L’histoire de l’USO commence au début du XXe siècle alors que les conditions de vie des ouvriers sont très difficiles, leur salaire ne suffisant même pas à assurer les dépenses de première nécessité. Les patrons restent sourds à leurs revendications.
En janvier 1902 les mégissiers (tanneurs) de Saint-Junien se mettent en grève rejoints bientôt par les palissonneurs (qui assouplissent les peaux). Le conflit dure et les patrons font pression sur les commerçants pour qu’ils refusent de vendre à crédit aux familles de grévistes. Les saint-juniauds ont déjà connaissance du mouvement coopératif et de ses avantages car c’est à Saint-Junien qu’a été créée, le 1er septembre 1869, la plus ancienne société coopérative de boulangerie de la Haute Vienne. Sans ressources, sans ravitaillement, les grévistes tentent une expérience : mettre en commun le peu d’économies de certains d’entre eux pour acheter en gros des denrées revendues à prix coûtant. Cette expérience va se prolonger dans les mois qui suivent la fin du conflit et, le 7 septembre 1902, 12 fondateurs vont déposer devant notaire les statuts d’une société anonyme coopérative à capital et personnel variables : “L’Union Syndicale Ouvrière“. L’assemblée générale constitutive a lieu le 11 octobre 1902. Les 88 premiers sociétaires sont tous issus du monde ouvrier et ont exercé pour la plupart d’entre eux des fonctions importantes dans le syndicalisme local. Certains ont aussi des engagements politiques (socialistes). C’est une coopérative créée par des ouvriers pour des ouvriers.
Les statuts de l’USO s’inspirent directement de ceux de la “Société des Équitables pionniers de Rochdale“ considérés comme les “Pères de la coopération“ : concernant la représentativité des actionnaires, 1 sociétaire = 1 voix quel que soit le nombre d’actions souscrites ou encore concernant la “ristourne“ c’est à dire la répartition des bénéfices à tous les coopérateurs en fonction du montant de leurs achats. Cependant certains articles des statuts semblent bien spécifiques à l’USO : le sociétaire doit faire partie d’un des syndicats professionnels ouvriers de Saint-Junien (d’où le mot “syndicale“ dans le nom). De plus pour devenir sociétaire il faut être présenté par 2 sociétaires, agréé par le conseil d’administration, prendre une action et s’engager à réserver ses achats à la société.
Grève des gantiers de 1916 - Les jusqu’au boutistes - Archives municipales de Saint-Junien
Les personnages centraux sont essentiels : Jean-Baptiste Brachet, Jacques Rougier et Joseph Lasvergnas (de gauche à droite), coopérateurs et responsables associatifs. Au sommet de cette photographie à composition pyramidale on retrouve Amédée Dussoubs, ancien de la commune de Paris, maître d’apprentissage en ganterie de Joseph Lasvergnas, et président du syndicat des cuirs et peaux. Probablement celui qui a planté les premières graines…
L’Union Syndicale Ouvrière va rapidement diversifier les marchandises proposées et étendre son implantation géographique surtout après la Première Guerre mondiale. En 1907 elle propose de nouveaux services : tissus, bonneterie, bois et charbon, chaussures. En 1919, l’absorption par l’USO de la “La Laborieuse“ (boulangerie coopérative) va permettre à la coopérative de fabriquer son pain. Toujours en 1919, elle installe des succursales dans divers quartiers de la ville et à l’extérieur. 1920 voit la création d’un service Boucherie Charcuterie et des succursales de Saint-Victurnien et de Saillat, 1921 celle d’Etagnac (Charente), 1928 celle d’un magasin de chaussures, de tissus et bonneterie,1931 celles des succursales du faubourg Gaillard et de la rue Guizier, 1932 celle de Brigueuil, 1937 celle de La Rochefoucauld. Interrompue durant la guerre 1939-1945 ces créations vont se poursuivre à partir de 1947 en Haute-Vienne, en Charente, dans la Vienne et en Dordogne. En 1972, l’USO compte 16 magasins en Haute-Vienne, 12 en Charente, 2 dans la Vienne et un en Dordogne.
Le but essentiel de l’USO est de permettre, en pratiquant des prix de vente inférieurs à ceux de ses concurrents locaux, à de plus en plus d’ouvriers de vivre mieux. Pour éviter les intermédiaires elle va dès 1907 adhérer au Magasin de Gros créé en 1906. Ce Magasin de Gros en achetant directement aux producteurs et en grosse quantité ou en fabriquant lui même certains produits permet à l’USO un ravitaillement diversifié à des prix avantageux dont vont bénéficier les sociétaires. Le conseil d’administration est très attentif à cette notion de prix et il n’est pas rare de lire qu’un administrateur signale tel ou tel produit moins cher dans un autre commerce : on cherche une explication et on rectifie.
L’USO n’est pas une coopérative qui s’est développée dans un splendide isolement. Pour être influentes auprès des pouvoirs publics, des fédérations de coopératives se sont réunies en 1912 pour former la Fédération Nationale des Coopératives de Consommation (FNCC) à laquelle adhère l’USO. Cette fédération nationale regroupe des fédérations régionales : en conséquence l’USO fait partie de la Fédération Régionale du Centre Ouest avec entre autres Limoges, Châteauroux, Saintes... L’adhésion à la FNCC permet aussi d’avoir des informations sur le mouvement coopératif au niveau régional, national et même international. L’USO par des prêts ou des avances aidera des coopératives en difficulté : dans les années 1930 ce sera le cas pour la coop des Deux-Sèvres, celle de Châteauroux, la Société La Bellevilloise de Paris ou encore la Coopérative Nouvelle de Périgueux. Dans un périmètre plus proche elle reprendra les coopératives en difficulté de Roumazières, Ruffec, Benest, ou encore la succursale de “L’Avenir du Centre Ouest“ à Rochechouart. L’USO a engagé des grosses sommes par solidarité avec le monde coopératif y compris à l’étranger en Bulgarie, Italie, Hollande, Hongrie...
L’Union Syndicale Ouvrière va aussi favoriser et accompagner la création de coopératives de production. On a déjà évoqué celle de la “Boulangerie coopérative“ en 1919. La même année, le 1er mai, se crée officiellement la “Ganterie coopérative“. Elle se fait par la reprise de l’ancienne ganterie Lambert alors qu’un projet à la suite de grèves en 1916 n’avait pu se réaliser faute de capitaux. En 1926, parce que la Ganterie Coopérative a court-circuité les patrons en donnant du travail à des grévistes les peaussiers la boycottent : celle-ci décide alors de créer sa propre “Mégisserie coopérative“. 1928 verra la création de la “Teinturerie“ permettant dès lors la réalisation de gants sans tenir compte des mégissiers et des teinturiers.
En 1933, suite à un conflit social dans la papeterie, la “Coopérative papiers et sacs de Saint-Junien“ se crée à son tour. Durant leur existence ces coopératives de production ont bénéficié de l’apport de capitaux de la part de l’USO. Par exemple, dans le compte-rendu du CA du 11 décembre 1927 on peut lire : “La ganterie ayant davantage besoin de capitaux que l’Union Syndicale Ouvrière un accord s’établit pour que la propagande (de la semaine d’adhésion) soit faite surtout en faveur des versements en dépôt ou à terme au profit de la Ganterie Coopérative.“ Inversement les coopératives de production ont versé des “subventions“ à l’USO en particulier pour le fonctionnement de la colonie de vacances de La Giboire, sur l’île d’Oléron.
Mais l’USO ce n’est pas que les magasins avec des prix de vente inférieurs. C’est aussi tout un système d’aides complémentaires et de réalisations au service des employés et des sociétaires. Cela commence par la répartition des “trop perçus“ dans lesquels est incluse la fameuse ristourne. En général elle accordera 50% de ces bénéfices aux sociétaires, le reste étant réparti entre la caisse des œuvres sociales, la caisse d’éducation, le fonds de résistance syndicale, le fonds de prévoyance et les fonds de réserve. C’est en 1931 qu’est créé un fonds de prévoyance pour les veuves et les chômeurs. En 1960 le conseil d’administration décide l’attribution d’un colis annuel aux vieux sociétaires. L’USO s’occupe aussi de ses salariés. Dès 1928 elle attribue un secours annuel aux incurables et un secours maladie sous forme de bons en marchandises. En 1929 elle crée une caisse de solidarité : en cas de maladie importante la société paiera le 1er mois de salaire et la moitié du 2ème et du 3ème. Le surplus sera à la charge de l’Amicale (notons que pour être adhérent de l’Amicale il faut aussi être syndiqué).
Au cours de ses 70 ans d’existence l’USO n’a jamais oublié son origine ouvrière et syndicale. Elle a toujours été attentive au sort des masses laborieuses certes à Saint-Junien mais bien au delà. En témoigne l’attribution de secours aux femmes grévistes de Saint-Brice et de Saint-Victurnien en 1934, aux grévistes de Roanne et de Millau en 1935 ou aux mineurs en 1962. Elle a toujours prêté attention aux populations en difficulté en envoyant des aides aux victimes du fascisme en 1933 ou aux coopérateurs sinistrés en Hollande en 1953 ou encore à ceux de Fréjus en 1959. Ils ont aussi accordé des facilités dans les magasins de consommation de Saint-Junien aux réfugiés espagnols en 1937 et aux coopérateurs réfugiés alsaciens en 1939.
Pour réussir l’USO a besoin d’augmenter le nombre de ses sociétaires et ses administrateurs ont le souci de permettre à la classe ouvrière d’accéder aux loisirs, au sport et à la culture. Elle accordera des aides aux coopératives scolaires de Saint-Junien admises comme membres honoraires et à des succursales pour créer des bibliothèques. En 1931 se crée la Chorale de l’USO dont les déplacements seront pris en charge par la Société. En 1933 L’Union Sportive Ouvrière voit le jour composée presque exclusivement de membres de la société coopérative. La Bourse du Travail construite par la commune et inaugurée le 1er mai 1926, comprend une grande salle pouvant accueillir 1 000 personnes. Elle est destinée aux réunions publiques, aux représentations théâtrales et aux concerts. L’USO va l’utiliser dès le début en y organisant son assemblée générale ainsi que sa fête annuelle. Dès 1926 il est prévu d’y installer également du matériel de projection. En 1931 l’USO prend directement en charge l’exploitation du cinéma de la Bourse. La gestion du cinéma et de la buvette se fait par le “Comité de Bourse“ composé de représentants des sections syndicales. L’autre réalisation emblématique est l’achat en 1933 de la colonie de vacances de La Giboire qui permettra à des centaines d’enfants saint-juniauds, à partir de 1935, de découvrir la mer. Dans cette colonie, la participation des parents reste modeste, le reste du coût du séjour étant pris en charge par la coopérative et la municipalité. L’histoire de l’USO s’accompagne aussi du développement du mouvement mutualiste à Saint-Junien. En louant des locaux à l’Union Mutuelle des coopérateurs elle va favoriser l’installation de la pharmacie mutualiste qui pratiquera un pourcentage de réduction sur les produits délivrés sans ordonnance. Elle favorisera également l’installation d’un cabinet dentaire et mettra à disposition des locaux pour la création d’un dispensaire.
Après la Seconde Guerre mondiale, la coopérative va poursuivre son développement en essayant de moderniser son fonctionnement. Son extension géographique en direction des départements limitrophes s’accompagne d’un accroissement du chiffre d’affaires et du patrimoine immobilier. Pour accroître sa clientèle elle mettra en place la possibilité de crédit ménager. Elle consacrera des sommes importantes pour rendre ses magasins plus attrayants. Elle essaie aussi malgré l’importance géographique de la société de resserrer les liens avec les coopérateurs en organisant des animations hors Saint-Junien et envisage en 1970 la réalisation d’un supermarché. Mais petit à petit, dans les années 1960, les problèmes apparus dans le recrutement de nouveaux coopérateurs ou dans la maîtrise du fonctionnement surtout concernant les magasins en gérance et le développement de la grande distribution vont inciter l’USO à arrêter l’expansion pour envisager l’idée de la concentration. A cette époque cette question de la concentration est d’ailleurs au centre des préoccupations des congrès annuels de la FNCC au plan national et de la Fédération régionale Centre Océan auxquelles est rattachée l’USO. Au départ ce thème divise les administrateurs mais petit à petit ils admettent qu’ils doivent tenir compte des nouvelles habitudes de consommation et que le seul moyen de lutter contre la concentration capitaliste est de regrouper les petites et moyennes sociétés. L’USO s’engage alors dans le processus de fusion des coopératives de Limoges, Vierzon et Saint-Junien au sein de la coopérative de Saintes pour constituer le groupe “Coop Atlantique“. Le principe de cette fusion sera accepté par le Conseil d’administration du 12 avril 1972 et validé par l’Assemblée Générale extraordinaire du 4 juin 1972.
Madeleine Buisson