No pasaran, deux portraits de résistants espagnols en Limousin

L’histoire de l’exil républicain espagnol a été marquée par un forte implication dans la résistance aux nazis. Leur rôle le plus connu fut celui de la libération de Toulouse. Mais en Limousin, ils furent aussi nombreux et efficaces. Voici les portraits de deux d’entre eux, ceux “qui se levèrent avant le jour“.

Ils étaient prêts à mourir “pour la France et pour une humanité meilleure“

Joaquin et Salvador ne se sont probablement jamais rencontrés. Ni en Espagne, ni sur le plateau de Millevaches. Et ceci, bien que leurs histoires et leurs idéaux aient été comparables, et bien qu’ils aient vécu un temps à 30 kilomètres l’un de l’autre. Ils représentent à la fois le même aspect de la lutte antifasciste, et une différence de taille : le premier était communiste, le second anarchiste. Les luttes qui opposèrent là-bas, les deux forces politiques furent terribles. Toujours est-il qu’ici, ils ont contribué, chacun à leur manière, à chasser les nazis de France. Ce qui nous amène à réfléchir à cette phrase du grand romancier français Jean Giono : “J’ai honte de toutes les guerres“, et à ce dilemme : existe-t-il des “guerres justes“, à tout le moins “utiles“ ? Chacun en jugera avec sa sensibilité et sa philosophie. Franchissant les Pyrénées début 1939, il est évident que nos deux hommes ne se posaient pas ces questions. Mais en décidant de rejoindre les maquis, quatre ans ans plus tard, s’ils pensaient à la liberté de la France, ils imaginaient aussi que notre pays leur rendrait la pareille. Que la patrie des Droits de l’homme ne pourrait faire, moins que les aider à renverser le régime franquiste usurpateur. On connait la suite.

“Ils imaginaient que la patrie des Droits de l’homme les aiderait à renverser le régime franquiste“

Quino le communiste

Joaquin Muro était né en 1911 à Alcala La Real, près de Jaen, en Andalousie. Il était communiste. Personne ne sait, pas même son fils, comment il a pu arriver à Treignac, où il travaillait comme cordonnier. Déjà surnommé Quino - pseudonyme qui lui restera dans la Résistance - il ne pouvait rester insensible à l’action des maquis de Haute-Corrèze. C’est ainsi qu’il rejoignit fin 1943, un premier groupe de l’Armée secrète (mouvement formé majoritairement de socialistes), groupe curieusement sans armes. De son propre chef, il prit contact avec le maquis de Guingouin, dans le secteur du Mont Gargan. Une aubaine pour “le Grand“ : Quino était un homme décidé, courageux, de plus communiste, et qui savait parfaitement – lui - tenir un fusil. Il devint ainsi instructeur, et chef du bataillon des “Ours“, étant de tous les événements qui conduisirent à la libération de Limoges (en août 1944). Resté en France après la guerre, il s’y maria, vécut à Lacelle puis à Brive, avant de mourir à Perpignan en 2000. La mémoire de ce résistant est seulement connue par les divers témoignages du chef FTP ou de son entourage. On peut dire que son histoire est originale, depuis son arrivée en France, jusqu’aux lendemains de la guerre : un parcours plutôt individuel, et une grande discrétion par la suite.

Salvador Valls l’anarchiste

Salvador, de son nom complet Valls Baquer, avait 10 ans de moins. Né à Barcelone, il s’engagea à seulement 15 ans dans la colonne Durruti, parmi les volontaires anarchistes opposés aux nationalistes franquistes. On en sait plus sur lui, parce que – malheureusement – il passa par divers camps en France, le premier au Vernet, dans l’Ariège. En cela, il ne ressemble pas à Quino, et pourtant ils arrivèrent tous deux en Millevaches, comme un nombre considérable de leurs compatriotes républicains espagnols. Ceci explique le rôle fondamental qu’ils jouèrent dans la résistance corrézienne. Après avoir “déserté“ les camps de travail (“déserter“ était bien le terme officiel pour des prisonniers pourtant civils), ils furent plusieurs centaines à rejoindre les groupes AS et FTP. À tel point qu’ils purent constituer des unités homogènes dans la MOI (Main d’Oeuvre Immigrée). Salvador travailla tout d’abord dans une tourbière de St-Merd-les-Oussines et fut ensuite détaché dans une ferme. Puis, embarqué comme ouvrier sur les chantiers du Mur de l’Atlantique, il put s’évader. Revenu à la ferme du Niarfaix, il y resta jusqu’à la fin de sa vie (en 2016), célibataire... chez ses patrons ! ll avait entretemps rejoint la Résistance, comme agent de liaison. Un souvenir personnel résume bien cette période, pour celui qui joua au football à Bugeat, jusqu’à l’âge de 55 ans : “Ce que les camps ont eu de bon, c’est qu’on a pu y parler librement en catalan“.

Tous différents et tous pareils

Ces deux parcours reflètent à l’évidence beaucoup plus de différences que de points communs. Partis d’une vision idéale de leur pays et de la liberté, ils cheminèrent différemment durant cinq ans. Ils adoptèrent la France (ou furent adoptés ?). 

Combien d’autres mériteraient d’être cités ? C’est bien le sens du projet de stèle en souvenir de tous les résistants espagnols, projet porté par Paul Estrade, infatigable (re) lanceur de mémoire en Corrèze.

Pour aller plus loin

À voir :
“Ceux qui se levèrent avant le jour“. Reportage de Télé Millevaches, n° 224  avril-mai 2015, faisant le lien entre un jeune brigadiste de Gourdon-Murat, Damien Magnaval, mort en Espagne, et les travailleurs espagnols des camps de Haute-Corrèze.
“Fugir del oblit“ (Echapper à l’oubli). Long métrage documentaire du réalisateur espagnol Abel Moreno. Ce film a été présenté en avant première dans différents lieux du Limousin en septembre 2016. Il raconte le parcours de Pitu (91 ans) qui a passé toute sa vie en fuite. Fuite du franquisme, des  camps d’Argeles-sur-Mer, de  Dachau, de Treblinka, et même du massacre d’Oradour-sur-Glane…
“Guernica“. Reproduction réduite de l’oeuvre de Picasso, à Crocq, près de l’église. Cette peinture mondialement connue fut commandée à l’artiste par Francisco Largo Caballero, un des Premiers ministres du Frente Popular. Ce dernier vécut en résidence surveillée dans la cité creusoise en 1941. Une plaque rappelle ce séjour contraint et douloureux, juste en face de l’oeuvre. 
Musée départemental de la Résistance de Neuvic (19) : une place importante y est réservée aux résistants espagnols (nombreuses photos).

À lire : 
Les forçats espagnols des GTE de la Corrèze, 1940-44, Ed. Les Monédières, 2004. Actes d’un colloque à Saint-Hilaire-les-Courbes. Ouvrage dirigé par Paul Estrade, très riche et illustré, comprenant notamment un chapitre sur les Espagnols dans la Résistance.
L’exode espagnol en Limousin et les chemins de la mémoire, Ed. Les Monédières, 2012. Ouvrage collectif d’historiens couvrant l’ensemble du sujet (Journées de l’Ateneo). 
“Francisco Largo Caballero : de Madrid à l’exil, le séjour à Crocq du dirigeant socialiste espagnol“ (1941) : dans la revue de la Société historique creusoise (SSNAHC, tome 60, 2014,par Eva Léger.
Eva Léger et Tiphaine Catalan : “Les réfugiés espagnols en Limousin“, dans Histoire du Front Populaire en Limousin, Les Ardents Editeurs, 2016.

À entendre :
Émission de la radio associative Fréquence Paris Plurielle du 24 mai 2016, à retrouver sur www.rfpp.net (Eva Léger y présente sa thèse).
Apéro tchatche des Bistrots d’hiver le 12 février 2017, à l’auberge du Sauvage à Rempnat, sur le thème : Mémoire des réfugiés espagnols.
El comunero : chants de luttes de la République espagnole. À retrouver sur facebook : https://www.facebook.com/elcomuneromusic/?ref=page_internal

À contacter :
Ateneo Républicano du Limousin : cette association a la particularité – fort rare paraît-il – de réunir des sensibilités politiques et philosophiques diverses. À retrouver sur son blog : http://ateneodulimousin.canalblog.com/ ou à contacter : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Sur la guerre d’Espagne elle-même, puis le franquisme, les sources sont innombrables. Voici juste quelques coups de coeur. Au cinéma  : Viva la muerte (Arabal), Mourir à Madrid (F. Rossif), Land and Freedom (Ken Loach), Fiesta (P. Boutron) et Le labyrinthe de Pan (Guillermo del Toro). En littérature: Les grands cimetières sous la lune (G. Bernanos), Plus jamais çà (A. Trapellio), Hommage à la Catalogne (G. Orwell), Pas pleurer (L. Salvayre). En BD : L’art de voler (Antonio Altarriba) et El paseo de los canadienses (C.Guijarros).