Pour bien gérer la forêt et les produits qu’on en tire, la connaissance de la ressource est un préalable indispensable. Surtout si la demande s’accroît et si des projets nouveaux sont envisagés qui réclameront dans l’avenir des volumes importants de bois. C’est ce qui se passe depuis plusieurs années, en particulier en Limousin, avec d’assez nombreux projets de chaufferies bois. À l’heure où le prix du pétrole explose et où l’on sait que cette énergie sera un jour épuisée, on se retourne en effet vers les énergies renouvelables. Le bois est l’une d’entre elles, tout à fait pertinente dans une région forestière comme la nôtre, pour répondre à nos besoins en chauffage. C’est dans le cadre d’un accord national entre l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) et la FNCofor (Fédération nationale des communes forestières), accord signé afin de développer 1000 chaufferies bois de 2007 à 2012 dans les communes rurales, qu’a été lancé sur les territoires du parc naturel régional et de la communauté de communes de Bourganeuf – Royère de Vassivière, un PAT, entendez : un Plan d’approvisionnement territorial.
Pour savoir ce qu’est un PAT, il suffit de se rendre sur le site Internet du Parc naturel régional qui explique très bien de quoi il en retourne : “Le PAT, est un outil permettant d’identifier au niveau du territoire : la disponibilité en volume de la ressource bois énergie, sa localisation géographique, ses coûts de mobilisation, le positionnement optimal des plates-formes, les hangars de stockage, la consommation sur le territoire, le nombre de chaufferies, la situation, le volume consommé... (...) En parallèle du PAT “bois énergie“, un PAT “bois d’oeuvre“ est expérimenté sur notre territoire. Il permettra d’estimer le bois d’oeuvre par type de produits et par essences (potentiel de consommation des entreprises de première transformation, taux de valorisation du bois d’oeuvre…) et d’avoir un outil structurant pour la filière bois.“ Bref le PAT est un outil opérationnel qui permet de dire quelle est la ressource du territoire, et d’aider ainsi les élus et décideurs à définir les équipements nécessaires en mettant en parallèle consommation et ressource mobilisable. Un outil épatant donc.
La communauté de communes de Bourganeuf – Royère a signé la convention pour l’élaboration de ce PAT le 29 septembre 2010. Dans sa délibération, elle explique très clairement l’enjeu de cette étude : “Cette démarche fait suite à de vives inquiétudes exprimées sur le devenir de la ressource forestière sur le territoire et plus spécifiquement à des demandes pour connaître le potentiel de ressources réellement mobilisables en fonction des utilisations actuelles et des utilisations souhaitées.“ Même son de cloche du côté du PNR : “Cet outil de connaissance a vocation notamment à rassurer les porteurs de projets et à intégrer les initiatives locales dans une vision territoriale durable.“ Rassurer, vives inquiétudes... Face à ceux qui craignent que les projets de chaufferies, et pire, les projets de production d’électricité à partir du bois énergie, ne viennent surexploiter la ressource forestière, tout l’enjeu de l’étude serait donc de démontrer que la ressource n’est pas menacée. En effet, il suffit de se balader sur le plateau pour voir le nombre de coupes rases qui depuis plusieurs années se multiplient à vitesse grand V. Les professionnels de la forêt parlent d’une “vraie décapitalisation“ et se demandent si dans quelques dizaines d’années la ressource sera encore là...
Le 30 novembre 2010, le comité de pilotage du PAT se retrouve à Eymoutiers pour une première réunion. On lui présente entre autres le budget prévisionnel de l’étude (114 800 €) et le calendrier de réalisation qui annonce pour juin 2011 le rendu des résultats. Et de fait, en juin, les résultats sont présentés au comité de pilotage. Aux personnes qui n’en font pas partie mais qui s’intéressent à la question, on annonce une publication imminente de l’étude... pour septembre 2011. Mais ni en septembre, ni dans les mois qui suivent, le PAT n’est rendu public... Depuis un an donc, les données de l’étude restent bloquées. La raison en est simple : les résultats ne sont pas du tout “rassurants“ et risquent de donner de l’eau aux “vives inquiétudes exprimées sur le devenir de la ressource.“ Cela est particulièrement vrai pour le feuillu. IPNS, qui s’est procuré le document présenté en juin 2011, après avoir attendu en vain sa publication officielle pendant un an, a donc décidé de présenter la donnée essentielle de ce PAT (voir ci-contre).
Mais depuis un an que les données sont connues, pourquoi ce silence ? Les résultats n’étant pas ceux attendus, le comité de pilotage a d’abord pensé que les données avaient été mal traitées et que suite à diverses erreurs techniques les résultats étaient erronés. On a donc pris le temps de vérifier les calculs et de revoir si un biais aurait pu altérer le résultat... Manifestement il n’y avait pas d’erreur de ce côté-ci. On a donc émis l’hypothèse que les données recueillies pour le PAT étaient insuffisantes ou pas représentatives et il a été décidé de les réétudier en les comparant avec les données classiques de l’IFN (Institut forestier national). Là encore, rien qui ne venait infirmer de manière sérieuse les premiers résultats du PAT... On n’avait pas fait d’erreur de placettes (des parcelles de référence où des opérateurs vont sur place faire des relevés et des mesures) ; on n’avait pas fait d’erreur sur les “tarifs de cubage“ (ces grilles de coefficients qui permettent de calculer les volumes de bois disponibles). Alors, allait-on valider l’étude ?
En février dernier, suite à une réunion technique du comité de suivi, il était pourtant décidé de repousser encore cette validation. Décidément il fallait en avoir le coeur net et l’Urcofor (Union régionale des communes forestières du Limousin), qui pilote le travail, a décidé de commander une vérification supplémentaire à partir de données plus récentes, et semble-t-il plus fiables, de l’IFN. Aux dernières nouvelles, ces données confirmeraient dans leurs grandes lignes les résultats initiaux du PAT. Oui, sur le plateau, on est en train de bouffer notre capital feuillus !
Une autre étude, réalisée pour le conseil régional et les services de l’État en région par le cabinet Ernst & Young1 confirme par ailleurs que le problème est régional et ne concerne pas que le territoire du parc. Parmi les “dix points clés de la compétitivité de la filière bois du Limousin“ l’étude signale le “faible taux de reboisement“. Des indices clairs le confirment. Si l’on compare les périodes 1989-1999 et 2000-2010, on constate une baisse de 21 % des surfaces reboisées aidées en Limousin. Le problème concerne autant les feuillus que les résineux : ainsi on constate en quinze ans une diminution de 30 000 hectares de surfaces de résineux, du fait du non reboisement. Pour ce qui concerne le feuillu l’étude note qu’on se dirige “vers une rareté de la matière première“... et Ernst & Young poursuivent, toujours à propos des feuillus : “Les volumes vendus par les coopératives et les experts forestiers ont été divisés par deux en 15 ans, d’où l’expression “on manque de matières“. Le volume de bonne et moyenne qualité se restreint.“ Plus grave, personne ne sait trop où l’on va. Les données sur la ressource mobilisable sont jugées insuffisantes ou peu crédibles : “Au regard des acteurs de la scierie feuillus, les données de l’Institut forestier national sont peu fiables“ indique l’étude qui cite par ailleurs un acteur de la filière : “On n’a aucune vision de l’approvisionnement, ce qui ne permet pas le dimensionnement de nouveaux projets au sein de la filière feuillus.“ C’était justement tout l’intérêt des PAT (outre celui du plateau, un autre est en cours en Corrèze) de donner cette vision de l’approvisionnement. Sauf que pour ce qui concerne le plateau, la tendance est bien vers la confirmation de la diminution de la ressource...
Constatant la baisse sensible du reboisement, l’étude d’Ernst & Young constate qu’il n’existe pas de statistiques de reboisement après récolte et décrit ainsi le massif forestier limousin : “Un massif qui diminue à terme sa production, et qui ne profite que dans une moindre mesure des progrès variétaux et de l’adaptation des essences aux marchés de demain.“ Au-delà, on peut aussi s’inquiéter du fait que l’essentiel du reboisement aujourd’hui sur le plateau se fait en douglas (90 % des plantations). Devant ce double phénomène : diminution continue des feuillus et accentuation de la monoculture de douglas (ce que Gaël Delacour dans son article page 10 appelle “la futaie régulière mono-spécifique“), on irait donc vers un plateau aux essences forestières de moins en moins diversifiées, et vers une ligniculture de plus en plus généralisée... Beau programme !
Michel Lulek