2016 marque le 80ème anniversaire du début de la guerre civile espagnole. À l’issue de la défaite des républicains, de nombreux Espagnols sont venus se réfugier en Limousin, et en particulier sur le Plateau de Millevaches. Certains se sont ensuite engagés dans la Résistance. D’autres, ou les mêmes, sont restés vivre ici. C’est cette histoire que deux jeunes historiennes ont décidé d’explorer et autour de laquelle nous avons bâti le dossier de ce numéro. Une histoire qui n’est pas sans écho avec ce qui se passe aujourd’hui où réfugiés, exilés, accueil ou rejet, donnent parfois l’impression que l’histoire se répète.
Quand Valls, Hidalgo et Désir s’en mêlent ...et s’emmêlent
1939. Les républicains espagnols vaincus franchissaient massivement les frontières du sud de la France : ce fut la dramatique “Retirada“. À partir de ces années noires, le Limousin – et notamment le plateau de Millevaches - a joué un rôle important dans l’accueil de milliers de réfugiés, combattants, civils, familles, personnalités...
Un monde sordide
Les témoignages, récits, livres, films, sont innombrables sur ces questions. Beaucoup concernent notre région. Je ne vais pas revenir sur la guerre elle-même, sinon rappeler les mots d’un colonel franquiste dans le film Fiesta (avec Jean-Louis Trintignant) :
“Cette guerre que nous allons fatalement gagner débouchera sur un monde sordide... Dès que la paix éclatera, les Sancho Pança d’Espagne égorgeront Don Quichotte et deviendront tout puissants... Ils feront en sorte que la beauté devienne une insulte, l’intelligence une provocation, et l’amour un péché !“ On ne peut mieux cerner les conséquences de la montée de la haine qui aboutit aux dictatures. Une fois sains et saufs, les réfugiés républicains, venus chercher la protection de la France, furent parqués des mois durant dans des camps “de concentration“ (terme officiel de l’époque) du sud de la France(3) : Rivesaltes, Gurs, Le Vernet, Argelès... La France de 1939 était encore la III° République, et le gouvernement Daladier considérait ces Espagnols comme “des étrangers indésirables“ (également termes officiels). Après, cela allait être encore pire. Ainsi, pour beaucoup, en Millevaches, ce furent dès la fin 1940, les GTE (groupements de travailleurs étrangers) et l’engagement dans la Résistance.
Nombreux sont nos concitoyens dont l’histoire familiale est liée directement à ces événements.
Le passé, dimension du présent
L’écrivain espagnol Javier Cercas a écrit : “le passé est une dimension du présent“(1). En ce qui concerne nos relations avec l’Espagne, il ne croit pas si bien dire. Nombreux sont nos concitoyens dont l’histoire familiale est liée directement à ces événements. IPNS vous parle souvent des problématiques actuelles concernant les migrants. Mais la situation est-elle comparable ? Non, parce que les réfugiés espagnols étaient nos voisins, chassés par le fascisme, alors que des milliers de nos jeunes hommes avaient enfreint la neutralité officielle du gouvernement français (issu du Front Populaire) pour intervenir avec les Brigades Internationales(2). Oui, parce qu’aujourd’hui l’esprit guerrier est toujours là, et quand une partie de notre société s’honore de gestes humanitaires une autre partie se déshonore. A commencer par ceux qui devraient montrer l’exemple, en se remémorant ces trois mots : Liberté, Égalité, Fraternité. Et pourtant, “ils“ n’ont que çà à la bouche ! Alors, j’y vais franco !
Harlem Désir prend ses désirs pour des réalités
Le secrétaire d’État Harlem Désir a déclaré récemment sur un plateau de France 2 : “Juste avant cette émission, j’étais à Montreuil où nous organisions une réunion de solidarité avec le peuple malien et j’ai vu des hommes et des femmes, qui étaient à la fois inquiets pour leur pays, comme ont pu l’être des réfugiés, vous savez, des Espagnols ou autres qui ont été accueillis en France au moment où leur pays traversait des drames et des guerres, et qui en même temps étaient fiers de la solidarité de la France, qui étaient soulagés, qui étaient reconnaissants.“ Fiers ? Soulagés ? Reconnaissants ? Envers certains Français oui, envers la France non. Voici la réponse à ces propos d’un Catalan : “La seule chose que les Français ont apporté aux républicains ibériques, c’est le typhus et les camps de concentration. Honte à vous les Français ! Toujours à donner des leçons alors que vous faites partie d’une des pires engeances colonialistes qui soit !“ C’est sans doute partiel, et partial, mais ce sentiment couve toujours. Vous voyez bien que le passé ne passe pas.
Manuel Valls se réinvente un passé
Quant à notre bien connu Manuel Valls, son origine prétendue est une mystification entretenue par lui-même. Les Valls, des réfugiés antifranquistes? Le père, Xavier Valls, peintre très connu, a multiplié durant toute l’ère de la dictature les expositions dans l’Espagne franquiste. Où Manuel est d’ailleurs né, en 1962, dans une clinique barcelonaise où exerçait son oncle, un gynécologue réputé. Dynastie de banquiers et affairistes ultra-catholiques : comme proscrits, on fait mieux ! Ils n’avaient d’ailleurs aucune raison de l’être puisque le grand-père de Manuel avait fondé un quotidien catholique ultra-conservateur, interdit par les Rouges en 1936... C’est édifiant. Nous ne sommes pas responsables de ce qu’ont fait nos parents. Mais, s’il vous plaît, Monsieur Valls, évitez de mentir. Et surtout, laissez le célèbre No Pasaran à ceux qui ont perdu la vie pour la liberté.
Anne Hidalgo, un peu trop diplomate
Enfin, plus légèrement, Anne Hidalgo, maire de Paris. Point de mensonge de son côté. Née en Espagne également, en 1959, dans une famille très modeste, elle n’a jamais caché que son père ouvrier était venu en France pour des raisons économiques. Ni oublié que son grand-père combattit dans les rangs républicains. Ainsi, son antifascisme est-il crédible et sincère. Certes, elle a bien accepté la médaille de l’ordre d’Isabelle la Catholique, l’équivalent de la Légion d’honneur en Espagne. Pays qui n’est plus une dictature, ceci expliquant cela. Les qualités de diplomate de la maire de Paris sont bien réelles, sinon qu’elles l’entraînent parfois trop loin. Le 24 août 2014, elle rendait hommage aux hommes de La Nueve (4), cette compagnie de la 2ème DB, formée de républicains espagnols entrés les premiers dans Paris : “Il faut que cette histoire soit aussi dans nos mémoires, parce que ce que les hommes de la Nueve ont fait, ils l’ont fait en portant des valeurs humanistes, des valeurs républicaines. Leur combat c’était la République, c’était les droits et les valeurs universelles, c’est ce qui les a guidés (…) Cet espoir que vous avez porté, cette force qui est la vôtre, cette croyance que vous avez eu dans la démocratie, dans la République, dans les valeurs universelles qui nous unissent et bien c’est la plus belle victoire contre tous les fascismes, contre tous les despotes.“ C’est très clair. Et pourtant, sept mois plus tard, Anne Hidalgo devait inaugurer une plaque à la mémoire de ces mêmes hommes, républicains, en compagnie du... Roi d’Espagne. La suite est facile à retrouver dans la presse. Vous voyez bien que, décidément, “ce passé ne passe pas.“
Michel Patinaud
1 L’Histoire, septembre 2016
“Guerre d’Espagne : pourquoi la République a perdu“.
2 Voir “Ceux qui se levèrent avant le jour“, magazine n° 224 de TéléMillevaches (2015).
3 Lire : Camps du sud-ouest de la France. Exclusion, internement, déportation, 1939-1944, M.-L. Cohen, E.Malo, éditions Privat (1994).
4 La Nueve, Evelyn Mesquida, éditions Le cherche midi (2011).