A Eymoutiers, sur la ligne ferroviaire Limoges-Ussel, la gare est ouverte quotidiennement. Une incongruité pour la SNCF, qui propose aujourd’hui d’en réduire les plages d’ouverture avant, demain, peut-être, de la fermer pour de bon. Entre pétition et prise de position officielle des élus, la contestation s’organise. Mais, entre statu quo et fermeture, n’y aurait-il pas une autre voie pour penser un équipement de ce type ? Illustration avec un travail mené en Bourgogne par une équipe de designer, sociologue et médiatrice culturelle autour du devenir de la gare de Corbigny, petite ville d’environ 2 000 habitants.
Reliée quotidiennement à Paris par deux trains, Corbigny dispose d’une belle gare du 19ème, récemment rénovée. Même si le guichet est fermé, la salle des pas perdus est chauffée, ouverte au public de 6h à 21h tous les jours et dispose de toilettes publiques. Outre des trains, en partent également des bus TER qui permettent de relier Corbigny à la petite ville de Clamecy en desservant les petites communes.
Domine pourtant l’impression de se trouver face à une gare fantôme, vide, “sous perfusion“, sur une place qui tient plus du terrain vague et du parking que d’un centre de vie.
Cela n’empêche pas un attachement très fort des habitants et des élus, même non usagers, à cet équipement qui reste un emblème fort du service public, un symbole de solidarité et d’égalité territoriale dans un contexte de dégradation généralisée de l’offre de transport en commun.
Alors comment maintenir ces équipements, comment leur redonner vie dans un contexte a priori défavorable ? Comment faire remonter avec plus de force et de cohérence les doléances pour exercer une pression constructive auprès des régions, de la SNCF... ?
Imaginer un socle de services novateurs
Peut-être en imaginant un socle de services novateurs, en phase avec nos modes de vie contemporains, sans perdre pour autant leur rôle de point d’accès à des services de transport en commun.
La gare - guichet multimodal alimenté par une Plateforme mobilité
L’ usager peut y solliciter le guichetier pour croiser les informations et organiser un “voyage composite“, c’est à dire un voyage où il sera amené à utiliser les différents réseaux de transport en commun (covoiturage compris). Afin d’incarner cette proposition, les panneaux d’information habituellement réservés aux horaires SNCF peuvent accueillir les horaires des autres acteurs de la mobilité, et l’usager se voit délivrer un billet mentionnant tous les modes de transport utilisés.
Le Covoiturage des champs
Ce “Covoiturage des champs“ sort du mono-modèle “site Internet“ pour couvrir des trajets mal pris en compte par les réseaux de transports en commun, joue sur la proximité et la convivialité, et fait du contexte rural un atout plutôt qu’une faiblesse. Des emplacements sont prévus et équipés de panneaux “je propose / je cherche“, où sont aussi notés les événements locaux (marché hebdomadaire, marché au cadrant, match de foot, soirée à la boîte de nuit, etc..). Le chef de gare est associé : s’il est sollicité, il rentre sur les différents sites de covoiturage existants la demande des utilisateurs et identifie les propositions cohérentes.
La gare investie de haut en bas
Dans une logique de revitalisation du site, il est intéressant d’attirer un public nouveau, susceptible d’utiliser les transports en commun, en mettant à disposition les locaux vides.
C’est à la fois un moyen de mettre en valeur un patrimoine bâti sous-exploité et d’augmenter la fréquentation de la gare.
La cave de la gare est alors prêtée à des groupes de jeunes musiciens locaux pour leurs répétions.
Le premier étage est partagé entre les acteurs du transport et des travailleurs indépendants tout autant attirés par la vie au vert que par une liaison directe avec des pôles urbains. Ils bénéficient de services mutualisés : cuisine, wifi, salles de réunion, etc.
Un pôle touristique
La gare devient un pôle du tourisme vert qui permet de connecter l’offre touristique et l’offre de transport afin de favoriser un développement réciproque. Elle est le point de départ de plusieurs circuits touristiques (randonnées, vélo-tour, circuits gastronomiques...) et accueille un ensemble de services à destination des touristes. De Mai à Septembre, l’office de tourisme peut y implanter une antenne, une boutique de location de matériel (vélo, sacs, tentes, etc..). Un gîte d’étape est disponible à l’étage toute l’année.
- Partir des pratiques et s’organiser de manière novatrice
Quelles que soient les perspectives dessinées, elles n’auront toutefois de chance de succès qu’en partant des pratiques réelles des utilisateurs, agents et voyageurs, et en s’organisant de manière novatrice, autour d’“experts du transport” capables de répondre aux multiples demandes de voyages sur un territoire et au départ de celui-ci.
Version “augmentée” des agents en gare, ces experts ne connaissent pas tous les horaires de tous les moyens de transport sur le territoire, mais sont capables, grâce à un réseau organisé en “pair à pair” d’aller chercher l’information via différents canaux. Plus que des agences de voyages publiques, ce sont des professionnels spécialisés dans l’accueil, en réseau, capables de faire la connexion entre les différents moyens de transports, de la même manière que “les guichets uniques” font la connexion entre différents services administratifs.
Autant dire qu’une telle perspective suppose de revoir profondément l’organisation et la gouvernance locale des transports ...
Faire table-rase du passé ferroviaire ?
Reste toutefois une interrogation de fonds : la question de la mobilité rurale doit-elle se poser à partir des gares existantes ?
Car si des projets comme celui du Tram-train autour de Limoges porté par l’association Bon Sens Paysan semblent pertinents dans la mesure où il existe un pôle urbain structurant, c’est peut-être moins le cas dans des territoires dépourvus d’un tel pôle d’attractivité et d’un maillage ferroviaire de qualité et équilibré.
Ne faut-il pas alors prendre le contre-pied de la gare comme objet de fantasme, faire en quelque sorte table rase du glorieux passé ferroviaire, d’une densité de population qui n’est plus et parier sur la création de nœuds de mobilité créés de toute pièce, s’appuyant sur les besoins et tendances actuels ?
L’État encourage la création de Maisons des Services au Public et différentes formes de tiers lieux émergent. Est-il possible de les hybrider et d’en faire des relais de la mobilité ?
Si les transports publics font défaut, ne faut-il pas optimiser le reste, et en premier lieu renforcer le covoiturage, multiplier les canaux et outils comme peut l’être la liste de diffusion “covoiturage“ qui regroupe près de 200 personnes sur le plateau et (ré)installer le stop ?
Un projet démarre en ce sens sur le Pays Combraille en Marche, avec un réseau de mobilité rurale structurée par un maillage de “Stations Services Publics“.
Gageons en tout cas que la diversité des approches nous sortira de l’impasse !
Adrien Demay