est évident que la lutte que le Collectif SOS Forêt du Sud a commencée contre le projet de centrale d’E.On à Gardanne doit faire partie d’un combat beaucoup plus vaste à l’échelle planétaire contre l’engouement pour le bois-énergie, cette nouvelle trouvaille des promoteurs industriels du développement durable et de leurs complices au sein des gouvernements.
Nicholas Bell, Réseau pour les Alternatives Forestière/ Collectif SOS Forêt du Sud
Alors que cette centrale énergétique de 20MW se proclame de “cogénération“, la chaleur produite à la centrale de St Félicien (Québec) n’est en fait pas distribuée aux installations avoisinantes, entraînant un gaspillage environ de 75% du potentiel énergétique sous forme de chaleur et de polluants.